Qu’y a-t-il de plus homoérotique que le papier-peint vintage ?

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Culture

Qu’y a-t-il de plus homoérotique que le papier-peint vintage ?

Soucieux de formuler une imagerie LGBT, l'artiste François-Xavier Courrèges a rassemblé ses collages érotico-gay dans un nouvel ouvrage, Vague Souvenir – des portraits d'inconnus exposés sur des papiers-peints vintage.

Artiste plasticien, François-Xavier Courrèges explore à travers son œuvre le sentiment amoureux mais aussi la notion d’intimité, la perte, la disparition ou la mort. Dans l’ouvrage Vague Souvenir, il compile des collages associant des photos doucement érotiques des années 70 et 80 à des papiers peints de la même époque. Offrant à ces inconnus une nouvelle vie, il interroge autant les questions actuelles d’invisibilisation que les archives LGBT passées au prisme de l’épidémie du sida.

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Comment est né ce livre?

François-Xavier Courrèges : Il y a un peu plus de trois ans, j’ai commencé à réaliser des collages à partir de photographies et de papiers peints vintages. Ce travail consiste à accorder une photo à un papier peint marouflé sur bois, parfois à un tissu tendu sur châssis. L’idée de les réunir dans un livre est apparue à un moment où cette série comptait une vingtaine de ces collages et qu’elle esquissait une histoire.

Qu’est-ce qui l’a déclenché ?

Dans un précédent projet vidéo, j’avais construit une narration à partir d’images documentaires tournées à Beyrouth sur la démolition d’une maison ancienne qui montraient la destruction d’une mémoire. J’avais le désir de poursuivre un travail d’évocation du passé à travers les expériences du présent. J’achetais depuis longtemps des photographies, des papiers peints, des tissus vintages. C’est en manipulant ce matériel que j’ai superposé une photographie sur un papier peint. Un dialogue s’est ouvert et une nouvelle image est apparue comme une révélation. J’ai suivi cette intuition et c’est au fur et à mesure de l’avancement du projet que des liens se sont tissés avec des références qui me sont chères.

Pourquoi un livre et non pas une exposition ?

C’est en voyant les collages à l’atelier que l’artiste Jean-Michel Othoniel m’a d’emblée encouragé à faire un livre pour redonner une forme d’intimité à cette collection de portraits et approfondir l’histoire qu’elle commençait à raconter. L’idée d’un livre me séduisait d’autant plus qu’on pouvait y inclure du texte. L’exposition de ce travail est essentielle car il s’agit avant tout d’une production de collages, d’objets tridimensionnels.

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Tu trouves où ces photos ?

Sur internet ou auprès de marchands spécialisés. Ce sont des photos anonymes et/ou amateurs, de petit format, que je recherche, des images plutôt vouées à disparaître que j’ai envie d’exhumer. Je dispose de peu d’indices, il y a parfois un lieu, un prénom ou une date inscrits au verso, rien de plus. Ce ne sont pas des photos de studio ni des photos signées. La valeur que je leur accorde est sentimentale tant elles sont de vrais objets anciens, intimes, fragiles, j’allais dire précieux, qui traversent les années.

Tu n’as pas cherché à en savoir plus sur ces garçons ?

C’est très compliqué d’obtenir des informations précises de la part des vendeurs car ils n’en ont eux-mêmes pas connaissance. En général, ces images proviennent de collections privées ou d’albums de famille. Leur genèse semble multiple. J’aime l’idée que ces photos soient mêlées dans la masse et transitent de mains en mains pour cheminer jusqu’à moi, presque fortuitement. Avec Antoine Idier, sociologue et auteur du texte écrit pour le livre, et avec quelques amis témoins de cette époque, nous avons émis beaucoup d’hypothèses et nos questions sont restées sans réponses claires. Qui étaient ces garçons ? Dans quelles circonstances ces photos ont été prises ? La plupart de ces photos sont érotiques quand d’autres semblent plus anodines. Que ces garçons inconnus soient habillés, déguisés, partiellement dénudés ou totalement nus, qu’ils soient modèles amateurs, étudiants, peut-être même prostitués… tous évoquent une époque disparue, une esthétique, un érotisme, un romantisme de cette période. C’est de toute façon leur mystère qui participe grandement à mon interêt pour ces images.

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Pourquoi n’avoir choisi que des photos des années 70 et 80 ?

J’ai relié ce projet directement à ma propre histoire puisque je suis né dans les années 70 et que j’avais envie de revenir à ces années qui correspondent à mon enfance, puis à mon adolescence, avec l’idée de constituer une forme de “mémoire floue” de ces décennies. Le choix des photos s’opère selon des critères très subjectifs. Je sélectionne celles qui me touchent le plus par leur expression, leur mise en scène ou leur contexte. C’est à chaque fois une rencontre avec une image. L’appropriation de ces photographies est naturellement possible lorsque j’ai l’impression que je les ai prises moi-même.

Les poser sur du papier peint d’époque, c’est atténuer leur charge érotique ?

C’est plutôt l’enrichir ! Les papiers peints deviennent des paysages pour ces photographies. En cherchant à les combiner, des correspondances s’établissent et jouent avec le fond et la forme. Le fait de les assembler leur confère une dimension plastique. J’inscris la photo dans une autre réalité. Ce que l’on voit sur la photo se déploie hors de son propre cadre. Je pense par exemple à ce polaroid où un garçon est à quatre pattes sur un lit à rayures et j’avais trouvé un drap qui ressemblait beaucoup à celui de la photo, je les ai associés.

Qu’est-ce qui te fascine dans les papiers peints ?

L’aspect pictural des textures, des motifs, dont la répétition pourrait être déployée à l’infini. Ils racontent des histoires, une époque. Ils sont des surfaces de projection, des univers dans lesquels on peut s’immerger. Ils découlent de la peinture.

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Ce sont souvent des papiers à motifs floraux qui jouent sur le côté doux mais aussi sexuel de la fleur.

Je joue effectivement sur plusieurs registres, sur différents niveaux de lecture. Je pense notamment à un collage où les boutons des fleurs fait écho aux tétons des corps de la photo. Pour un autre, le pétale poursuit la forme des draps du lit de la photo.

Ces collages font écho à une obsession qu’on retrouve dans ton travail qui est la disparition.

Oui, la fragilité, la dégradation, la disparition d’un objet ou d’un être, le temps qui passe, la disparition pour ne pas dire la mort. Je cherche à sublimer, transcender la mort sans la représenter de manière explicite. Si les garçons des photographies ne sont peut-être pas (tous) morts des suites du sida, ils incarnent ceux qui, malheureusement, ont disparu. Avec ce projet, je caresse le désir de constituer sur deux décennies une mémoire gay, traversée aussi par cet aspect.

Tes collages font référence à l’écrivain américain Joe Brainard et au cinéaste Guy Gilles qui sont tous les deux morts du sida.

Ce sont effectivement les deux principales références qui ont accompagné l’élaboration de ce projet. Au delà de leur œuvre, c’est aussi leurs parcours de vie qui m’ont inspiré. Joe Brainard, artiste et écrivain, auteur de « I Remember » dans les années 70 (qui inspira le célèbre « Je me souviens » de Georges Perec). Brainard y rassemble ses souvenirs d’homosexuel ayant vécu dans la seconde moitié du XXe siècle aux Etats-Unis. Guy Gilles est un extraordinaire cinéaste français des années 60 et 70, mis à l’écart puis tombé dans l’oubli. Son cinéma est sentimental, sensible, nostalgique et mélancolique. À la faveur d’une rétrospective organisée par la Cinémathèque en 2014, ses films ont suscité un nouvel intérêt.

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« Absences répétées » son film majeur fait assez écho aux physiques des garçons que tu as choisi ?

Oui bien sûr ! Le film date de 1972. Ils portent les cheveux longs, certains ont des physiques androgynes. Ces silhouettes correspondent aux modes de l’époque. Ses personnages sont fragiles, sensibles. François, le personnage central, connaît lui aussi un destin tragique.

François Xavier-Courrèges, « Vague Souvenirs » paru chez Jean Boîte Editions – 136 pages.

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