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reportage

La caverne de la brutalité - La terre de l'endurance

Q : Quel est l'exact opposé de l'acteur John Hamm ? R : Moi coiffé d'un bob blanc.

Q : Quel est l'exact opposé de l'acteur John Hamm ?

R : Moi coiffé d'un bob blanc.

Cet accessoire coûte cinq dinars ! Cinq dinars, ça me paraît être une somme plus que raisonnable pour bloquer le soleil de plomb du Moyen-Orient. Et dans la catégorie « symbole universel du touriste bienveillant », seule l’indétrônable sac banane l'emporte sur le bob. Mon chapeau était une autre manière de dire : je viens en paix. Je ne compte pas marchander. Pouvez-vous prendre une photo de moi avec ma femme ? Recouvert d'une couche d'écran total qui me donnait l'impression d'être encore plus blanc que d'habitude, je me mettais en route pour Petra.

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Petra est un ville roc au cœur du désert jordanien, à trois heures de route de Amman. Il s'agit d'une ville taillée dans la roche. Enfin, le terme « ville » n'est pas vraiment approprié. Petra est une cité historique et archéologique, classée au patrimoine mondial de l'UNESCO. Ce n'est pas une ville dans laquelle vous pouvez séjourner dans un hôtel et aller dans le centre en bus.

On a l'impression que Petra est vieille de plusieurs centaines de millions d'années, mais en fait, elle est relativement récente. La cérémonie de coupure du ruban a eu lieu il y a seulement 2 600 ans. Les fondateurs de Petra étaient un peuple mystérieux appelé les Nabatéens. Je sais ce que vous vous dites : « Mais Sam, je croyais que cette région était contrôlée par les Edomites ? »  C'était le cas, jusqu'à la captivité babylonienne au début du sixième siècle avant JC. Ensuite les Edomites ont abandonné leur planque escarpée pour les terres fertiles de Judée et les Nabatéens ont récupéré ce désert qui s'étend aujourd'hui entre la Jordanie du sud et le Néguev.

Ces filous de Nabatéens ont utilisé les canyons et les gorges pour récolter et canaliser l'eau, ce qui leur a permis de créer un genre de boom immobilier. Durant sa période la plus faste, 20 000 personnes vivaient dans la métropole de pierre, capitale d'un empire commercial qui s'étendait de Gaza au golfe persan. Après l'invasion de la cité et sa dissolution par les Romains, la civilisation Nabatéenne a disparu. Petra est restée un secret de Bédouins pendant un millier d'années, jusqu'à ce qu'un explorateur suisse tombe dessus par hasard en 1812.

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Aujourd'hui, le périple pour atteindre Petra est relativement facile. Il suffit de prendre l'avion jusqu'à Amman, payer un taxi 60€ pour atteindre la ville de Wadi Musa, puis marcher jusqu'en bas de la colline où se trouvent les guichets d'entrée. Ah oui, l'entrée est payante. Les Nabatéens ont mis des siècles à construire Petra, ils ont donc eu le temps de penser à mettre des guichets. À l'heure où je vous parle, l'entrée pour deux jours coûte environ 40€. Ne vous plaignez pas, c'est la moitié d'un weekend à Disneyland.

Avec ma femme, on a commencé à descendre la pente douce qui mène au site. Sous une chaleur infernale, on est passé devant une file de vendeurs qui proposaient des ballades sur des chevaux qui n'avaient pas l'air très frais (un peu plus loin, on a vu un panneau avec l'adresse d'un site internet en faveur de la protection des animaux exploités de Petra).

On a fini par arriver au Sîq, l'entrée principale du cœur de Petra. À partir de là, la pente s'inclinait de plus en plus, les murs oppressants se resserraient et les roches devenaient si lisses qu'on aurait presque dit du béton. À certains endroits, le passage ne dépassait pas cinq mètres de large, pour environ 200 mètres de hauteur. Des figuiers tout grêles sortaient des failles de la roche escarpée et les sculptures devant lesquelles on est passés étaient si usées par le temps qu'on en discernait à peine les traits des personnages et de leurs chameaux. Sur les côtés, des sillons creusés au niveau des hanches avaient permis, il fut un temps, d'installer un système d'irrigation et de protéger les habitants des inondations – qui représentent une véritable menace, même par ce temps caniculaire.

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C'est là que j'ai commencé à morfler. Le jour d'avant, en me promenant au bord de la Mer Rouge, j'avais ressenti un petit pincement dans l'oreille interne. Au bout de dix minutes, la douleur était devenue atroce. La solution que j'avais improvisée était de ne plus jamais foutre les pieds à cet endroit précis de la planète. Petra a beau être un peu plus en altitude que le reste des endroits du coin (il s'agit de la zone la plus basse du globe), la pente qui mène au site avait ravivé cette douleur en un clin d'oeil. J'avais l'impression qu'un type mal intentionné venait de m'enfoncer une brindille dans le cerveau.

En arrivant à l'angle qui dévoilait La Khazneh, je douillais sévère. Plus connue sous le nom de « Trésor », cette façade, vestige d'un autre monde, a été taillée de la tête aux pieds directement dans la falaise de grès rose. Sa construction a figé pour toujours les influences gréco-romaines, égyptiennes, et byzantines de Petra. Les prises étaient encore visibles de part et d'autre de la paroi de 50 mètres, comme des empruntes qu'un imprimeur aurait oublié d'effacer. En face, de l'autre coté de l'étendue de sable blanc, une boutique de souvenirs accueillait des touristes abasourdis. Derrière, un morceau de colonne de la taille d'une benne à ordures était posé juste à coté d'une benne à ordure. Peut-être qu'on l'avait foutue là pour la blague.

La Khazneh est le truc le plus dingue que j'ai jamais vu. Enfin un monument connu dans le monde entier qui paraissait plus grand et majestueux en vrai que sur les photos. Comme si les Nabatéens nous disaient :  vous savez quoi, vous, humains qui nous succéderez ? On vous la met bien profond. Le Grand Canyon ? On s'en cogne. L'homme sur la lune ? Naze. On a creusé ces falaises avec de la bonne volonté et quelques pioches. Pioches que l'on a, au passage, fabriquées nous-mêmes avec des cailloux. Et quand venait l'heure de déjeuner ? On faisait du rodéo avec des oiseaux en hurlant « Yabba Dabba Doo ! ». 

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Je suis resté comme un con à observer les moineaux entrer et sortir des petites failles dont la façade était criblée. Pour une cité morte, Petra abrite de nombreuses créatures vivantes. Il y a des animaux partout. Des chats sauvages venaient se frotter aux touristes comme s'ils étaient des distributeurs de bouffe. Des ânes déprimés marchaient péniblement dans le canyon, tête baissée. Toutes les deux minutes, des chevaux hyper balèzes passaient à toute allure, l'air hagard et les couilles pendantes, baladant des touristes dans des chariotes en toiles toutes pourries. Juste à côté de moi, un troupeau de chameaux était arrêté au milieu de la cour ; les bestioles ruminaient leur indifférence devant un parterre d'humains, visiblement conquis. Un peu plus loin, un gamin proposait de faire un tour sur leur dos pour 25 dinar.

La vision arabe du marchandage requiert une certaine diplomatie. Au cours de l'été 2011, la Jordanie a fait son printemps arabe dans un calme relatif, sans la réussite égyptienne ni l'horreur syrienne. Si les avancées politiques demeurent floues, les humiliations économiques font partie du quotidien. Le marchand qui m'a vendu mon bob a affirmé que j'étais un « frère d'une autre mère ». Son rire sonnait faux et son sourire était forcé. Pendant les quelques minutes que m'ont pris l'achat de cet accessoire, j'étais, à ses yeux, l'étranger impérialiste, le parton qui lui tiendrait le couteau sous la gorge éternellement.

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On se faisait agresser tous les 15 mètres par des relous qui voulaient nous vendre des souvenirs ou des balades à dos de chameaux ; aucun d'eux ne comprenaient la signification du mot « non ». On m'a appelé « friend » un nombre de fois incalculable sans la moindre pointe de sincérité, toujours avec une certaine ironie qui signifiait systématiquement « en fait mec, je ne peux pas te blairer ». Ce mot était devenu le slogan de ces adultes forcés à bosser en plein cagnard pour se faire de la thune, en attendant qu'un occidental leur achète une carte postale ou un Coca. En sortant du Trésor, un nouveau loueur de chameaux / chevaux nous a alpagué. « Mon ami, mon ami » criait-il, en nous faisant culpabiliser de refuser ses offres.

« Je me demande à quelle heure de la journée ces types finissent par renoncer », m'a dit ma femme.

Je lui ai répondu : « Au bout d'un moment, ils se harcèlent entre eux et les ânes finissent par monter les chameaux. C'est le gros bordel », mais elle ne m'écoutait pas. Elle avait l'air plus intéressée par mon visage déformé par la douleur.

« Tu sais, Jim Henson est mort comme ça, d'une pneumonie atypique ».

J'ai fait une grimace et la douleur s'est répandue jusqu'à ma mâchoire. Je me suis demandé ce qui se passerait si je faisais une crise cardiaque dans ce bled. Au moins, ça serait un bel endroit pour mourir.

Le passage continuait à descendre, bien au delà du Sîq et de l’amphithéâtre romain. Mes yeux commençaient à pleurer à cause de la souffrance. Les braiments des ânes résonnaient contre les murs du canyon. On aurait dit les cris du Peuple des Sables dans Star Wars. La route a fini par s'élargir et faire un coude vers la gauche, en direction du panorama de la rue Colonnaded. On a marché l'équivalent d'un pâté de maison pour arriver jusqu'aux tombes.

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Elles sont si massives qu'elles compose un quartier entier de cette ville taillée dans la pierre. Malgré la douleur, j'avais l'impression d'être dans un rêve. Ici aussi, les Nabatéens auraient pu nous dire :

Le Trésor ? Ouais, pas mal, pour un gamin d' an. Sérieux, vous n'avez encore rien vu. Attendez de tomber sur le Monastère. Tu dois te taper deux bornes d'escalier sur un putain d'âne mais t'auras l'impression d'avoir sniffé un arc-en-ciel. Ça déboîte.

Je me sentais mal. « Je ne peux pas », ai-je susurré aux peuples antiques, « mon oreille ».

Quoi ton oreille ? Ta gueule. Montre un peu d'endurance. Tu crois qu'on a fait comment. Tu crois qu'on s'est marrés à construire tout ça ? Quand est-ce que tu vas avoir l'occasion de revoir un truc pareil dans ta vie ? Regarde autour de toi. Tu vois des putains de McDonalds et des Carrefours dans le coin ? Non. C'est ici que ça se passe. Fais pas chier.

Alors, j'ai regardé autour de moi. Le chemin continuait au loin. J'avais atteint le point culminant de ma douleur et un long, long voyage de retour jusqu'aux guichets, jusqu'à Wadi Musa, et jusqu'aux urgences les plus proches m'attendait. Il n'y avait pas d'antibiotiques ou d'anti-inflammatoires dans l'univers nabatéen. Je me suis concentré pour essayer d'entendre leur réponse, mais les pierres sont restées silencieuses.

Elles en avaient vu défiler des types comme moi. Des types sans endurance.

SAM McPHEETERS