Avec les accompagnants sexuels français
Fabrice et sa cliente Christine, lors d'une séance d'accompagnement sexuel

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Avec les accompagnants sexuels français

Si la loi considère l’assistance sexuelle aux handicapés comme de la prostitution, il existe plusieurs associations, stages et formations qui visent à démocratiser cette pratique.

Cet article a été rédigé en collaboration avec Morgane Bolinhas, Laurianne Callon, Gwendoline Colliard, Marylène Iapichino, Marie-Amélie Marchal et Marie Zinck.

Aux yeux de la loi française, Fabrice, Christophe et Emma* sont considérés comme des travailleurs du sexe. Au sein du projet multimédia intitulé « À corps défendu », ils racontent leur choix d'aider des personnes en situation de handicap dans leur vie affective et sexuelle. En voici une synthèse, rédigée par les journalistes à l'origine du projet.

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« Ma cliente a été directe : elle voulait du sexe », confie Fabrice. Ce masso-relaxologue de 52 ans raconte sa première expérience d'accompagnement sexuel quand nous le rencontrons chez lui, dans une petite ville de l'Isère. Depuis 2015, la question pour des personnes handicapées d'avoir accès à une vie sexuelle se fraie doucement une place dans le débat public, avec le lancement, en France, de formations organisées par l'Association pour la promotion de l'accompagnement sexuel (Appas).

Moyennant la somme de 600 euros, les personnes qui le désirent apprennent, au cours de trois sessions de quatre jours, les gestes et les paroles pour accompagner sexuellement et sensuellement une personne handicapée. « Le but de l'accompagnement sexuel est de reconnecter une personne à son corps et à sa propre sexualité », précise Christophe, rencontré lors de la dernière session de l'Appas en janvier 2017. Pour en savoir plus sur cette activité toujours considérée comme illégale en France, nous avons rencontré plusieurs accompagnants sexuels et cherché à comprendre ce qui les motivait.

Emma* est une mère célibataire qui travaille dans le milieu socioculturel. Elle se définit comme « une femme ordinaire ». Mais la Lyonnaise de 46 ans mène depuis février 2015 une autre activité peu commune. Formée par une association suisse, Corps Solidaires, elle s'est lancée dans l'accompagnement sexuel avant même que l'Appas ne propose de formation du même genre en France.

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Elle confie, émue, s'être intéressée à l'accompagnement sexuel au moment où une amie qu'elle connaît depuis l'adolescence est devenue paraplégique après un accident de voiture : « Il y a vraiment eu un avant et un après. La sexualité est pour moi une thématique importante parce que je la considère comme quelque chose de naturel, joyeux et sain, qui participe au bien-être global de la personne. Voir que des personnes n'ont pas accès à cette forme de joie, de liberté, d'expression m'a touchée. J'ai pu constater que ça générait beaucoup de frustration et de tristesse. ». Selon elle, « quand on fait cette activité, on aime vraiment l'humain avec un grand h, dans toute sa complétude et son incomplétude ». Elle ajoute que « l'accès au plaisir fait pleinement partie des loisirs, d'un bien-être. C'est une chose à laquelle tout le monde devrait avoir droit. Le sexuel, c'est la source. Si on est sur Terre, c'est parce qu'il y a eu acte sexuel ».

Emma* reçoit environ 150 euros pour une séance d'une heure et demie. En France, l'accompagnement sexuel n'est pas réglementé. « Le texte qui se rapproche le plus de l'accompagnement sexuel dans la loi, c'est la prostitution », révèle Caroline Zorn, avocate pour l'Appas. Depuis la loi sur la prostitution d'avril 2016, l'accompagné est passible d'une amende de 1 500 euros. Le président de l'Appas, Marcel Nuss, risque sept ans de prison et 150 000 euros d'amende pour proxénétisme. Son association se voit, en effet, comme un intermédiaire entre les personnes qu'elle forme et les personnes handicapées, pour éviter qu'elles ne tombent sur des individus malveillants.

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Plusieurs participants à une formation de l'Appas, en janvier 2017.

La formation n'est pas une étape obligatoire pour devenir accompagnant sexuel, mais elle représente un gage de confiance pour les personnes handicapées. En janvier 2017, l'Appas organisait une nouvelle session à Erstein, dans le nord-est de l'Alsace. Neuf stagiaires étaient présents, ainsi que plusieurs intervenants tels que les fondateurs de l'association, Marcel et Jill Nuss, et la spécialiste berlinoise de l'accompagnement sexuel Nina De Vries. Au cours de cette formation, les discussions sont plutôt directes et permettent aux personnes handicapées et aux accompagnants de s'exprimer librement. « Je n'ai pas pu lui faire avoir une érection […] S'il avait réussi, ça aurait encore plus augmenté mon estime de moi-même », se souvient par exemple Laetitia, lorsqu'elle évoque sa première expérience avec un accompagnant sexuel.

C'est au cours de cette première session de stages de l'année 2017 que nous avons rencontré Christophe, qui est à l'opposé d'Emma*. Il n'a jamais accompagné sexuellement quelqu'un. Il semble cependant mû par le même altruisme que la Lyonnaise : « L'accompagnement sexuel peut changer la vie des gens. Caresser une femme qui n'a jamais eu de contact est physiquement à la portée de tout le monde. Pour la personne en situation de handicap, c'est vraiment une bouffée d'air, c'est énorme ! Mon rôle est de faire un petit trou dans cette bulle pour essayer d'ouvrir une porte pour que cette personne puisse sortir de cette prison ». Le but de l'accompagnement sexuel, comme décrit lors de la formation, est en effet de donner confiance aux personnes handicapées pour qu'elles puissent à terme rencontrer quelqu'un et avoir une vie sexuelle et affective « normale ».

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Un accompagnant sexuel doit aussi faire preuve d'ouverture d'esprit, selon le Haut-Rhinois de 35 ans : « J'ai une certaine liberté psychologique qui me permet de faire ce genre de chose, de détacher mon corps, mon esprit. Ça ne m'atteint pas, ça ne me demande pas d'efforts en particulier, à part bien sûr le respect de la personne en situation de handicap, ses préférences et ses limites ». François Crochon, sexologue lyonnais, confirme que les accompagnants sexuels « sont à l'aise avec leur propre sexualité » et ajoute que, parfois, certains ont « des habilités sexuelles, comme des travailleurs du sexe qui vont vouloir diversifier leur clientèle et qu'on va envoyer vers des associations pour se former ». La plupart des stagiaires présents à Erstein ont par ailleurs confié être libertins.

« La formation a été très médiatisée, mais tout le monde ne souhaitait pas être filmé ou interviewé. Moi, j'y suis allé. Je me considère comme un militant. Je veux provoquer, je veux que l'on connaisse l'accompagnement sexuel. » C'est avec ces quelques mots que Fabrice raconte l'engouement qu'a provoqué en lui cette formation. Formé un peu après Emma, au printemps 2015, il est l'un des premiers stagiaires de l'Appas en France – et l'un de ses plus fervents partisans.

Soutenu par sa femme, il ne cache aucunement son activité à ses proches, et se livre très ouvertement sur l'une de ses expériences qui l'a particulièrement touché : « Au départ, la personne n'avait pas de désir sexuel, elle ne savait pas trop ce qu'elle voulait. On s'est baladés, on a fait connaissance, comme lors d'une vraie rencontre. Et, au bout d'un moment, je lui ai dit : "J'ai envie de t'embrasser". Ce qui était troublant pour moi. Et je l'ai embrassée. » La personne s'est finalement sentie en confiance et a ressenti du désir. L'accompagnement est allé jusqu'au rapport sexuel.

Témoigner sans ambages de son activité est un moyen pour Fabrice de la faire connaître, et d'essayer de la faire accepter par les plus sceptiques. Et ils sont légion. Dans le milieu politique, seul Jean-Claude Boulard, sénateur de la Sarthe et maire PS du Mans se positionne en faveur. Face à lui, des personnalités comme Roselyne Bachelot, le sénateur de l'Essonne Michel Berson, et l'ex-secrétaire d'État en charge des personnes handicapées Ségolène Neuville se sont opposés à la réglementation de la pratique. « Il faut que les mentalités évoluent », rétorque Fabrice. Les réponses à toutes les questions que soulève l'accompagnement sexuel se trouvent peut-être à l'étranger : les Pays-Bas, l'Allemagne, l'Autriche, le Danemark et la Suisse ont tous autorisé cette activité depuis quelques années.

*Le prénom a été modifié.