tinder exclusion interdiction
Illustration: Benjamin Tejero pour VICE FR

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Life

Comment je me suis fait bannir à vie de Tinder

Accro à Tinder, je me suis fait exclure de l’application de rencontres à cause d’une blague de mauvais goût. Contre toute attente, mon quotidien en a été bouleversé.

Pour mes amis et moi, Tinder est un jeu. Je discute avec plusieurs mecs en même temps. J’en rencontre entre trois et quatre par mois autour d’un verre. À 21 ans, j’ai couché avec quatre-vingts hommes, dont la moitié rencontrée sur l’application. Je profite de la vie. Je vois certains garçons une nuit, d’autres plusieurs mois. Je fais des bonnes et des moins bonnes rencontres, tout un petit lot d’histoires à raconter entre amis.

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Au petit matin du 1er janvier 2019, j’étais d’humeur blagueuse. Assise à la terrasse d’un café avec des amis, je poste un montage photo sur mon profil tinder : un homme noir dont le pénis remplace le chiffre 1 de bonne année 2019. Ce n’est pas très fin, j’en suis désolée par avance. Après quelques minutes, l’image se supprime automatiquement. Ni une, ni deux, je la remets. Je n’ai pas reçu de mise en garde et pense alors qu’il s’agit d’un problème technique.

Deux heures plus tard, je tente en vain de me connecter à l’application. Un message d’erreur s’affiche. J’envoie un mail au service client en expliquant ma « blague ». La réponse est sans appel : je suis bannie à vie de Tinder. J’aurais enfreint les conditions d’utilisation. Lesquelles ? Aucune idée. Je ne conteste pas. Mon montage peut être considéré comme raciste et comme portant « atteinte à la pudeur ». Seule solution : changer de Facebook et de ligne téléphonique pour créer un nouveau compte.

Au début, leur réponse me surprend. Sur Tinder, certains hommes n’hésitent pas à publier des descriptions et photographies publiques explicites. J’ai reçu plusieurs fois des messages à portée sexuelle sans avoir donné de signes de consentement au préalable. Sans parler des photographies de pénis, que je n’avais pas demandé non plus. Bref, ce climat provocateur – que de nombreuses utilisatrices connaissent – m’avait fait croire à une application sans complexe.

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La semaine suivante, pleine d’entrain, je télécharge Happn et OkCupid, deux autres applications de rencontres. Chez moi, à Lille, elles recueillent moins d’utilisateurs que Tinder. Je mets toutes les chances de mon côté. Lorsqu’un garçon me plaît, je vais lui parler plus rapidement qu’avant mon ban et je suis plus impliquée dans la conversation.

« Mais à la longue, mon estomac a commencé à se serrer. J’ai eu l’impression de me transformer en prédatrice sexuelle, de rentrer par effraction dans le cercle d'intimité de ces jolies biches »

« Plus on a de choix, moins on est heureux. On va avoir plus de mal à s’arrêter, à s’investir dans une relation avec une personne. On se dit toujours “j’aurais pu trouver mieux” », affirmait la sexologue Catherine Solano sur le plateau de Complément d’Enquête le 10 janvier 2019. Pas faux. J’ai essayé de m’investir dans les quelques matchs que j’ai eus le mois suivant le ban. J’ai été moins exigeante et plus patiente. Prendre plus de temps a été agréable mais pas fructueux. J’ai eu rendez-vous avec un seul garçon. Ses photos me plaisaient mais je m’ennuyais un peu par message. « On verra autour d’un verre » je me suis dit. Mon pressentiment s’est confirmé.

Au début du mois, la frustration m’a conduit à voir en chaque « biche » – le surnom que je donne aux hommes qui me plaisent un amant potentiel. Déterminée à séduire dans la rue, j’y ai multiplié les regards séducteurs. Mais à la longue, mon estomac a commencé à se serrer. J’ai eu l’impression de me transformer en prédatrice sexuelle, de rentrer par effraction dans le cercle d'intimité de ces jolies biches. Avec Tinder, je n’avais pas ce problème. S’il y avait match, je ne me posais aucune question. « S’il m’a liké c’est qu’il est intéressé », pensais-je.

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En soirée, j’ai plus pensé à choper que d’habitude. Avant, Tinder calmait mes ardeurs. Le fait d’avoir un catalogue à portée de main me rassurait. Je sortais avec des amis sans forcément penser à rencontrer quelqu’un puisque je pouvais le faire le lendemain en surfant sur l’application. Là c’était maintenant ou jamais. Au final, j’ai embrassé quelques biches mais j’avais trop bu pour aller plus loin.

Progressivement, la frustration retombe. L’idée d’avoir perdu ma fenêtre ouverte sur le monde de la drague me peine de moins en moins. Je commence à prendre du plaisir à cuisiner longuement, regarder la télévision ou lire des livres. Je me surprends à apprécier la texture de la couette contre ma joue, à aimer me réveiller seule le matin, sans m’occuper de personne.

Côté plaisir sexuel, je me masturbe plus et mieux. Avant, je jouissais moins seule qu’avec un homme. Après mon ban, j’ai écouté des podcasts sur le sujet. J’ai pris du temps pour moi et la masturbation est venue très naturellement. Mon sommeil s’est amélioré, sûrement parce que je ne passe plus quinze minutes sur Tinder avant de dormir. Je ne suis plus frustrée d’être seule, je me sens bien et indépendante.

J’ai aussi pris conscience que j’utilisais Tinder pour éviter de m’attacher à un seul mec et mettre trop d’attentes dans une relation. Avant d’utiliser l’application, j’avais tendance à vérifier toutes les deux heures que l’homme que je désirais ne m’avait pas contacté et à me faire des films contre mon gré. C’est normal. « Nous conditionnons les filles afin qu’elles aspirent au mariage, mais pas les garçons, ce qui entraîne dès le départ un grave déséquilibre » a écrit la féministe Chimamanda Ngozi Adichie dans son ouvrage Chère ijeawele. Le 1er février, un ami m’a offert une carte SIM pour que je puisse me ré-inscrire Tinder. Je ne l’ai toujours pas installée. Ce mois sans Tinder a calmé mon addiction à la drague et au sexe.

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