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Culture

À quoi reconnaît-on un bon polar chinois ?

Globalement, il pleut beaucoup – et l’intrigue n’est jamais qu’un prétexte pour dénoncer les ravages du capitalisme made in China. La preuve avec « Une pluie sans fin », de Dong Yue, sorti ce mercredi 25 juillet.
Alexis Ferenczi
Paris, FR
Image tirée d'Une pluie sans fin, avec l'aimable autorisation de Wild Bunch.

En quittant le genre historique du film de sabre (wu xia pian) et en s’engageant de plain-pied dans le monde contemporain, le polar chinois a (presque) rattrapé son retard sur ses voisins coréens et japonais, devenus depuis quelques années des bêtes de festival. Exit le folklore un peu désuet - place aux critiques à peine voilées de la modernisation galopante et de l’hyper-capitalisme.

Pour toutes celles et ceux qui ont été biberonnés aux aventures du Juge Ti et qui étaient restés attachés à ce haut fonctionnaire (bien réel) sérialisé par l’auteur hollandais Robert van Gulik devenu un peu le Sherlock Holmes de l’Empire du Milieu - le polar chinois a bien changé.

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Au cinéma, le genre est aujourd’hui emprunté par des cinéastes plutôt rangés dans la case « auteur » (récemment Jia Zhangke avec A Touch Of Sin ou Diao YiNan avec Black Coal, Thin Ice). Notamment parce que les activités criminelles permettent de décrire en toile de fond les dysfonctionnements d’une société qui a connu de sérieux changements ces dernières décennies.

Deux films viennent symboliser l’essor du polar chinois au cinéma : Une pluie sans fin, premier long-métrage de Dong Yue, qui sort ce 25 juillet en salles - immédiatement comparé à Memories of Murder, film culte du réalisateur coréen Bong Joon-Ho. Et Have A Nice Day, film d’animation de Liu Jian sorti le 20 juin dernier (mais que vous pouvez encore mater si vous vous dépêchez) rangé dans la catégorie « hommage à Tarantino ».

S’ils ont connu des fortunes diverses en festival – le premier a été récompensé par un Grand Prix à Beaune, le second a été déprogrammé du Festival d’Annecy de 2017 sous la pression du gouvernement chinois – tous deux s’intéressent aux vies bouleversées par les nouvelles dynamiques du pays.

On s’est amusé à relever les passerelles historiques, géographiques ou météorologiques qui pouvaient les relier et on a demandé à Qiu XiaoLong, célèbre auteur de romans policiers, de les décrypter.

Ça se passe dans le trou du cul de la Chine

Une pluie sans fin raconte la quête effrénée de Yu Guowei, un contremaître d’usine qui enquête sur une série de meurtres de jeunes filles en 1997 – l’année où Hong Kong est rétrocédé à la Chine. Le film a été tourné à Hengyang, dans la province de Hunan. Une ville qui a été autrefois un site industriel majeur du sud de la Chine - avant que nombre de ses usines d’État ne ferment leurs portes à la fin des années 1990 par manque de rentabilité.

Dans Have A Nice Day, l’action est aussi située dans le sud du pays, mais de nos jours. On y suit les tribulations de Xiao Zhang, simple chauffeur pour le compte d’un mafieux local, qui dérobe à son patron un sac rempli d’un million de yuans que vont se disputer plusieurs protagonistes. Si le paysage y est plus tropical, on reste dans les faubourgs d’une bourgade sans nom, animée par les chantiers de construction ou les néons d'un hôtel et d'un cybercafé.

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Un anonymat qui s’explique assez simplement, selon Qiu XiaoLong : « Je ne sais pas si vous avez remarqué mais, en Chine, dans la majorité des séries télé, des films et même des romans qui traitent d’affaires criminelles, vous ne pouvez pas mentionner le vrai nom de la ville où se déroule l’action. Il m’est arrivé la même chose avec mes romans. Je ne pouvais pas dire que les crimes avaient lieu à Shanghai, alors que tous mes lecteurs savent que ça s’y passe. »

Les héros ont envie de se casser

Un sentiment assez commun quand on vit donc le trou du cul d’un pays. C’est donc le cas de Xiao Zhang, qui n’a volé l’argent de son boss que dans un seul but : récupérer assez de thunes pour partir en Corée du Sud et, accessoirement, corriger l’opération de chirurgie esthétique de sa copine qui a mal tourné.

Dans Une pluie sans fin, c’est une des motivations de Yuan Zi, jeune prostituée qui voudrait ouvrir un salon de coiffure à Hong Kong. L’île apparaît dans le film comme une sorte d’idéal qui permettrait de sortir les personnages de leur misère affective et/ou économique.

« Pour certaines jeunes femmes issues des couches sociales les plus défavorisées, Hong Kong incarnait le rêve et l’espoir. Jusqu’en 1997, l’île est aux yeux des citoyens chinois les plus modestes, un lieu prospère symbole d’un avenir radieux », souligne le réalisateur Dong Yue dans le dossier de presse.

Une pluie sans fin (c) Wild Bunch.

Pour Qiu XiaoLong, il n’y a aucun doute, les histoires criminelles abordent, au-delà du fait divers, des sujets bien plus importants. « En Chine, ce n’est pas facile d’aborder les problèmes liés à la société. Le crime, c’est un peu une excuse parfaite pour en parler. Vous êtes obligé de vous pencher dessus, même si c’est de manière très subtile ou indirecte. Il y aura toujours des indices ; dans le contexte politique, social et économique ou même dans la manière dont l’enquête se déroule. »

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Il pleut

Mais genre violent. Dans Une pluie sans fin, comme le rappelle un agent de police : « la pluie efface les traces des meurtres ». Pour Dong Yue, elle a pour fonction de porter sur les nerfs des personnages : « Les gens qui vivent sous la pluie n’ont pas l’occasion de ressentir la chaleur du soleil. Cette atmosphère humide et pluvieuse pèse négativement sur leur moral et s’avère propice aux crimes et aux actes malveillants. »

Une pluie sans fin (c) Wild Bunch.

Dans Have A Nice Day, elle menace tout au long de cette fameuse nuit où le sac change régulièrement de main, avant d’éclater en averse lors d’un climax « carambolesque ».

Bref, dans les deux films, la météo incarne les angoisses de leurs personnages.

Tout le monde conduit n’importe comment

Dans la réalité, la Chine moderne abreuve le monde d’images d’accidents de la route particulièrement gores. Un vieil adage cité par Slate affirme ainsi : « mieux vaut reverser et tuer, que renverser et blesser » - tout simplement parce que la prise en charge des soins de la victime est beaucoup plus coûteux si elle est encore en vie.

Dans les deux films, c’est un peu le même constat. Les comportements sur la route ne sont pas du tout ceux enseignés dans les écoles de conduite. On cumule un routier un brin fatigué, un mec qui klaxonne avec sa caisse de kéké, un side-car particulièrement capricieux. Si vous ajoutez la pluie qui rend la chaussée assez glissante, tous les éléments sont réunis pour que les deux films comportent quelques scènes n’ayant rien à envier à une compétition de Demolition Derby.

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Have A Nice Day (c) 2017, Nezha Bros Pictures Company Limited.

Les héros outrepassent leurs fonctions

C’est une des premières notions de philosophie chinoise que l’on apprend quand on fait une licence à Langues O : tant que tout le monde reste à sa place, comme les briques assurent la stabilité, l’ordre des choses est maintenu. Un principe qui n’est pas du tout respecté par les personnages de deux films et – surprise – tout part du coup en cacahuète.

Dans Une pluie sans fin, Yu est chargé de la sécurité d’une usine – son job est d’empêcher les vols et il le fait plutôt bien – « c’est un don », se vante-t-il alors qu’il vient d’être récompensé par un titre d’employé de l’année. Problème, Yu en veut plus. Quand des cadavres de jeunes filles sont retrouvés dans les environs de l’usine, il ne peut s’empêcher de se lancer dans l’enquête comme s’il était flic.

Pareil pour le héros de Have A Nice Day, chauffeur pour un petit malfrat local qu’il va tenter de tromper – dans une sorte de « move » à la Butch Coolidge (le personnage de Bruce Willis dans Pulp Fiction) – ce qui entraîne forcément des complications, des rencontres fortuites, des coups et, in fine, des blessures.

Have A Nice Day (c) 2017, Nezha Bros Pictures Company Limited.

Que les gros fans de polar ne s’emballent pas. Les deux films mentionnés ci-dessus ne sont pas encore au niveau des récents classiques du cinéma policier hong-kongais (type Infernal Affairs ou Election). Mais avec son ton abrasif et ses péripéties absurdes, Have A Nice Day a le mérite de se détacher de la masse et de proposer une description plutôt réglo du tissu urbain contemporain chinois.