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Culture

À l'intérieur du pub secret qui ne sert que des barmen

À Manchester, le Seven Oaks ouvre ses portes de minuit à 8 heures du mat'. Seule condition pour y entrer : travailler dans un bar.
Photo:  Akash Khadka

L'article original a été publié sur Munchies et a été traduit par VICE France.

Bienvenue dans Last Call, notre colonne qui donne la parole aux employés des bars de quartier, des troquets ou autres brasseries emblématiques qui ont marqué leur époque. Dans cet épisode, on laisse la parole à Phil Greenwood, propriétaire du Seven Oaks, un pub de Manchester qui est devenu la destination idéale des barmen cramés.

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Situé entre le coin branché du Northern Quarter et les terrains de foot de Deansgate, le Seven Oaks est un pub qui attire principalement des employés de bureau. Les clients bossent souvent à proximité du bar et sont séduits par l'emplacement en centre-ville et l'extérieur élégamment carrelé.

Aux douze coups de minuit, le Seven Oaks se transforme pourtant en un troquet un peu différent. Son proprio, Phil Greenwood, ne laisse entrer à ce moment, et jusqu'à tard dans la matinée, que des barmen ou des serveurs. La plupart d'entre eux viennent alors de finir leur shift.

Ces collègues assoiffés sont obligés de passer par une porte secrète, située à l'arrière du pub, et de montrer patte blanche ; une preuve qu'ils sont employés dans un bar. Autre contrainte, ils peuvent venir avec un +1 mais c'est tout.

Cette politique de « porte close » particulièrement stricte a valu à Greenwood, qui gère le pub avec sa femme, la réputation d'être un des propriétaires les plus impitoyables de la ville. « Les gens disent que je suis un con avec une grande-gueule parce que je ne me laisse pas faire », dit-il au téléphone avant l'interview. Il enchaîne dans le même souffle : « d'autres m'accusent d'avoir une sorte de complexe messianique, mais si tout le monde dit que tu es génial un grand nombre de fois, tu finis par les croire. »

Et pour beaucoup de barmen, le Seven Oaks est effectivement un don de Dieu. Une aubaine et un endroit où boire en compagnie de gens qui pensent comme vous pendant que le reste du monde dort. Du mixologue de bar à cocktails haut de gamme à l'employé de Wetherspoons, si vous travaillez dans un rade à Manchester, vous avez probablement descendu quelques verres dans le pub de Phil.

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Toutes les photos sont d'Akash Khadka.

Greenwood dit que la popularité du Seven Oaks augmente aussi parce que les conditions de travail des barmen de Manchester empirent. Les pourboires se raréfient et les horaires sont de plus en plus longs puisque de nombreux bars restent ouverts jusqu'à 4 heures du mat'. À la fin d'un quart éreintant, les employés n'ont qu'une envie ; se mettre une bonne mine. Et le pub de Phil est là pour ça.

Quand je rencontre Greenwood un mercredi après-midi, je le trouve frais et énergique. Du coup, je suis un peu surprise d'apprendre qu'il n'a pas encore dormi. Après avoir fini le travail à 8 heures du matin, il est allé directement à l'école de son fils de 4 ans, où l'on peut faire de la lecture aux classes bénévolement.

Alors qu'on s'assoit pour prendre un café, je lui demande ce que c'est que de servir un bar rempli de barmen et exactement à quel point les règles du Seven Oaks peuvent être sévères.

MUNCHIES : Salut Phil. Quand est-ce que tu as commencé à travailler dans un bar ?

Phil Greenwood : Ma mère était propriétaire d'un pub donc j'ai commencé par travailler pour elle en grandissant. Je m'occupais à la fois de la cave, des tables – tous les petits jobs ingrats que votre maman peut vous filer pour payer votre pitance. C'est au tour de mon fils de grandir dans un pub et je suis content parce que ça forge le caractère et développe la confiance en soi. Mais le matin, c'est l'heure de la fermeture pour nous. Donc, si je l'emmène à l'école, je passe par la porte de derrière pour qu'il ne voit rien.

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Depuis combien de temps es-tu chez Seven Oaks ?
Ça fait dix ans. Ici, j'ai tout fait de zéro. Et aujourd'hui, on est le seul endroit de ce genre à Manchester. Avant, j'ai travaillé dans un bar sur Deansgate Locks. Il était blindé de gens qui voulaient des shots sucrés et bon marché. Une fois, j'ai dû dégager deux personnes qui étaient en train de niquer contre le zinc. Je suis allé voir le DJ et je lui ai demandé : « Est-ce que tu peux couper la musique une seconde ? ». J'ai pris le micro et j'ai fait « Vous qui baisez contre le bar, sachez que le physio et la sécu viennent vers vous ». Tout le monde les a applaudis. Mais c'est le sirop qui était vraiment horrible. Je rentrais à la maison recouvert de sirop tous les soirs.

Phil Greenwood.

Comment tu fais pour jongler entre le taf et la vie de famille avec ces horaires ?
J'aime ça. Une fois par semaine, je reste debout pendant 24 heures. Mais je n'ai pas vraiment besoin de beaucoup de sommeil.

Est-ce que tu bois au travail ?
J'avais l'habitude de le faire. Quand j'ai commencé à bosser dans le pub, j'étais célibataire, j'avais 23 ans et je buvais probablement plus au boulet que je n'aurais dû. Pendant les 5 premières années, je descendais un truc comme 100 pintes par semaine et je pesais genre 120 kg. Je buvais énormément et j'allais beaucoup chez Burger King ou chez Wetherspoons. On ne réalise jamais très bien qu'on est gros quand on est aussi gros. On se ment à soi-même.

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Maintenant, je peux me faire 4 ou 5 bières un samedi soir. J'ai 33 ans, c'est différent. Je préfère une randonnée avec ma petite femme plutôt qu'une cuite. J'ai vieilli.

Ça fait quoi de travailler avec sa nana justement ?
On rigole bien. Elle est dragueuse et je le suis aussi – même si c'est souvent ridicule. On est parfois un peu « dégueu » ensemble quand il n'y a personne. Et puis on est aussi dragueur avec les clients. Le truc c'est que ça ne nous dérange pas du tout. Il y a un garçon qui est venu fêter son 21 e anniversaire la semaine dernière. Il m'a demandé un baiser. J'ai répondu : « Demande à ma femme ». Elle a dit oui. J'ai marché jusqu'à lui et je lui ai roulé une pelle. Beaucoup de conjoints ne le supporteraient pas, mais pour nous, c'est juste du fun.

La porte secrète du pub.

Est-ce que les clients t'ont déjà pris au pied de la lettre ?
La plupart des gens ne vont pas jusque-là, mais quand vous faites l'erreur de flirter avec quelqu'un qui ne comprend pas les limites, ça peut devenir un peu compliqué. Pour certaines personnes, c'est comme si on agitait un chiffon rouge au visage d'un taureau. Il y a une nana qui m'a déjà proposé, en mode « Ta femme ne le saura jamais » et j'ai dû lui répondre : « Vous pensez vraiment que c'est ce qui me retient ? Je suis marié et heureux ». Elle est allée jusqu'à raconter des histoires à ce sujet. J'ai fait attention à ne pas trop m'en mêler pour ne pas faire naître de soupçons. À la fin, j'ai été obligé de demander à un client de lui demander de partir. Bien sûr, elle est revenue et s'est excusée. Quand il n'y a qu'un seul pub comme le Seven Oaks dans la ville, on n'a pas vraiment d'autre choix.

Est-ce que tu as déjà eu des problèmes ?
En d'étranges occasions, mais tout se règle généralement à l'intérieur. Il est déjà arrivé quelques excès, ou que certaines personnes se comportent dangereusement pour les clients en se mettant par exemple sur la gueule. Le truc le plus efficace dans ces moments-là, c'est de faire sonner la cloche. Mais la majorité des emmerdes viennent de la porte de derrière. Lorsque les gens veulent entrer et qu'ils n'y sont pas autorisés. Une à deux fois par an, on a une fenêtre pétée. En vrai, je suis moins poli avec les gens que je connais parce que j'essaie de faire rentrer dans leur tête qu'ils ne peuvent pas accéder au bar sans leur carte de membre – je suis obligé d'être un peu sévère.

Les barmen sont-ils plus difficiles que les autres clients en matière de boisson ?
On a toujours quelqu'un qui, de temps en temps, va nous poser la question qui tu : « Est-ce que tu sers des cocktails ? ». Je dis : « Va te faire foutre, est-ce que j'ai l'air de quelqu'un qui a le temps de faire des cocktails ? » Je fais le physio, je tiens le bar, je débarrasse les verres.