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Surprise ! Le marketing vous prend pour des crétins finis

Comment j'ai renoncé au joyeux monde du benchmarking après trois ans d'études et un stage sinistre.

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Le marketing abuse de vous. Ça vous a sûrement effleuré l'esprit le jour où vous avez acheté une canette de Coca Jean-Paul Gaultier, et que vous l'avez gentiment entreposée sur une des étagères de votre chambre comme s'il s'agissait d'une relique rapportée d'un pays lointain. En revanche, ce que vous ne réalisez peut-être pas encore, c'est qu'en plus de vous faire perdre votre argent, le marketing « B2C » (Business to Consumer) des grandes entreprises industrielles a tout intérêt à vous faire perdre votre libre-arbitre – ainsi que votre personnalité.

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M'étant moi-même destinée à une carrière en bullshit de haut niveau, je consens aujourd'hui à vous donner mon ressenti plutôt amer par rapport à cette discipline. Car sachez-le : de A à Z, d' Activia à Zadig et Voltaire, le but du marketing et de la publicité est de vous prendre pour des cons – et que vous leur donniez raison. Ma petite virée dans cet univers obscur m'a vite ouvert les yeux sur le sens que je devais donner (ou plutôt que je ne devais pas donner) à ma vie professionnelle. Scolairement, j'ai filé doux du lycée jusqu'en classe préparatoire pour aller ensuite filer mes collants sur les fauteuils en cuir d'un amphithéâtre d'école de commerce. Il paraît que c'est ce qu'on fait sans trop poser de questions quand on a la chance d'être dans un « bon lycée de centre-ville ». Aujourd'hui, même si je n'ai pas trop à regretter mes trois années d'école, je me dis que je me suis quand même bien égarée en me soumettant au diktat premier d'un « marché de l'emploi impitoyable » où ne survivraient que les diplômés des Grandes Écoles. J'ai même un peu honte de m'être adonnée paisiblement à trois années d'abrutissement intellectuel chères payées, entre études de cas réalisées à la va-vite, travaux de groupe à la réflexion parcellaire, présentations Powerpoint avilissantes, et gueules de bois en semaine. Quelques immersions professionnelles et un stage au service marketing d'une grande boîte française ont achevé de me faire mesurer l'ampleur de mon fourvoiement universitaire.

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Mais revenons aux origines du mal. Né dans les années 1950, le marketing s'est exporté des États-Unis jusque dans nos belles contrées. Il se distingue des « méthodes de ventes » des décennies précédentes de par son « orientation-client ». Dans les années 1970, les 30 glorieuses étant passées par là, escortées par les gros souliers de la production et de la consommation de masse d'après-guerre, on arrive au développement maximum de la logique de marché. Les centres commerciaux, les Abribus JC Decaux et la consommation comme fin en soi, on doit tout à cette époque glorieuse où chacun est en droit de réclamer sa télé Philips, son lave-linge Arthur Martin, son jean Levi's et son pavillon en quartier résidentiel. Le confort matériel et l'opulence sont encensé s en v éritables projets de vie par la publicité. La critique, elle, commence à pointer le bout de son nez dès 1970, avec l'ouvrage de Jean Baudrillard, La société de consommation, qui assiste à la mutation d'un moyen de satisfaction des besoins primaires en injonction à la différenciation, à l'ostentatoire et à l'apparition de relations sociales artificielles. D'autres comme Bernard Stiegler voient dans le marketing un moyen de « court-circuiter les pulsions » vers les objets de consommation.

Pour reprendre Serge Tisseron, docteur en psychiatrie et spécialiste de l'image, le pouvoir des images diffusées par le marketing et la publicité réside dans le fait qu'on associe le plaisir que l'on a devant la publicité, ou l'image du produit, à celui qu'on aura en le consommant. Il ajoute qu'il faut « profiter des publicités pour ce qu'elles nous donnent, à savoir des images, et acheter les produits génériques dont nous avons besoin. » Comprendre : ce n'est pas tout à fait parce que tu portes le même casque que Bob Sinclar que tu parviendras à te faire alpaguer par une jeune femme dont les griffures laissent des traces mystérieusement bleutées.

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La vérité, c'est que la consommation a réussi à s'imposer dans toutes les sphères de nos vies, et particulièrement dans le calendrier. On pourra parler de fêtes au départ religieuses et familiales comme Pâques et Noël, parasitées tous les ans par une avalanche de publicités agressives et de « call-to-action » à chaque coin de rue, et ce plusieurs semaines à l'avance. On évoquera également l'instrumentalisation commerciale de la sphère familiale au travers de toutes ces fêtes vouées à célébrer nos mères, nos pères, et maintenant nos grands-mères, et grands-pères. Sous-entendu : si tu n'offres rien à tes êtres chers ces dites journées, tu ne les aimes pas comme la société de consommation t'ordonne de les aimer, donc tu ne les aimes pas. Il en va de même pour cette splendide supercherie qu'est la Saint-Valentin, qui permet, en outre aux fleuristes de se faire une semaine de bénéfices en une seule journée. Les marchandises sont au cœur de nos vies, si bien que l'acte d'achat est aujourd'hui bien plus une preuve de nos intentions qu'une simple réponse à un besoin.

Ce qui me chagrine encore plus, c'est la façon dont l'idéologie marchande voudrait que nous nous voulions autres que nous-mêmes. Et pour ça, c'est super aisé de balancer partout dans toutes les villes du monde des images idylliques faites sous Photoshop de ce que nous, misérables merdes, devrions être pour pouvoir nous octroyer le droit d'être heureux. La promotion d'un idéal est vraiment le meilleur moyen de vendre tout plein de conneries à des gens imparfaits qui rêvent d'impossible. Le marketing et la publicité jouent avec vos sentiments, il vous disent : si vous n'achetez pas cette crème-ci ou ce gel-là, n'espérez pas qu'on vous remarque. La culpabilité du consommateur à qui l'on renvoie sa propre médiocrité est une arme commerciale destructrice.

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Maintenant, parlons des gens aux manettes de l'empire marchand, les « marketeurs » et les publicitaires, étroitement liés dans la manipulation de nos désirs. Sachez tout d'abord que lorsque vous achetez un truc, quoi que ce soit, un mec dans les tuyaux d'une quelconque boîte, vous a préalablement ciblé. Tout travail en marketing stratégique commence par une segmentation des consommateurs pour déterminer lesquels seront visés par le prochain pigeonnage à grande échelle. Si vous vous dirigez vers ce genre de carrière, on vous apprendra à disséquer la population en groupes plus ou moins rentables, au travers de clichés plus ou moins gros. Vous apprendrez donc à distinguer le « bobo écolo » du « bobo hédoniste » ou encore les « seniors actifs » des « seniors végétatifs » (on n'en est pas loin). Ainsi, selon que vous êtes plutôt « hipster » ou un « éco-responsable de la classe moyenne », on vous vendra au choix une bouteille de lait à moustache ou alors on vous proposera un emballage en verre avec une étiquette verte qui « rappelle la nature ». Ça reste du lait dans tous les cas, mais le prix variera en fonction du « marketing-mix », mais aussi du positionnement de la marque et du « prix psychologique » qu'elle pense que vous êtes prêt à mettre (proportionnel au niveau de stupidité qu'on vous prête).

Je suis toujours impressionnée par la façon avec laquelle le marketing s'est vendu à nous avant de nous vendre toutes ses conneries. Aujourd'hui encore, « travailler dans le marketing » est une phrase qui en fait fantasmer plus d'un. Il n'y a qu'à voir le nombre d'inscriptions aux concours d'écoles de commerce qui a augmenté d'un tiers de sa valeur en seulement 10 ans. Et je parle bien de fantasme : celui du costume 3 pièces et des talons qui font clop-clop sur le marbre immaculé du siè ge social d'une grande entreprise internationale. Décider de ce que les gens porteront, mangeront, ou désireront demain est un rêve que beaucoup font encore, avec celui de la rémunération qui irait avec. Mais faute de réelle délimitation sémantique, le « marketing » se réfère aujourd' hui à une flopée de postes et de missions toutes plus ou moins chiantes, dont certaines font véritablement partie des « jobs à la con » ou « Bullshit Jobs » décrits par David Graeber.

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Le marketing est une science absurde – y faire sa vie, c'est participer de la mascarade et entretenir une vanité dont on ne sait plus se passer aujourd'hui.

Gardez ça en tête lorsque vous chercherez votre prochain stage en tant qu'assistant marketing ou assistant chef de produit : un manager en marketing qui cherche à recruter convoquera tout le bullshit dont il est capable de faire preuve pour rédiger une annonce de poste qui envoie du rêve. En réalité, lorsque vous lirez « reporting sur les KPI pour le compte de la direction », il faudra comprendre « inscription de chiffres dans un fichier Excel que personne ne lira ». Vous serez peut-être bien payé, mais vous aurez probablement envie de vous allonger par terre et d'attendre la mort au bout de votre deuxième semaine de boulot.

C'est aussi le domaine où on emploie le plus de termes qui n'ont absolument aucun sens une fois sortis de la sphère de la grande intelligentsia du market', et il ne faudra pas vous étonner d'entendre des phrases comme « il va falloir faire un benchmark et établir une stratégie cost-effective qui envoie de bons signaux aux investisseurs quant aux ROI, mais tout en gardant l'engagement-rate à un niveau potable ». Ce qui participe, vous en conviendrez, à l'entretien du mythe.

En bref, ne vous attendez pas à avoir l'impression de changer le monde lorsque vous discuterez en rond autour d'une table du nom le plus approprié à la nouvelle gamme de lessive liquide. Tout ce à quoi vous servirez en réalité, c'est à faire s'écouler quelques unités de plus dans tous les Auchan de France ou à accroître de quelques centièmes les parts de marché; et sur le dos de la « ménagère de moins de 50 ans » (rien que la dénomination est outrageuse), qui achètera votre lessive « Zéphyr des îles » faute de pouvoir s'offrir un week-end à Bora-Bora.

Le marketing est une science de l'absurde et du rêve sous cellophane. Il nous projette dans des désirs erronés construits de toute pièce et nous vend un bonheur en carton. Le désir de consommation a remplacé instinctivement ce à quoi chaque être humain aspire en réalité : la reconnaissance, l'amour, une légitimité à appartenir à un groupe social. Y faire sa vie, c'est participer de la mascarade et entretenir une vanité dont on ne sait plus se passer aujourd'hui. Mais pour parvenir à tout ça et élaborer les fantasmes de demain, il faut être prêt à passer des heures de branlette poétique sur le choix du nom d'un produit : « Brise marine » ou « Fleur de printemps » ? Quel « idéal » résonnera le mieux en vous ? Parce que le mec qui fabrique votre désodorisant pour chiottes, se la pose, lui, la question.