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L’histoire de l’ex-travailleuse du sexe qui apprend aux prostituées à se défendre

Quand la Police ne fait plus son travail et que la Justice n'en a rien à foutre, l'heure est venue de maîtriser les arts martiaux.

Photo via Flickr

Chaque année, le 8 mars est l'occasion pour des milliers de personnes de s'écharper au sujet de la « Journée internationale des droits des femmes ». Au sein de cet océan de médiocrité rhéotirque, on en viendrait presque à oublier que derrière ces débats stériles se cachent des problématiques qui touchent les femmes au jour le jour. La violence en fait bien entendu partie – en France, selon des chiffres officiels, 134 femmes sont mortes dans le cadre de violences au sein du couple en 2014, et 84 000 ont été victimes de viols ou de tentatives de viol.

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Les prostituées sont des cibles privilégiées. Souvent oubliées des médias, elles subissent au quotidien la négation de leurs droits fondamentaux. Un rapport mené à Paris par le Lotus Bus – une initiative de Médecins du Monde – révélait qu'entre 2010 et 2012, près de 86 % des travailleuses du sexe chinoises avaient été victimes de violences, dont 50 % de violences physiques et 34 % de viols.

Afin d'en apprendre un peu plus sur les solutions alternatives permettant aux prostituées de se défendre, j'ai contacté Pesha, une jeune trentenaire et ancienne travailleuse du sexe. Aujourd'hui, elle milite en faveur des droits de cette catégorie socioprofessionnelle assez particulière auprès du STRASS et via l'organisation de cours d'autodéfense à destination des prostituées. J'ai eu la chance d'échanger avec elle afin d'en savoir un peu plus sur ces cours et sur la situation des travailleuses du sexe en France.

VICE : Bonjour Pesha. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours personnel ?
Pesha : Disons que j'ai un parcours assez atypique. Il y a quelques années, j'ai commencé à m'intéresser à l'univers du strip-tease et ai travaillé pendant quelques mois dans un « bar à hôtesses ». Ce monde m'intriguait – disons que je ressentais une sorte de curiosité journalistique. Seulement, j'ai vite réalisé que je ne le « comprendrais » vraiment que si j'expérimentais le boulot moi-même. L'envie aidant, j'ai sauté le pas.

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C'était une véritable décision de ma part. C'était mal payé, certes, mais quand même mieux payé que beaucoup d'autres tafs – je voyais ça comme un moyen de m'épanouir. Pour moi, c'était une façon de dire au patriarcat d'aller se faire foutre, tout en profitant de ce système à mon avantage.

Aujourd'hui, mon approche féministe est plus artistique. J'expose des dessins faits avec le sang de mes règles. Je questionne le rapport entre intimité et espace public, ainsi que la honte culturellement associée aux règles.

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Quand avez-vous commencé à militer ?
J'ai lu quelques bouquins qui ont été des révélations pour moi – comme Les luttes des putes de Thierry Schaffauser ou encore King Kong Théorie de Virginie Despentes. Par la suite, j'ai rencontré les membres du STRASS et je me suis engagée.

Aujourd'hui, j'organise des cours d'autodéfense à destination des travailleurs et travailleuses du sexe avec un ami spécialiste en arts martiaux, qui se prostitue occasionnellement.

Pouvez-vous nous en dire davantage sur la nécessité de ces cours ?
Les travailleuses du sexe représentent des cibles privilégiées pour les agresseurs. Elles sont souvent isolées et ne connaissent pas leurs droits. Très peu d'entre elles osent porter plainte, surtout quand elles n'ont pas de papiers. Lorsqu'elles se rendent au commissariat, elles sont rarement prises au sérieux.

Le poids des stigmates liés à la profession est très important. Les réflexes patriarcaux sont omniprésents, certains étant cruels au possible – notamment cette attitude qui consiste à dire que le viol d'une prostituée n'en est pas vraiment un.

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Quand la justice fait défaut, il faut se défendre soi-même. Malheureusement, il y a énormément de travail, notamment dans le domaine psychologique – ça vaut pour toutes les femmes. Être capable de se dire « je suis en mesure de me défendre » est une chose très difficile à enseigner.

L'éducation des hommes est à revoir, tant elle est marquée du sceau de l'hétérocentrisme et de l'obligation de virilité.

Selon vous, la justice et l'État en général sont coupables de graves manquements.
Bien sûr. Les lois visant à interdire le proxénétisme ont eu pour effet de rendre illégales les organisations de travailleuses du sexe. Par exemple, à cause d'une loi, il leur est interdit de louer un appartement en commun afin d'exercer leur activité en toute sécurité. Une telle loi isole et accroît l'insécurité à laquelle les travailleuses de sexe sont confrontées.

Il en va de même pour la loi visant à pénaliser les clients – elle aurait des répercussions terribles sur les conditions de travail déjà difficiles des prostituées. Si vous commencez à pénaliser les clients, leur nombre va diminuer. Par conséquent, la précarité des travailleuses du sexe va s'aggraver. De plus, la nécessité d'être discrète va être de plus en plus prégnante, et l'isolement toujours plus grand. Quand il faut se cacher pour réaliser ses passes, c'est une porte ouverte à toutes violences.

De plus, on a tendance à croire que ces violences sont uniquement le fait des clients – c'est oublier les violences policières qui sont très courantes, en particulier à Belleville. Les travailleuses du sexe y subissent un harcèlement quotidien.

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Comment se passent les cours d'autodéfense ?
Pour l'instant, on en est encore à la phase d'expérimentation. On commence par aborder l'expérience de chacune, les problèmes qu'elles ont pu rencontrer et les violences auxquelles elles ont fait face. En partant d'une expérience vécue, on cherche à détricoter les réflexes et les réactions à avoir face à ce type de situation.

Dans notre société, on ne dit jamais aux femmes qu'elles sont fortes et en mesure de se défendre – bien souvent, on leur apprend à être conciliantes et à attendre que ça passe. Il y a donc un travail de déconstruction à opérer. Une fois la situation analysée, on passe à l'apprentissage des arts martiaux.

L'autodéfense, c'est bien. Mais n'y a-t-il pas un gros problème d'éducation des mecs ?
Bien sûr que si. Il faut également travailler sur ce point-là. L'éducation des hommes est à revoir, tant elle est marquée du sceau de l'hétérocentrisme et de l'obligation de virilité. Une telle évolution nécessite du temps – l'autodéfense reste un moyen de faire face aux agressions qui se déroulent chaque jour.

D'ailleurs, avec l'association SHAT, nous avons décidé d'organiser des cours d'autodéfense qui s'adresseront à toutes les femmes. À partir de juin, j'envisage de suivre une formation avec Garance, l'association d'autodéfense féministe référence en Europe. Pour le moment, j'invite toutes les travailleuses du sexe à rejoindre le STRASS – ça reste le meilleur moyen de défendre leurs droits.

Je vois. Merci beaucoup, Pesha.

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