Pourquoi les oreilles sifflent ?

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Pourquoi les oreilles sifflent ?

Principalement, parce que les ingés son ont parfois la main lourde et que la vie est injuste.

Avec la série « Le Pourquoi du moment », Motherboard répond aux questions les plus posées sur Google en 2016. Aujourd’hui, on se demande pourquoi nos oreilles émettent parfois des sifflements qui rendent complètement fou.

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Samedi soir. Étourdi, vous sortez de ce concert de vikingcore qui a vous abreuvé de sensations toutes plus agréables les unes que les autres. Pendant plusieurs dizaines de minutes, trop courtes en vérité, l’ensemble de vos organes internes a vibré au rythme salvateur de pulsions humaines destructrices. Vous avez eu l’impression fugace que votre corps n’avait plus de limites. Puis que votre tête allait exploser sous l’effet de la pression acoustique, ce qui est un peu la même chose. Les gens se jetaient les uns contre les autres, furieux, béats, parfois contents. C’était un peu confus, mais il y avait beaucoup de bière. Au paradis de la nuisance sonore, les assauts des basses saturées sont autant de caresses sur l’âme en manque de fins tragiques. Alors, ce soir-là, quand quelques gerbes de vomi chaud ont brièvement réchauffé la peau de votre mollet gauche, vous avez été presque déçu par la faible puissance du jet.

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Mais reprenons-nous. Maintenant que votre envie de violence a été plus ou moins assouvie par du bruit et du désordre en grandes quantités, vous reprenez lentement contact avec le monde réel, celui qui ne vous apporte d’ordinaire que de la mollesse et de la déception. Vous avez mal aux genoux. Mais surtout, vos oreilles font un bruit tout bonnement insupportable :

TUT.

Ce sifflement, qui prend parfois la forme d’un bourdonnement, d’une vibration, d’un tintement, d’un chuintement, ou de toute autre sensation parasite dont on préfèrerait qu’elle ne soit pas là, porte le doux nom d’acouphène. D’intensité et de fréquence variables, il peut sembler provenir d’une oreille, des deux oreilles, surgir à proximité de vous ou dans le lointain, se diffuser sous forme de pulsations ou de vagues, de manière continue ou discrète, intense ou ténue, etc.

Vous l’avez compris, l’acouphène est pénible mais insaisissable. Il emprunte des formes très différentes en fonction des personnes et de leur exposition aux décibels, et surtout, ses causes sont très variables.

On peut caractériser l’acouphène comme un son perçu en l’absence de stimulus sonore extérieur. C’est donc une pseudo-hallucination (ou hallucinose) : vous entendez un son dont vous être bien conscient qu’il ne possède pas de source tangible dans votre environnement (contrairement à l’hallucination, où le sujet n’a pas de distance critique vis-à-vis de l’illusion dont il fait l’objet). La plupart des gens y sont sujets au moins une fois et environ 10% de la population en fait l’expérience régulièrement. Parmi ces 10%, seule une personne sur quatre connaitra des acouphènes chroniques (qui durent plus de six mois) suffisamment handicapants pour qu’ils aient des conséquences sérieuses sur la qualité de vie et la santé mentale. Au point, dans quelques rares cas, de pousser au suicide. Parmi ces infortunés, on trouve de nombreux vétérans qui ont régulièrement été exposés à des déflagrations, détonations et autres explosions de forte intensité durant leur carrière.

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Il n’existe pas de traitement contre les acouphènes. On sait que des bruits de forte intensité et les médicaments ototoxiques peuvent endommager les cellules cillées de l’oreille interne, favorisant leur apparition. Mais dans la plupart des cas, leur survenue est tout à fait imprévisible, comme les aphtes, les tremblements de terre et le virement des APL.

Il est donc tout à fait possible qu’un jour, vous vous réveillez avec des acouphènes sans que l’on sache pourquoi, puis qu’ils vous accompagnent pendant des mois sans que quiconque puisse y faire quoi que ce soit. L’acouphène est une sorte de petite malédiction ridicule à diffusion lente qui vous rongera peu à peu comme un acide. Pas étonnant qu’on trouve fréquemment des acouphènes dans les thrillers psychologiques, comme Noise de Matthew Saville.

On suspecte que les acouphènes correspondent à des perturbations physiologiques ou neurologiques du système auditif aux causes pathologiques variables. Elles seraient interprétées par le cerveau comme un bruit audible, provoquant l’attention du sujet qui peinera rapidement à se concentrer sur quoi que ce soit d’autre. La perte progressive de l’audition, la maladie de Menière, le neurinome de l’acoustique, la sclérose en plaques, les blessures à la tête, les problèmes de thyroïde, l’hyperlipémie, la fibromyalgie, etc., sont autant de maladies susceptibles de provoquer des acouphènes.

Mais rappelons pour le plaisir que leur cause la plus fréquemment constatée est : rien. Ils peuvent entrer dans votre vie. N’importe quand.

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Mais il y a plus terrifiant encore. L’acouphène est subjectif dans la plupart des cas, c’est-à-dire que seule la personne affectée perçoit le bruit qui lui pourrit l’existence. Néanmoins, dans quelques cas, il peut aussi être tout à fait objectif. C’est-à-dire qu’une personne allongée à côté de vous pourrait entendre distinctement, au beau milieu de la nuit, un cliquetis malicieux en provenance de votre oreille. L’acouphène objectif est-il pire que le ronflement et le grincement de mâchoire pour la vie de couple ? N’hésitez pas à écrire à Motherboard pour témoigner de ce phénomène peu connu et tout à fait malsain.

Acouphène objectif dont l’origine est une myoclonie de l’oreille moyenne

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Si aujourd’hui, les médecins ont plus ou moins renoncé à soigner les acouphènes subjectifs (dont on peut, dans le meilleur des cas, limiter les effets sur la santé mentale grâce à la psychothérapie cognitivo-comportementale, à la méditation pleine conscience ou aux appareils auditifs, par exemple), ils ont par le passé montré une créativité bien plus débordante pour tenter de réduire le sifflement diabolique. Ainsi, Aulus Cornelius Celsus rapporte dans son traité médical De Arte medica sur la médecine hippocratique que les médecins romains avaient l’habitude de soigner les acouphènes avec du jus de radis, de concombre, de l’huile de rose, du vinaigre, du miel, etc. Des préparations douces et parfumées qui sont parfois relevées, chez Galien, de cafards écrasés puis macérés dans de l’huile végétale.

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Cette manie de vouloir fourrer des substances inhabituelles dans les oreilles à tout prix a des racines anciennes puisque Pline l’Ancien évoquait déjà l’application de vers de terre bouillis, de bile de bœuf, de graisse de renard, de sperme de porc, de fumier d’âne, de lait maternel, ou encore d’écume de bouche de cheval pour les maladies de l’oreille en général. Ces traitements peu orthodoxes persisteront de manière épisodique jusqu’au 16e siècle, malgré les bouchons d’oreille étonnants qu’ils ont sans doute contribué à former à quelques occasions.

Au 17° siècle, l’innovation médicale se tourne du côté des méthodes musclées, puisque le médecin français Jean Riolan propose carrément de régler le problème de l’acouphène par la trépanation. Le suisse Johan Jakob Webfer imagine quant à lui d’exposer le patient à un bruit plus fort que celui qui a provoqué les symptômes en premier lieu. Par exemple, en frappant des pierres les unes contre les autres à quelques centimètres de son oreille.

Passons sur l’introduction de tubes d’une vingtaine de centimètres dans l’oreille afin de créer une pression négative au niveau du tympan et vider l’oreille de « l’air » prétendument enfermé à l’intérieur (la technique de l’allemand Lorenz Heister), puis sur les méthodes traditionnelles du 19°siècle à base de saignées, de compressions abusives et de courant électrique. Vous avez compris l’idée. L’acouphène suscite un désespoir profond depuis plusieurs siècles. À tel point que l’on préfère s’insérer des remèdes et instruments ignobles dans le conduit auditif plutôt que de subir une minute de plus ce bruit sournois qui semble devoir résonner dans la boite crânienne pour l’éternité.

On sait aller sur la lune, mais on ne sait pas pourquoi les oreilles sifflent. Une bonne leçon d’humilité dont vous devriez vous souvenir la prochaine fois que vous réglerez le son de vos enceintes.

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