Comment mes pronos m'ont emmené dans le plus féroce derby de Suède

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Kopland

Comment mes pronos m'ont emmené dans le plus féroce derby de Suède

A un moment donné, la plupart d'entre nous avons ressenti une affection particulière pour une équipe qui nous a permis de gagner de l'argent. Mais cette passion est-elle plus forte qu'un périple en Suède ?

Il est indéniable que les jeux d'argent sont aujourd'hui intimement liés au football moderne. Les noms des sites de paris sont imprimés sur les maillots et les panneaux publicitaires et à la mi- temps, il n'y a pas une page de pub sans qu'une star ne vous recommande de « parier là- dessus » alors qu'apparaissent à l'écran les dernières cotes des matches.

Pour le meilleur ou pour le pire, ces aspects font aujourd'hui partie du sport. Mais parier peut aussi déboucher sur des situations assez inattendues. Exemple : je me suis récemment embarqué dans un pèlerinage en Suède, où je suis allé voir une équipe que je connaissais à peine jouer contre l'équipe rivale de la même ville lors d'un des plus gros derbys scandinaves.

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Pour moi et pour beaucoup d'autres, parier fait partie du rituel du samedi, que ce soit en lâchant un petit biffeton de cinq sur un pari groupé avant de regarder le match avec les potes, ou en essayant d'avoir la 4G dans le stade où je suis, pendant la mi-temps, afin de vérifier les scores tout en fumant une clope.

Je suis un fan de football étranger depuis l'émission mythique de la Channel 4 Football Italia. Mais en ce qui concerne les paris, je misais toujours mon argent sur le football anglais et les équipes que je connaissais en essayant d'utiliser mes connaissances et mon intuition pour gagner.

Cependant, j'ai récemment commencé à regarder au-delà de l'Angleterre – et le monde est grand – et à parier sur des matches à l'étranger. Après m'être intéressé aux analyses de statistiques afin de prédire les résultats, je me suis joint à quelques-uns de mes amis pour verser un peu d'argent afin d'ouvrir un groupe de parieurs. Notre objectif était de faire du profit en suivant un modèle de pari basé sur les statistiques.

Des sites tels que Soccerway et Soccerstats ont rendu accessible au grand public les résultats des matches ainsi que les états de forme des équipes et les statistiques. Ces sites ne couvrent pas seulement les ligues les plus importantes, mais aussi des compétitions de tous les niveaux à travers le monde. Cela signifie que l'on peut étudier les statistiques, de la Premier League anglaise à la deuxième division ouzbek, jusqu'à la division d'honneur guadeloupéenne. Ceux qui s'intéressent au football européen sont sans doute familiers de la Jupiler League ou de la D2 hollandaise, mais tous ne savent peut-être pas que c'est un véritable festival de buts, avec environ 3,5 buts par match en moyenne. Inversement, la première division russe est toujours un pari sûr quand il s'agit de matches à petits scores, avec 1,89 buts par match en moyenne. Mais pour nous, il n'y avait qu'une ligue.

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Au mois de mai de l'année dernière, alors que la majorité des ligues européennes piquaient du nez, il y a une ligue qui a retenu notre attention : l'Allsvenskan. Lorsqu'on a appris que 82% des matches se soldaient avec deux buts ou plus et que dans 60% des cas les deux équipes marquaient, elle est immédiatement devenue notre chouchou.

L'équipe de Malmö // PA Image

Lorsqu'une équipe vous fait gagner un pari, il est naturel de développer une certaine affection pour elle. C'est l'une des règles du jeu, tout comme ne pas parier sur sa propre équipe et le fait qu'on finit toujours par haïr l'équipe qui nous fait perdre un pari groupé (je suis toujours convaincu que c'est l'une des raisons pour lesquelles tout le monde déteste Leeds).

Ainsi, après quelques coups gagnants, je me suis retrouvé à suivre attentivement les résultats de Djurgården. Je n'ai pas le moindre lien avec la ville de Stockholm ou son club, mais ils m'ont été favorables. J'ai commencé à les soutenir et, bien que ce ne soit pas pour des raisons romantiques au sens traditionnel du terme, c'est devenu mon équipe.

Comme beaucoup d'autres, la ligue suédoise est en évolution permanente : ses plus grandes stars s'envolent inéluctablement vers de plus beaux horizons, alors que les stars tirant sur la fin sont accueillies dans leur patrie pour y jouer leurs dernières saisons. Des joueurs comme Zlatan Ibrahimovic et Freddie Ljungberg y ont brillé pendant leur jeunesse, mais sont vite passés à des choses plus sérieuses. À l'inverse, l'ancien défenseur de Plymouth Argyle, Kari Arnason, et Markus Rosenberg, un attaquant qui n'a pas fait tremblé les filets une seule fois en 28 matches avec West Brom sont tous deux venus à Malmö. L'IFK compte dans ses ranges Thomas Rogne, un ancien du Celtic et de Wigan, tandis que Hammarby est dirigé par Kennedy Bakircioglu, porte-bonheur du club (et légende de Football Manager). Même mon club d'adoption n'est pas en reste : ils ont Andreas Isaksson comme gardien, qui a quitté Manchester City au moment où les pétrodollars ont commencé à arriver.

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De plus en plus amoureux du club, j'ai décidé que je devais aller voir Djurgården jouer en vrai, et les vénérer dans le temple du Tele2 Arena. J'ai choisi le derby local – plus connu sous le nom de Tvillingderbyt – au cours duquel l'équipe rencontre son rival de la ville, l'AIK, comme match à voir, entraînant avec moi un de mes amis du groupe de parieurs.

Après avoir atterri à Stockholm et laissé nos bagages à l'hôtel, nous nous sommes rendus dans un bar pour attendre un ami suédois de l'université qui devait nous servir de guide. Après une pinte d'IPA à 15 euros, nous avons pris le métro pour Globen où nous avons été assaillis par une clameur et une tension palpable, le tout dans dans une ambiance enfumée.

Fondées à trois semaines d'intervalle, les deux équipes se sont rencontrées pour la première fois en 1899 et depuis se sont fait face 167 fois, l'AIK remportant le bras de fer avec 62 victoires contre 53 pour Djurgården. Mais c'est bien plus qu'un derby local : ce bras de fer est vu comme une lutte entre la classe moyenne (Djurgården) et la classe ouvrière (AIK) de Stockholm. À cet égard, cela rappelle des rivalités basées sur les classes sociales comme entre l'Inter et le Milan AC, l'Ajax et Feyenoord, ou encore River Plate et Boca Juniors.

Alors que nous faisions la queue pour la fouille, notre ami suédois nous a traduit un chant que l'on entendait qui, en gros, parlait de ''poignarder la racaille.'' Nous nous sommes regardés avec appréhension, surtout le traducteur lui-même, qui était un fan de l'AIK. Étant donnée la sécurité intense présente autour du stade, je m'attendais à ce qu'il n'y ait ni pétards ni fumigènes dans le stade. J'avais tort.

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En nous installant dans la tribune domicile, nous avons immédiatement été frappés par le bruit alors que les ultras orchestraient déjà les chants. La tribune était inondée des couleurs de Djurgården, quelque chose qui me semblait bizarre à moi, supporter anglais, plutôt habitué à voir peu de gens portant le maillot du club au stade. J'ai d'ailleurs toujours trouvé étrange que des adultes portent les couleurs de l'équipe, mais voir trois-quarts du stade en jaune, vert et bleu était incroyablement impressionnant.

Pendant ce temps, le volume continuait d'augmenter, uniquement égalé par le niveau d'hostilité flottant dans l'air. Lorsque les équipes sont rentrées sur le terrain, les ultras ont commencé leur tifo, spectacle complexe effectué par les supporters (plus populairement utilisé ces dernières années par le ''Mur Jaune'' de Dortmund et leur homme aux jumelles avant la demie-finale de la Champions League en 2013).

Alors que la bannière avec son personnage était hissée, les supporters autour de nous ont commencé à agiter des drapeaux bleus avant que ne soient allumées deux fusées. Dans les photos que l'on a vues après le match, ce qui ressemblait à un chaos effroyable depuis la tribune avait l'air spectaculaire de loin. La fumée était tellement épaisse que le coup d'envoi a été retardé. Il en fallait plus pour arrêter les ultras qui continuaient à brailler des instructions et des chants dans leurs microphones, exhortant toute la tribune à tout donner. J'ai chanté de toutes mes forces, même si je ne parlais pas la langue, hurlant des mots qui ressemblaient plus ou moins au suédois que j'entendais.

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De manière assez inquiétante, un certain nombre de fans autour de moi a commencé à mettre des cagoules, et quelques secondes après, il y avait des fumigènes partout autour de moi. La sécurité à l'entrée du stade n'était clairement pas au niveau de l'opération orchestrée par les ultras.

Lorsque le match a enfin commencé, l'atmosphère mise en place par les supporters de Djurgården ne ressemblait à rien de ce que j'avais pu voir auparavant dans un stade de foot, et encore moins dans le football anglais. Malheureusement, l'équipe sur le terrain ne démontrait pas la même qualité que ses supporters et était menée 1 à 0 après 15 minutes de jeu. Le but avait été marqué par Alexande Isak, dont c'était le 17ème anniversaire le jour-même. Le très convoité jeune homme a été baptisé le 'nouvel Ibrahimovic', et il a fait preuve de la même personnalité provocatrice que la star de Manchester United en célébrant son but devant les supporters à domicile. On lui a balancé des drapeaux et des verres en plastique qui sont venus mourir sur le filet de sécurité qui sépare les supporters de la pelouse.

Après un deuxième coup d'envoi retardé après la mi-temps à cause d'autres fumis, la performance de Djurgården s'est encore affaiblie. Ce n'était pas la prestation que leurs brillants supporters méritaient. Isak a marqué un deuxième but avant que Chinedu Obaso ne creuse l'écart à la 76ème minute. Malgré un retard de trois buts – et, pour être honnête, une sacrée infériorité au niveau du talent – le volume est resté constant. Pour ces supporters, il n'est pas vraiment question de football, il s'agit plutôt de démontrer sa passion pour son équipe et représenter le milieu d'où l'on vient.

Lorsque le panneau de temps additionnel s'est levé, on a décidé qu'il était sage de partir et rentrer dans le centre de Stockholm. Mais alors qu'on se dirigeait vers la sortie, j'ai été arrêté par un homme avec un t-shirt d'ultra. Il a commencé à me crier dessus, visiblement en colère. Lorsqu'il a été clair pour lui que je ne parlais qu'anglais, il m'a expliqué que je ne pouvais « pas sortir plus tôt ». Je fais 1m85 et ne me fais pas arrêter très souvent, mais en regardant les autres ultras autour de lui, j'ai réalisé que c'était une très mauvaise idée d'essayer de forcer le passage. Je me suis donc résigné à respecter les désirs du mec qui me faisait face. La passion et l'engagement investis pour s'assurer que le niveau de soutien ne faiblisse pas même dans les derniers instants d'une défaite certaine était impressionnant, même si cela me mettait mal à l'aise. Nous avons donc fait demi-tour et sommes retournés regarder la fin du match avant de sortir pour de bon cette fois au moment du coup de sifflet final.

Même si j'ai fait le voyage depuis l'Angleterre pour aller les voir jouer, je suis aujourd'hui moins enclin à me considérer comme un supporter de Djurgården. J'ai un petit faible pour eux depuis qu'ils sont apparus sur mon ticket de pari, mais malgré mon émerveillement face à l'ambiance, j'ai réalisé que le soutien passionné démontré par les ultras trouvait sa source dans la connexion qu'ils avaient avec le club. Ce lien entre une personne et un lieu est quelque chose qui ne peut se développer que lorsqu'on est né ou lorsque l'on vit dans le coin, et c'est un lien qu'un million de paris gagnants ne sauraient altérer.

J'aime toujours l'Allsvenskan, et je continuerai de regarder les résultats de Djurgården. Mais plus que tout, mon pèlerinage en Suède m'a rappelé qu'il n'y a aucune équipe pareille à celle de votre coin.