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Dans les coulisses de la guerre secrète en Ukraine

Photos : VICE News

À minuit, aux abords du conflit sanglant en Ukraine orientale, le ciel est rempli de feux d'artifice rouges tandis qu'on entend des chiens japper et le crépitement des fusillades.

Avdiivka, un petit village de la région du Donbass, est criblé de trous de balle. Son ciel est rempli de drones rendus visibles la nuit par les tirs continuels de balles traçantes qui tentent de les abattre.

Ici, la ligne de front qui oppose les séparatistes prorusses et les Ukrainiens n'a pas beaucoup changé dans la dernière année. La situation est une impasse totale et les positions de combat en bois ressemblent à des tranchées de la Première Guerre mondiale. Et dans le sol de ce conflit insoluble, une guerre invisible a pris racine.

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Depuis le début du conflit entourant la Crimée en 2014, Vladimir Poutine a déployé ses « Petits hommes verts » non identifiés, surnom utilisé pour désigner les soldats armés sans insigne officiel qui se sont pointés sur la péninsule désormais contrôlée par le Kremlin. Et selon plusieurs, ce sont des soldats de ce type qui seraient parmi les séparatistes dans la région du Donbass.

Mais les activités clandestines ne sont pas le fait d'un seul camp. Lors d'un récent passage à Avdiivka, VICE News a obtenu la rare permission de suivre des commandos sur les premières lignes du conflit qui en est maintenant à sa deuxième année. Plus tôt cet été, à bord d'un véhicule de type Brinks converti en cage de fer blindée sans ceintures de sécurité, j'ai interviewé ces soldats d'élite tandis que nous nous déplacions sur les routes cahoteuses de l'Ukraine orientale.

Bien qu'on y était pour réaliser un documentaire d'enquête sur les effets de la mission canadienne d'instruction en Ukraine, la conversation a vite tourné vers leurs propres missions, secrètes ou non.

Cagoulés et armés de fusils d'assaut kalachnikov, ils nous ont parlé sous couvert d'anonymat par crainte que des agents de renseignements russes puissent les identifier.

Ces soldats m'ont rappelé d'autres agents spéciaux occidentaux à qui j'ai parlé dans le passé. Ils avaient une réflexion sur la guerre beaucoup plus existentielle que celle d'un soldat moyen, tout en ayant la valeur ajoutée de donner l'impression qu'ils avaient déjà participé à des opérations particulièrement secrètes et violentes. Les commandos ukrainiens me demandaient constamment ce que je pensais d'eux, et ma réponse était toujours la même : « vous avez l'air vraiment fatigués de vous battre ».

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À chaque fois, ils hochaient la tête en signe d'approbation. Ils étaient beaucoup trop habitués à la bouffe de soldat terrible que nous mangions, qui consistait principalement en une imitation de kolbasa, et aux cratères d'obus sur lesquels on roulait régulièrement et qui nous projetaient tête première dans le toit en acier rouillé du véhicule blindé.

Dans une entrevue ultérieure, un membre des opérations spéciales ukrainiennes nous a dit que les commandos effectuaient des assassinats ciblés derrière les lignes ennemies dans la région du Donbass, impliquant l'identification et l'élimination de membres particuliers du camp séparatiste.

« Assassinat ciblé » : c'est l'expression qu'emploient les forces spéciales pour parler de frappes chirurgicales visant à tuer des officiers ennemis haut gradés ou d'autres cibles comme des tireurs d'élite ou des fabricants de bombes.

D'après ce même soldat, les agents spéciaux ukrainiens procèdent également au sabotage ou à la destruction d'infrastructures contrôlées par les séparatistes afin de nuire aux performances de l'ennemi sur le champ de bataille.

« Les Forces d'opérations spéciales ukrainiennes ont l'habitude de créer des diversions en profondeur dans le territoire ennemi », a affirmé notre source, ajoutant que cela comprend le sabotage de stations d'essence ou la destruction de « fournitures ou de [technologies] militaires coûteuses, comme des postes de guerre électronique ou de renseignements électromagnétiques ». Il a également affirmé que ces opérations sont souvent faussement rapportées par les médias ukrainiens comme étant des attaques réussies « de guérillas pro-ukrainiennes », mais que son unité connaissait « la vérité ».

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Leurs actions dans le contexte plus large du conflit ukrainien ont été dévoilées lorsque la Russie a accusé les mêmes types de commandos ukrainiens d'avoir comploté pour saboter des infrastructures essentielles en Crimée. Les autorités russes prétendent avoir capturé un homme nommé Yevhen Panov, bien que Kiev nie qu'il soit l'un de ses agents spéciaux.

La Russie accuse Panov d'être membre d'un cercle de renseignements ukrainiens en Crimée faisant la promotion de « terrorisme » et de « sabotage » potentiels dans la péninsule, incluant le meurtre d'un employé du service de renseignements russes et d'un soldat. Les autorités russes prétendent avoir capturé Panov avec des explosifs.

Un autre commando ukrainien m'a dit sur le terrain qu'il aurait non seulement combattu, mais aussi tué des agents d'élite russes des Spetsnaz dans la région de Donetsk — les Spetsnaz étant l'équivalent russe des membres d'élite américains des Navy SEAL ou de la Delta Force. Le Kremlin nie fermement ces allégations.

VICE News a communiqué avec une source diplomatique russe à propos de la présence de Spetsnaz dans la région du Donbass, mais n'a toujours pas eu de réponse.

Réciproquement, les mêmes agents spéciaux ukrainiens, contrairement aux allégations du Kremlin, nient qu'ils se rendent en Crimée, et ce, pour deux raisons.

« D'abord, à cause d'une décision politique », m'a-t-il dit, évoquant l'ordre de ne pas entrer sur le territoire contrôlé par la Russie par peur d'intensifier une impasse déjà précaire entre Kiev et Moscou. « Ensuite, à cause de la situation tactique en Crimée. La péninsule est occupée par le [Service fédéral de sécurité], la police et l'armée. Nos hommes ne sont pas un commando suicide. »

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Matt Rojanksy, directeur du Kennan Institute au Wilson Center à Washington et spécialiste du conflit en Ukraine, explique que les combats qui ont actuellement lieu dans la région du Donbass ne peuvent être vus que comme une « guerre » à « ébullition lente ».

« Les choses se sont stabilisées en une forme de guerre de tranchées rappelant la Première Guerre mondiale ou la fin du 19e siècle », a affirmé Rojansky en entrevue avec VICE News. « Et ça a entraîné beaucoup de morts et la destruction d'infrastructures, empêchant essentiellement toute possibilité de mise en œuvre d'un cessez-le-feu ou de reconstruction. La reconstruction de lignes électriques, de conduites d'alimentation en eau, d'écoles. Le genre de choses qui sont nécessaires pour servir la population. »

Le protocole de Minsk en vigueur — l'accord de cessez-le-feu entre l'Ukraine et les séparatistes soutenus par la Russie — est perçu comme un échec, tandis que des observateurs rattachés à l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe font état de fusillades, de tirs d'artillerie et de mortiers quotidiens entre les militaires ukrainiens et les séparatistes.

J'ai été témoin de tels combats lourds lors de cette excursion accompagnée aux premières lignes de la zone « prom » d'Avdiivka, la zone de combat la plus active de tout le conflit. Plusieurs commandos ukrainiens ont dit qu'ils considéraient que l'accord de Minsk était une « blague ».

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L'intensification de l'impasse géopolitique signifie, pour les soldats ukrainiens ordinaires, des visites prolongées sur les premières lignes en Ukraine orientale, un résultat du fait que le conflit a changé le rôle des USOF au sol et a entraîné une professionnalisation des militaires ukrainiens en général.

« Au tout début de la guerre, [les Forces spéciales ukrainiennes] étaient souvent utilisées comme unités de choc conventionnelles étant donné le manque de soldats bien entraînés et expérimentés. La plupart de nos agents spéciaux ont pris part à la libération de villes du Donbass », a-t-il dit, ajoutant que grâce à l'entraînement fourni par l'Occident et l'expérience de combat, les troupes régulières peuvent dorénavant participer à des missions plus offensives visant des cibles séparatistes particulières.

En même temps, il semblerait presque impensable que certaines de ces potentielles cibles secrètes visées par les militaires ukrainiens se trouvent en Crimée, puisque cela provoquerait presque assurément le déclenchement d'une guerre totale avec la Russie. Et pourtant, des membres des forces spéciales ukrainiennes m'ont affirmé qu'ils voient Donetsk comme étant en territoire ukrainien, et donc comme étant une cible légitime pour les opérations militaires.

Ultimement, toute guerre totale avec la Russie n'aurait en toute probabilité qu'une issue possible.

« Si nous déclarons officiellement la guerre à la Russie, cette guerre-là va probablement durer une semaine », a lancé le commando ukrainien. « Parce qu'on peut dire que la Russie a assurément des forces plus puissantes. »

Avec des fichiers de Sofi Langis

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