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Interviews

Dans la tête d’un biker prétendument « malfaiteur » de Lille

Pas tous les jours facile d'être le président d'un gang de motards de la région Nord-Pas-de-Calais.

Photo publiée avec l'aimable autorisation de Bouch et du Chosen Few Moto Club.

Le Chosen Few Moto Club de Lille s'est retrouvé sous le feu des projecteurs en juin dernier lorsque 15 de ses membres ont été arrêtés. Selon les autorités, ce groupe de bikers – dont on ne connaît pas le nombre exact – serait à l'origine d'un vaste trafic d'armes, de drogue et de véhicules entre l'Espagne, la Belgique et la région lilloise. En plus de quelques armes à feu, 600 g d'amphétamines et 800 g d'herbe, une centaine de plants de cannabis ont été saisis lors des différentes perquisitions menées par les enquêteurs et les quelque 230 gendarmes appelés en renfort. Autant dire qu'après ça, la réputation de ces mecs en a pris un sale coup.

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Du jour au lendemain, les Chosen Few sont passés du statut de club de motards somme toute tranquilles à celui de « dangereux gang affilié aux Hells Angels », selon les termes de La Voix du Nord. Cependant, le groupe réfute tout trafic et estime que les charges qui pèsent contre eux « sont exagérées ». Par ailleurs, le MC a été démantelé ; ses membres n'ont de fait plus le droit de porter leurs couleurs, ni de se réunir. Une grande partie des biens ayant pu avoir un rapport direct ou indirect avec le club a ainsi été saisie : motos, gilets et même une péniche.

En rencontrant Bouch, cofondateur et ancien président des Chosen Few, je m'attendais à me retrouver devant un barbu costaud et tatoué : un loubard. Alors certes il n'a pas de barbe et parle très posément, mais il se trouve que Bouch est quand même un impressionnant colosse d'environ 2 mètres pour sans doute, plus de 90 kg. Il a répondu à mes questions en écoutant le Grateful Dead et les Foo Fighters.

Le logo du Chosen Few MC, club de bikers de la région lilloise.

VICE : Salut Bouch. Ça fait combien de temps que tu es membre des Chosen Few MC ?
Bouch : J'ai fondé le chapitre de Lille en 1988 et j'en ai été le président à plusieurs reprises.

Aujourd'hui, le MC lillois ne peut plus se rassembler suite à ses problèmes judiciaires. Néanmoins, aucune charge n'a été retenue contre toi.
J'ai quand même eu le droit à 7 heures de perquisition chez moi ; de fait, pas mal de trucs ont été saisis, dont ma moto et mon gilet. Les enquêteurs nous considèrent aujourd'hui comme une « association de malfaiteurs », donc tout le groupe peut prendre ; on compte bien sûr démontrer que c'est faux. Toutefois en ce qui me concerne, je ne suis pas placé sous contrôle judiciaire.

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Lorsque toute cette histoire a été médiatisée, comment ont réagi tes proches, ta famille, tes collègues ?
Du côté de mes collègues il n'y a pas eu de réaction ou de commentaire. Quant à ma compagne, elle m'a beaucoup soutenu mais elle a aussi été très choquée par tout ce dispositif mis en place par la police et les gendarmes – que ce soit l'intervention ou la perquisition. Cela a été extrêmement éprouvant, surtout pour une femme droite comme elle. Et puis quand tu vois le GIGN et tous les gendarmes débarquer chez toi, c'est difficile.

OK, donc le club est en suspens. Tu ne peux plus voir une partie de tes potes et ta moto a été saisie.
Oui, c'est la misère. Surtout le fait de ne pas revoir certains, ça me prend la tête. Pendant des années le vendredi soir il y avait réunion, puis le week-end on sortait, on allait voir des concerts, etc. Aujourd'hui, on ne peut plus.

Tu as trouvé d'autres passe-temps ?
Je fais beaucoup de musculation et j'ai pas mal de boulot donc je parviens toujours à m'occuper. En plus d'être videur dans un bar lillois, j'ai ma boîte de création de sites web, de flyers, logos, affichage pour vitrines et véhicules. Sinon mon truc ça reste la moto – et j'espère avoir le droit d'en refaire dès que possible.

— GendarmerieNationale (@Gendarmerie)June 15, 2015

Un tweet de la Gendarmerie Nationale, juste après l'interpellation de plusieurs membres des Chosen Few.

À propos de vos sorties : à quoi se résume une soirée entre bikers du Chosen Few ?
Déjà il n'y a pas forcément de bagarres comme on peut l'imaginer. Tu sais, nous pour la plupart, on est soit mariés soit en couple. Et souvent, nos femmes viennent avec nous aux soirées – donc on fait gaffe.

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Mes meilleurs souvenirs, je pense que c'est quand les prospects [les initiés] passent leur baptême pour devenir des Chosen Few. À l'époque, on organisait un gros truc sur la péniche qui nous servait de local. Ça, c'était drôle. Je me souviens d'un mec qu'on avait entièrement peint en bleu et qui était attaché à une corde au-dessus de l'eau.

On a souvent cette image folklorique du motard barbu qui adore se battre et écouter Steppenwolf. Les bikers européens sont différents ou c'est le même style ?
Surtout, il ne faut pas confondre le monde des motards et celui des clubs. Un biker ne fait pas forcément partie des 1 %. Les deux mentalités sont différentes. Si tu veux parler des clubs, les Américains sont plus extrêmes, clairement. Après ouais, on est imprégnés de culture américaine. On a le drapeau sudiste sur notre logo et on roule en Harley. J'ai aussi passé 5 ans à bricoler des bécanes sur Tampa, en Floride.

Qu'est-ce que tu as fait, aux États-Unis ?
J'ai eu un très grave accident de moto à Daytona en Floride, je ne pouvais plus travailler à la suite de ça. Finalement, j'ai repris le boulot là-bas pour une nouvelle marque de deux-roues. Lors des meetings de motards dans le sud des States, je m'occupais de vendre des véhicules – du coup j'ai parcouru la Caroline du Sud et la Floride. Puis je suis rentré en France pour voir ma fille grandir.

Revenons au Chosen Few MC. Les médias lillois ont rapporté que vous étiez affiliés aux Hells Angels. C'est vrai ?
Non, on a toujours revendiqué notre autonomie. Il y a toujours des clubs avec qui on s'entend plus ou moins bien mais nous ne sommes pas affiliés à eux. On se connaît, c'est tout. Les Hells sont beaucoup plus présents au nord de Paris et en Belgique.

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Plusieurs membres du Chosen Few devant une bécane. Photo prise par l'auteur de l'article.

Donc si tu croises un Bandido, les rivaux historiques des Hells, il ne se passe rien ?
J'en sais rien. On se dit bonjour et on se sert la main par respect, c'est la même culture. Mais les Bandidos, c'est plus dans le sud de la France.

J'ai aussi lu dans la presse que vous étiez proches de l'idéologie néonazie.
Pas du tout, nous ne sommes pas des néonazis : le club est apolitique. Les journalistes ont relayé cette info car l'un des mecs du club collectionnait des objets de guerre, et forcément dans le tas il y avait des uniformes allemands. Ça nous a fait beaucoup de mal de lire ces propos dans la presse.

Tu disais tout à l'heure que vous aviez le drapeau confédéré sur votre logo, ça peut aussi porter à confusion.
Nous, on voit en ce drapeau le côté rebelle, et c'est pareil pour les autres clubs qui le mettent en avant. Rien à voir avec la Guerre de Sécession donc. Le chapitre lillois a simplement récupéré les couleurs du Chosen Few, car le club existait avant nous.

Finalement tu sembles très calme, ce n'est pas vraiment l'image que j'avais d'un biker.
Avec mon métier de videur il faut toujours rester calme. Néanmoins si tu franchis un certain cap, au bout d'un moment ça finit par péter. Il faut tout de même pousser le bouchon. Toutefois ça m'arrive de devoir me battre avec des types bourrés ou violents, mais c'est pour le boulot. Dernière question : Sons of Anarchy est une série qui te paraît réaliste ?
Ces mecs ont réalisé ça avec l'aide d'un club de motards donc on retrouve pas mal de détails bien précis, notamment dans la hiérarchie du club. Après bien sûr, c'est romancé et il n'y a pas de fusillades toutes les 10 minutes.

OK, merci beaucoup Bouch.