Ellroy LAPD 53

FYI.

This story is over 5 years old.

Culture

On a discuté avec James Ellroy, le boss du polar

L'écrivain américain nous a parlé des gloires passées du Los Angeles Police Department et de sa fascination pour le crime.
james-ellroy-interview-body-image-1432118599

Droits réservés © 2015 Los Angeles Police Museum

James Ellroy a la manie de se présenter comme « le chien de l'enfer, le corbeau au grognement morbide, le chevalier blanc de l'extrême droite, le malin farceur à la bite de cheval ».

Né en mars 1948, il est l'auteur de plus d'une dizaine de romans – parmi lesquels L.A. Confidential et Le Dalhia Noir –, ce qui en fait un aspirant sérieux au titre de plus grand écrivain de romans policiers de notre époque. L'homme est aussi historien et féroce défenseur du Los Angeles Police Department.

Publicité

Son oeuvre la plus récente, LAPD '53, a été réalisée en collaboration avec Glynn Martin du Los Angeles Police Museum. S'ils avaient au départ envisagé de produire un récit photographique sur l'histoire des forces de l'ordre de Los Angeles, après avoir épluché les archives, ils ont remarqué que l'année 1953 était, à elle seule, assez riche en clichés de scènes de crimes. Dans les récits qui décrivent chaque crime, la prose d'Ellroy est follement divertissante, souvent hilarante et pleine de sarcasmes.

Cependant, le livre est également imprégné de ce qu'il appelle sa « nostalgie réactionnaire » – sa conviction immuable que l'Amérique serait débarrassée de ses maux actuels si elle revenait au conservatisme des années 1950.

J'ai appelé l'écrivain afin de savoir si le fait de se pencher sur des clichés de corps mutilés vieux d'un demi-siècle avait stimulé son inspiration, si Los Angeles était toujours une « zone à pervers » et s'il pensait que la police américaine avait besoin d'être réformée après les morts de Michael Brown, de Eric Garner et de tant d'autres.

james-ellroy-interview-body-image-1432118685

Droits réservés © 2015 Los Angeles Police Museum

VICE : LAPD '53 est rempli de récits de violence, de débauche et de mort. Qu'est-ce que le Los Angeles de 1953 a de si particulier qu'il a généré de telles histoires ?
James Ellroy : Los Angeles est une ville qui a attiré des migrants de tous les coins de l'Amérique et du monde. Certains l'ont surnommé la terre des tantouzes et des barges. C'est un endroit un peu fou. L.A. s'est légèrement écarté de l'axe de la planète Terre à cause du nombre absolument hallucinant de gens qui cherchent à être quelqu'un d'autre.

Publicité

En 1953, tout le monde – que ce soit les policiers, les médecins, les dealers et les joueurs de jazz junkies – voulait travailler pour les studios de cinéma. Tout était en ébullition. Je suis content que mes parents m'aient mis au monde ici.

james-ellroy-interview-body-image-1432218148

Droits réservés © 2015 Los Angeles Police Museum

Au début du livre, un cliché montre un homme pendu revêtu d'un maillot de bain féminin, d'un bonnet de bain et de bottes blanches. Ca semble être une façon bien angelenos de se suicider.
Ouais, ça s'est passé à Laurel Canyon, sorte de zone à pervers au sein de la zone à pervers qu'est Hollywood, quartier d'une ville qui regroupe les plus gros pervers de la planète.

L.A. est toujours une « zone à pervers » ?
C'est toujours une zone à pervers mais ce n'est plus une zone à pervers que je reconnais ou dans laquelle j'arrive à trouver de l'intérêt. J'avais cinq ans en 1953, donc je n'ai pas pu témoigner de grand-chose, mais dans mon imaginaire, je vis aussi loin que remontent L.A. et le Los Angeles Police Department. Je ne raffole plus du L.A. que je vois aujourd'hui.

Pourquoi pas ? Vous ne voulez pas d'une société plus autoritaire ?
Je veux toujours plus d'autorité ! Mettons ça au clair tout de suite. L.A. est trop explicite aujourd'hui. Il y a trop de gens. Il y a trop de voitures. Il y a trop de gens qui se baladent dans la rue en vérifiant leurs mails et leurs SMS. Il y a une affiche géante en faveur des rapports protégés non loin de là où j'habite avec une photo d'un préservatif avec les mots « Pourquoi se faire du souci ? » inscrits dessus. C'est trop explicite pour moi.

Publicité
james-ellroy-interview-body-image-1432118714

Droits réservés © 2015 Los Angeles Police Museum

Quelle est votre histoire préférée de LAPD '53 ?
L'Affaire Mabel Monohan [le meurtre d'une veuve de 64 ans que l'on croyait héritière d'une fortune en cash]. Je suis entré en détails dans l'histoire. Le LAPD m'a aidé sur cette affaire, mais le crime est en réalité survenu à Burbank, une banlieue de L.A. qui a son propre département de police. Le sujet a été transformé en une pleurnicherie anti-peine de mort ridicule qui s'appelle Je Veux Vivre ! avec Susan Hayward réalisé par Robert Wise. Il y a une B.O. formidable de Gerry Mulligan, le roi du saxo baryton. C'est une vraie B.O. de drogué. Ça m'a donné envie de me piquer.

Qu'est-ce que l'affaire Monohan a de si particulier ?
Sa brutalité. Ils ont tabassé à mort une vieille femme pour un butin de 100 000 dollars qui n'a jamais réellement existé. Aussi, les deux tueurs, Jack Santo et Emmet Perkins, avaient déjà tué six personnes dans le comté de Sacramento, dont une famille entière : un épicier, sa femme et deux de ses enfants. Barbara Graham, Jack Santo et Emmet Perkins ont tous été envoyés à la chambre à gaz en 1955.

Ces dernières années, certains actes de policiers américains ont conduit à l'accroissement des tensions et du mécontentement social. La police américaine doit-elle être réformée ?
Non, je ne pense pas que la police doive être réformée.

Dans votre livre, vous écrivez : « Si les taux de criminalité sont plus élevés dans les quartiers noirs et mexicains, ces populations autochtones vont soutenir un niveau de répression plus élevé. Ladite répression apportera plus de sécurité pour la majorité de la population de ces quartiers respectueuse de la loi. Tant pis si ceci génère un sentiment de persécution. La criminalité est un abandon individuel de moralité, d'ampleur épidémique. Ses racines profondes n'entrent pas en ligne de compte. Votre enfance merdique et les faits établis du racisme à travers l'histoire n'ont aucune incidence. » N'est-ce pas exactement cette attitude qui a causé des émeutes à travers les États-Unis ?
On va s'en tenir là. Je ne ferai aucun commentaire sur les États-Unis ou sur le travail des forces de l'ordre. En ce qui me concerne, on ne parle que de 1953. Quand je me balade en voiture et que je regarde par la fenêtre, je vois le Los Angeles de 2015, et ça ne me plaît pas. En 1953, je n'étais pas conscient de quoique ce soit en dehors de mon berceau, mais si je pouvais sauter dans une machine à remonter le temps et y vivre, je le ferais sans réfléchir.

Publicité
james-ellroy-interview-body-image-1432118814

Droits réservés © 2015 Los Angeles Police Museum

Une des histoires du livre concerne un homme nommé Edward Gonzalez, qui a été tué par balles alors qu'il fuyait la police après s'être fait interpeller en possession d'héroïne. Vous écrivez : « C'était un boulot propre. On était en 1953. C'était comme ça, à l'époque. Le monde était plus propre qu'il ne l'est aujourd'hui. Un petit coup de filet, un seul coup de feu. » Vous pensez sérieusement que c'est une bonne manière de maintenir l'ordre dans la société ?
Il s'est enfui, ils l'ont dégommé. Si tu vis comme un détraqué, tu meurs comme un détraqué, mon pote.

Vous écrivez qu'une partie de l'attrait de ces photos est qu'elles « permettent de voyager dans le temps. On retourne à une époque moins prudente, contrainte par des lois rigides auxquelles on croit mais qu'on viole en un clin d'œil. La tise et le tabac ne sont pas encore diabolisés. » Vous ne pensez pas que, en 1953, il était très bien que les gens puissent vivre en paix ?
Il y a ça, mais je conseille à tous le monde de ne pas boire d'alcool, de fumer du tabac ou de prendre des drogues. On était très contraints, à l'époque, de ne pas le faire. Je pense que ce serait une bonne chose de réaffirmer ces messages.

William H. Parker, le chef du LAPD, est un personnage central du livre. Pourquoi lui avoir donné un rôle si important ?
J'adore William H. Parker. C'était le héros de ma dernière nouvelle, Perfidia, mais j'ai aussi souhaité lui dédier une ode sous forme d'essai et parler de sa ville. Et je l'ai fait. C'était un homme aux paradoxes titanesques, mais c'était un grand réformateur. Il a placé le LAPD sous des normes strictes de service public. Il a évincé la corruption. Il a fait du LAPD un club très exclusif de jeunes hommes extrêmement bien qualifiés.

Publicité
james-ellroy-interview-body-image-1432218173

Droits réservés © 2015 Los Angeles Police Museum

Aviez-vous déjà utilisé des photos de scènes de crimes pour vos recherches pour vos romans Le Dalhia Noir, Le Grand Nulle Part ou L.A. Confidential ?
Non, ce projet n'a rien à voir avec mes œuvres de fiction. Soit j'embauche des chercheurs pour élaborer des fiches d'information, soit j'invente tout de A à Z. Ça, c'était très différent. C'était une enquête intense en vue d'obtenir les meilleures photos et les meilleurs faits les concernant.

Vous avez développé un ton de narration unique au fil des ans. Dans LAPD '53, il semble encore plus poussé que d'habitude.
Cette oeuvre est une version raccourcie, tassée et plus incendiaire de ce que je fais d'habitude. Dans mes derniers romans, j'avais considérablement relâché mon emprise.J'adore le dialecte américain. J'adore les invectives raciales. J'adore les allitérations. J'adore le yiddish. J'adore le patois des jazzmen hipsters. J'adore toutes ces conneries.

Certaines histoires que vous avez découvertes lors de vos recherches pour ce livre vous ont-elles inspirées pour un futur roman ?
Non. J'ai écrit LAPD '53 car, en assemblant ces photographies de 1953, ça nous permettait de rendre hommage à William H. Parker et de faire son éloge. Aussi, les photos en elles-mêmes sont juste incroyablement belles.

LAPD '53 est disponible aux éditions Harry N. Abrams

VICE France est aussi sur Twitter , Instagram , Facebook et sur Flipboard.