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Crime

Le Mexique diffuse une vidéo de l’évasion d’El Chapo, mais les Mexicains vont-ils y croire ?

Beaucoup d’observateurs mettent en doute la version livrée par le gouvernement mexicain — comme en 2001, lors de la première évasion d’El Chapo.
Captures d'écran via Secretaría de Gobernación

Beaucoup d'observateurs mettent en doute la version livrée par le gouvernement mexicain pour cette dernière évasion du baron de la drogue — tout comme en 2001, lors de la première évasion d'El Chapo.

D'après la version livrée à l'époque par le gouvernement mexicain, Joaquin « El Chapo » Guzman s'était échappé, le 19 janvier 2001, du quartier de haute sécurité d'une prison mexicaine, en se cachant dans un chariot servant à transporter le linge. Une histoire d'évasion digne d'un dessin animé pour un des hommes les plus dangereux du monde.

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Mais d'après des experts, ce qu'il se serait réellement passé, c'est que Guzman serait en réalité sorti de la prison par la grande porte, déguisé en officier de police. Cette « évasion » se serait faite avec le soutien d'employés de la prison, notamment du gardien chargé de l'entrée.

Ce mardi soir, les autorités mexicaines ont diffusé des images de la deuxième incroyable évasion d'El Chapo. Dans la vidéo, on distingue un homme habillé d'un jogging et d'un sweat-shirt qui se balade dans sa cellule. Il enfile ses chaussures, puis se penche derrière une petite paroi qui lui arrive à la hanche, dans le coin qui lui sert de douche. Sur la vidéo, on peut lire l'inscription « 8:32 ». Après ça, plus aucune trace de l'homme.

Si Guzman est connu pour utiliser des tunnels afin de faire rentrer de la drogue aux États-Unis, des doutes ont rapidement émergé quant à son évasion de ce samedi, par un long tunnel qui reliait la prison à l'extérieur.

Pour certains, la version donnée par le gouvernement ne tient pas. El Chapo aurait eu des employés chargés de construire un tunnel à près de 10 mètres de profondeur, puis il aurait piloté une moto dans ledit tunnel sur près de 1 600 mètres, tout en cassant les ampoules qui éclairaient le tunnel afin d'échapper à de potentiels gardiens lancés à ses trousses.

Le tunnel pourrait avoir été construit pendant le temps de l'incarcération de Guzman dans la prison d'Altiplano, mais il aurait été impossible de ne pas remarquer les quelque 3,2 tonnes de terre et de gravats sortis de terre pour creuser le tunnel. Des experts interrogés par des médias locaux sont arrivés à cette estimation quant à la quantité de terre à évacuer pour creuser un tel tunnel.

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La maison dans laquelle donnait l'issue du tunnel était en plus située entre la prison d'Altiplano et une base de l'armée mexicaine — qui comptent toutes deux, des tours de surveillance. Une école de police de l'État de Mexico est aussi installée dans les parages. Le périmètre de sécurité mis en place autour de la prison, composé de policiers et de militaires, auraient dû remarquer la fuite de Guzman.

D'autres observateurs ont aussi noté qu'El Chapo a le crâne rasé sur la photo diffusée par les autorités pour son avis de recherche, alors que les images révélées ce mardi de la vidéo de surveillance montrent un homme chevelu. La photo publiée par les autorités est néanmoins non-datée.

Trois jours après l'évasion, les autorités ont admis que le trafiquant de drogue et ses complices ont probablement soudoyé des gardiens et des officiels de la prison d'Altiplano. Des rumeurs qui circulent sur les réseaux sociaux proposent l'hypothèse que la corruption ayant mené à l'évasion d'El Chapo aurait en réalité touché des sphères bien plus élevées du gouvernement mexicain.

La journaliste d'investigation, Anabel Hernandez, a déclaré sur Radio Formula, ce mardi, que si El Chapo avait été recapturé en février 2014 et mis derrière les barreaux, il « n'a jamais été réellement incarcéré. »

La procureur général Arely Gomez, au centre, s'agenouille pour examiner la sortie du tunnel, par lequel El Chapo s'est échappé. (Photo via Associated Press)

Se basant sur la version proposée en 2001 par le gouvernement mexicain, certains pensent que cette histoire de tunnel pourrait être qu'une grande mascarade.

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D'après le livre d'Hernandez, Narcoland, la présence du corps de Guzman dans un chariot de linge aurait déclenché les capteurs thermiques qui sont installés aux différents check points de la prison de Puente Grande à Jalisco. Il est sorti de la prison par la porte principale, habillé en officier de police, écrit Hernandez, après avoir recueilli plusieurs témoignages et examiné le dossier judiciaire de Guzman.

« Cette prison a des capteurs de partout, et des portes automatiques. C'était impossible [d'en sortir], » expliquait Hernandez à VICE News en 2013.

« Ce serait ne pas tenir compte de ses compétences criminelles, et du fait qu'il aime innover. »

Cette fois-ci, l'opinion publique ne devrait pas éluder la possibilité qu'El Chapo se soit échappé « par l'entrée » et qu'« une ou plusieurs personnes l'ont aidé, » confie le journaliste et écrivain, Jesus Lemus, à VICE News.

Lemus est un journaliste qui a été incarcéré à Puente Grande entre 2011 et 2012 pour de fausses accusations d'associations à une entreprise criminelle. Il avait été libéré après que les autorités se sont aperçues avoir arrêté le mauvais suspect. Pendant son temps derrière les barreaux, Lemus a interrogé de nombreux prisonniers et gardiens à propos de la première évasion spectaculaire d'El Chapo, dix ans plus tôt.

« Il est sorti par la porte d'entrée, il est parti déguisé en policier. Les prisonniers qui sont restés l'ont identifié grâce à ses yeux et sa taille. Et aussi parce qu'il leur avait payé quelques faveurs, » explique Lemus à VICE News.

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« El Chapo est un type qui sait comment s'attirer la loyauté, et paye parfois pour cela. Je ne pense pas qu'il s'est échappé par un tunnel. Ce serait ne pas tenir compte de ses compétences criminelles, et du fait qu'il aime innover, » note l'auteur. « J'ai été dans ces prisons et elles sont construites sur un socle de béton renforcé d'au moins deux mètres d'épaisseur. »

Les autorités ont donné, ce mardi, l'autorisation aux photographes d'entrer dans la maison où le tunnel débouchait. Ils ont pu filmer l'entrée d'un profond puits dans lequel Guzman aurait piloté une moto sur 1,6 kilomètre, d'après les autorités.

Les caméras des chaînes de télévision ont aussi pu filmer l'intérieur de la cellule 20. En complément de la diffusion des images de la cellule de Guzman, les autorités mexicaines essayent dans le même temps de réduire au silence toutes les rumeurs entourant l'évasion d'El Chapo.

Le ministre de l'Intérieur mexicain, Miguel Osorio Chong, a défendu le gouvernement et sa gestion de l'affaire, ce lundi soir, arguant que les pénitenciers d'État mexicains sont aussi bien protégés que ceux aux États-Unis.

« La prison a des clôtures de périmètre, des check points routiers et pédestres, des tours de sécurité internes et externes à l'enceinte de la prison — en plus de 26 filtres de sécurité, » d'après Osorio. « Depuis plus d'un an et demi, il y a des opérations de surveillance complémentaires menées par la police fédérale et l'armée. »

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Trois officiels de la prison — notamment un gardien — ont été remerciés. 53 autres personnes ont été interrogées à propos de  l'évasion, notamment des employés de la prison, des compagnons de cellules et deux des avocats de Guzman.

Le Mexique était prévenu

Le Mexique avait eu droit à un avertissement. Des agents des stups américains avaient prévenu les autorités mexicaines que des rumeurs circulaient autour d'une potentielle tentative d'évasion d'El Chapo de la prison d'Altiplano, seulement un mois après son arrestation. Les agents de la DEA de Los Angeles et de Houston avaient noté qu'une évasion de prison était potentiellement dans les tuyaux, selon un article d'Associated Press. Osorio Chong a nié que le gouvernement mexicain était au courant de telles informations.

« Mes collègues de la DEA ont reçu un rapport dans lequel divers plans pour une évasion étaient détaillés, mais c'était il y a des mois de ça. On pensait qu'ils avaient pris le problème en main, » explique à VICE News un ancien agent de la DEA, Gilberto Gonzalez. « Maintenant on se rend compte qu'ils n'avaient en réalité rien fait. »

« C'est très décevant pour mes collègues qui avaient participé à l'arrestation de Guzman, parce qu'ils ont l'impression d'avoir risqué leurs vies pour rien, » ajoute Gonzalez.

José Luis Montenegro, l'auteur d'un ouvrage récemment publié sur les fils d'El Chapo, intitulé Narcojuniors, note que les procureurs avaient pris des dispositions pour éviter que Guzman puisse être extradé vers les États-Unis. Pendant ce temps, Guzman et d'autres prisonniers se plaignaient des conditions de vie de la prison à la commission nationale des droits de l'homme, déclenchant une enquête qui a finalement débouché sur rien.

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« Tout cela pourrait avoir servi à gagner du temps pour construire le tunnel d'El Chapo — qu'il ait servi ou non, » explique Montenegro à VICE News.

« Cela ressemble plus à de la complicité qu'une omission de la part du gouvernement, » dit-il. « Comme en 2001, vous vous mettez dans la poche les autorités, grâce à des pots-de-vin et autres menaces. Puis vous utilisez vos hommes, comme aujourd'hui. »

Montenegro étudie les comptes de réseaux sociaux liés aux fils d'El Chapo et ses associés. Ces comptes ne sont néanmoins pas certifiés. Ils sont silencieux depuis l'évasion d'El Chapo.

L'auteur explique que la géolocalisation et les liens entre les comptes montreraient qu'Ivan Archivaldo Guzman Salazar, un des trois fils issus du premier mariage d'El Chapo, aurait tweeté le 6 juillet : « Tout vient à point à qui sait attendre. »

Cinq jours plus tard, son père s'échappait de prison.

Luis Chaparro a contribué à la rédaction de cet article depuis Ciudad Juarez.

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