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Un directeur marketing m’a payé pour que je gère son profil sur des sites de rencontres

Ses tarifs étaient plutôt OK : 20 € pour chaque rendez-vous obtenu, 80 € pour une relation sexuelle, et 8 100 € pour un mariage.

Mon premier boulot d'adulte était chiant comme la pluie. Vers 20 ans, j'ai décidé que ma future carrière se ferait dans le monde impitoyable du marketing. J'ai postulé pour un job consistant à faire du référencement internet et à écrire des communiqués de presse pour une entreprise canadienne évaluée à plusieurs milliards de dollars. Leur argent provenait de la vente de logiciels spécifiques à des industries de niche pour quelques dizaines de milliers de dollars. J'étais bien payé, mais mon travail était terriblement ennuyeux. Pour casser la monotonie du quotidien, je prenais parfois des petites pauses pour me balader dans le bureau – c'est comme ça que j'ai appris à connaître mes collègues.

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L'un des dirigeants de la boîte bossait dans la vente – pour préserver son anonymat, je l'appellerai « Tim ». Au bout d'un moment, nos conversations se sont tournées vers l'un des trois sujets les plus populaires du monde de l'entreprise : les femmes, le sport et la météo. Tim m'a confié qu'il avait des soucis sentimentaux, et il m'a expliqué à quel point il était difficile pour lui de rencontrer des filles, notamment parce qu'il travaillait comme un forcené. Puisqu'il avait la quarantaine bien tassée, Tim ne connaissait pas bien Internet – et encore moins les sites de rencontres, dont il n'avait alors jamais entendu parler. Il était un peu réticent à l'idée de rencontrer des inconnues en ligne. Il pensait toujours que le processus était similaire au fait de répondre à une annonce dans un journal, où il devrait lire un texte entier publié en ligne sur une personne et correspondre pendant des semaines entières avant de se donner rendez-vous dans la vraie vie, tout en nourrissant l'espoir qu'aucun d'entre eux ne soit grossièrement défiguré ou psychopathe.

Tim n'avait jamais entendu parler d'OKCupid, le site de rencontres en ligne gratuit qui vous associe avec des rendez-vous potentiels en se basant sur vos réponses à des tests de personnalité déconneurs. Je lui ai expliqué le concept et bien qu'il était intéressé, il m'a dit que ça lui semblait difficile à gérer en plus de son boulot. J'ai eu une illumination : j'ai dit à Tim que j'avais la solution, avant de lui proposer de devenir son Cyrano de Bergerac 2.0.

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Nous avons décidé que je m'occuperai de créer et de gérer son profil et que je correspondrai avec n'importe quelle femme que nous arriverions à séduire. Enfin, j'organiserai les rendez-vous pour lui. J'agirai comme une sorte d'assistant personnel en programmant ses soirées dans son agenda et en lui fournissant une sorte d'antisèche avec toutes les informations les plus pertinentes sur son rancard : le lieu où elle travaillait, ses hobbies, et quelques informations à placer avec désinvolture au détour d'une conversation. Nous avons convenu d'un taux standard pour chaque palier qu'il atteindrait avec un rendez-vous : Je recevrais 20 € pour chaque rendez-vous pris, 80 € s'ils finissaient par coucher ensemble, 160 € si cela conduisait à une véritable relation, 4 000 € pour des fiançailles et 8 100 € pour un mariage.

Tim n'était pas vraiment un type attirant. Dans le bureau, son surnom était Shrek et il lui correspondait bien. Il était petit, chauve, maladroit et s'habillait assez mal. Créer un profil en ligne pour lui était un énorme défi, donc la seule solution possible que j'ai trouvée était de se concentrer sur la vérité : Il avait beaucoup d'argent, et pas mal de boulot. C'était un homme très important qui n'avait pas le temps pour une vie sociale et qui recherchait désormais quelqu'un pour partager son temps et sa fortune. J'ai dû utiliser le mot « dirigeant » une bonne douzaine de fois dans son profil. Après quelques heures d'écriture et de réécriture et après avoir téléchargé les trois seules photos existantes de Tim en costume, le profil était fin prêt.

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Illustrations : Adam Waito

Les utilisateurs d'OKCupid savent que l'ampleur de leur succès dépend à quel point leur score est compatible avec l'autre. Ce score est calculé grâce à des tests de personnalité qui saisissent vos véritables intentions et vos traits de caractère. Je les ai remplis du mieux que je pouvais, utilisant les connaissances que j'avais glanées au cours de conversations avec Tim et en me fondant sur ce que je l'avais vu faire au bureau. Je savais qu'il cherchait une relation à long terme (qui, avec un peu de chance pour moi, aboutirait à un mariage) et qu'il était allergique à la plupart des animaux de compagnie.

J'ai répondu aux questions pour essayer de renvoyer l'image d'un homme spirituel mais pragmatique, un juif kabbaliste pratiquant, charitable mais réservé – chose que j'avais observée quand il arrivait au bureau avec un petit-déjeuner pour toute l'équipe, avant de se retirer dans son bureau jusqu'à 17 heures. Lentement, j'ai reconstitué le portrait semi-exhaustif d'un homme avec qui j'avais dû parler une heure grand maximum.

Entamer des conversations avec des femmes avec le profil de Tim s'est avéré bien plus facile que ce que je pensais. Bien qu'il était objectivement handicapé par son physique, les femmes semblaient respecter le fait qu'il cherche quelque chose de sérieux et qu'il soit prêt à fonder un foyer. La plupart des femmes étaient proches de la quarantaine et étaient très réceptives aux messages de Tim. La majorité des femmes qui ont parlé avec lui ont accepté son invitation pour un rendez-vous après six messages. Après le premier jour, l'agenda de Tim comportait quatre rendez-vous qui allaient s'étendre sur le reste de la semaine et le week-end.

Apparemment, le premier rendez-vous était horrible. C'était une institutrice remplaçante qui cherchait quelqu'un pour l'aider à élever son enfant de 6 ans, une chose que, par inadvertance, j'avais oublié de demander et d'inclure dans les antisèches de Tim. Il n'était pas ravi et m'a appelé à 22 heures pour me passer un savon après l'avoir déposée chez elle. Le deuxième rendez-vous s'est mieux passé : Ils se sont rendus dans un restaurant assez chic et dans une boîte de strip-tease pour se payer une lapdance, avant de rentrer chez eux. Tim s'était amusé mais il semblait évident qu'elle l'avait profité de lui et de sa carte bleue. Le troisième rendez-vous s'est avéré être le meilleur. C'était une collectionneuse d'art qui possédait une balançoire sexuelle dans son appartement en centre-ville, une chose que Tim a pris soin de m'expliquer en détail le lundi matin.

Finalement, j'ai changé de boulot, mais quand j'ai recroisé Tim deux ans plus tard, il m'a annoncé une bonne nouvelle. Il s'était apparemment fiancé avec Madame Balançoire Sexuelle et allait se marier l'année suivante. Je l'ai félicité et je lui ai nonchalamment rappelé le deal que nous avions passé presque trois ans auparavant. Honteux de son étourderie, Tim s'est excusé et m'a fait un chèque de 4 000 € sur le champ, ce qui prouvait que j'avais eu raison de le qualifier de « charitable » dans ses tests de personnalité. Le mariage n'a jamais eu lieu pour des raisons que j'ignore, mais j'imagine que c'est pour le mieux. Si Tim pouvait se fiancer au moins deux fois avant de se marier, je serais capable d'avoir un bel apport pour me payer mon propre appartement en centre-ville – mais sans balançoire sexuelle.

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