Avec le barman qui fout de la peau de poulet dans vos cocktails

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Avec le barman qui fout de la peau de poulet dans vos cocktails

Depuis 25 ans, Tom Zyankali s'inspire de son passé d'ingénieur en chimie pour inventer des boissons dans le bar à Berlin qui porte son nom.

Bienvenue dans Last Call, notre colonne qui donne la parole aux employés des bars de quartier, des troquets ou autres brasseries emblématiques qui ont marqué leur époque.

Tom Zyankali est du genre sérieux quand il parle de ses cocktails. C'est parce qu'il est probablement le seul à utiliser des ingrédients comme de la peau de poulet, de l'agneau fumé, du bleu ou du poisson fermenté. Du coup, si vous vous retrouvez dans son bar à Berlin, n'essayez même pas de lui commander une bière.

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J'ai essayé de ne pas trop utiliser d'hyperbole mais Zyankali ne me rend pas la tâche facile. C'est un mec unique en son genre. Cet ancien ingénieur en chimie devenu barman sert des verres dans le quartier de Kreuzberg depuis 25 ans maintenant. Le bar qui porte son nom est d'ailleurs le plus ancien de la ville dans la catégorie bar-à-cocktail-avec-son-proprio-derrière-le-zinc.

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MUNCHIES : Tom, comment passe-t-on d'ingénieur à barman ?
Tom Zyankali : Souvent dans la vie, si vous voulez vraiment quelque chose, vous devez prendre votre destin en main. À la fin des années 1980, la totalité des bars à cocktails de Berlin étaient dans des hôtels. Ce qui n'était pas super réjouissant. Une nuit, alors que je buvais des coups avec un ami, je me suis rendu compte qu'on en avait tous les deux marre de nos tafs. On a donc décidé que la meilleure solution était d'ouvrir un bar où l'on ferait des cocktails grâce à la chimie. Cocktails que l'on servirait dans des tubes à essai. Et c'est ce que j'ai fait. J'ai ouvert Zyankali en 1991.

Comment apprend-on à devenir barman ?
J'ai toujours aimé cuisiner et jouer avec les saveurs. Surtout, je bosse comme quand je travaillais dans un laboratoire. J'avais l'habitude d'analyser les traces laissées par les toxines environnementales. En fait, il n'y a aucune différence entre l'extraction de ces toxines et celle des arômes. C'est la même technique. Je dois juste utiliser des solvants non toxiques à la place de l'éther de pétrole ou de l'acétone.

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Vous parlez beaucoup de l'« optimum » d'une boisson. Qu'est-ce que c'est ?
Je veux offrir à mes clients le cocktail qu'ils ont toujours voulu boire sans le savoir. La boisson qui s'adapte parfaitement à leur goût. On a 120 boissons au menu donc vous avez l'embarras du choix. Mais si vous ne trouvez pas votre bonheur dans cette sélection, on va parler de ce que vous aimez manger, de votre parfum préféré, où est-ce que vous aimez partir en vacances. Avec ces informations, je suis certain de pouvoir trouver une boisson complexe et parfaite pour chaque client.

Est-ce que vous servez aussi de la bière et du vin ?
Oui, hélas. On ne peut y échapper. J'aime bien dire à mes clients que « boire une bière dans un bar à cocktails, c'est un peu comme aller dans un bordel et se branler dans les toilettes ». Vous ratez quelque chose. On a deux vins à la carte, un rouge et un blanc, que l'on sert avec beaucoup de réticence. Pour moi, le vin, c'est blasphématoire – ce n'est même pas distillée ! Il manque quand même une étape hyper importante.

Pour moi, le vin, c'est blasphématoire - ce n'est même pas distillée. Il manque quand même une étape hyper importante

À quoi ressemble le client parfait ?
Je préfère bosser pour des gens qui savent ce qu'ils aiment et ce qu'ils veulent. Je n'ai pas besoin de connaître toute votre vie ou la dernière histoire triste que vous avez vécue. J'en ai pas mal en stock de mon côté. Mais quand il s'agit de mélanges, de profil aromatique, de nos cocktails en bouteille ou de notre méthode de production, je suis ravi de pouvoir en parler pendant des jours.

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Quelles sont les étapes de fabrication de vos cocktails ?
D'abord, je trouve un goût de base, peut-être que ça vient de quelque chose que j'ai acheté au marché, que j'ai bu ou que j'ai mangé. Ensuite, je cherche à savoir quel genre de saveur pourrait se marier avec. Est-ce que je peux l'utiliser avec ça ? Est-ce que je veux l'utiliser avec ça ?

Exemple : mettons que je veuille faire du chocolat à l'ail. La combinaison du chocolat au lait et de l'ail ne va pas être très agréable. Mais le café et l'ail ont des composés sulfureux qu'on trouve aussi dans les fèves de cacao torréfiées. Ergo, un moka ail chocolat pourrait fonctionner. Je bâtis des ponts comme ça. Puis j'essaie de trouver une façon de mettre ces saveurs sous une forme liquide.

Quel est le moment que vous préférez dans votre job ?
J'aime voir la réaction des clients quand ils tiennent un verre. Ils commencent doucement à sourire, souvent de surprise à cause de la composition de leur boisson : elle peut contenir de la peau de poulet, de l'agneau fumé, du bleu ou du poisson fermenté. Le liquide peut-être clair ou avoir une couleur totalement éloignée de ce à quoi ils s'attendaient. On a un verre sur le menu qui est fait avec du Gosling's Black Seal (un rhum très sombre), de l'absinthe, de la mangue et des fruits de la passion. Quand on le fait, il ressemble à une diarrhée d'épinards – vous n'avez pas envie d'y tremper les lèvres. Mais une fois qu'on l'éclaircit, par contre, il se transforme en nectar d'un superbe vert émeraude foncé. Il a une super bonne gueule !

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Avec toutes les connaissances que vous avez, est-ce que vous prenez encore du plaisir dans les autres bars ?
C'est difficile. Il y a certaines personnes en qui j'ai une entière confiance niveau cocktais. Rien que par curiosité, je bois toujours ce que me propose Arnd (Arnd Henning Heissen, le barman du Curtain Club et du Fragrances, le bar du Ritz-Carlton). Pareil pour le Schwarze Traube. Je pense qu'un bon barman doit connaître les saveurs, il doit avoir une approche créative pour pouvoir les combiner et il doit sortir des sentiers battus. Ouvrez votre frigo ou regardez les légumes de votre jardin plutôt que de reluquer votre bar. Je fais une liqueur avec les propres légumes que je fais pousser sur place. On est au-delà du circuit court. Ici, tout est cultivé, transformé, consommé puis évacué sous le même toit.

Est-ce qu'il y a quelque chose que vous n'avez pas réussi à faire ?
J'ai essayé d'éclaircir du lait mais je n'ai pas réussi à le faire sans sacrifier le goût. Je l'ai fait avec le café, ce qui veut dire que je peux faire un White Russian complètement blanc. J'aimerais bien réussir à faire un KGB (ou un FSB si vous préférez), une sorte de White Russian translucide. Mais ça ne fonctionne pas parce que, quand on enlève le blanc d'œuf du lait, vous obtenez un liquide verdâtre. C'est du lactosérum et ça n'a pas vraiment le goût du lait.

C'est un peu votre Everest du coup.
Oui, mais c'est tout simplement impossible à atteindre.

Merci Tom.


Cet article a été préalablement publié sur MUNCHIES Germany