Quoi de plus américain que le concept de road-trip ? Dans la culture populaire, les virées en voiture revêtent un côté presque mythique et ont inspiré de nombreux artistes – dans Les Raisins de la Colère de John Steinbeck, la famille Joad se rend en Californie dans l'espoir d'une vie meilleure, Boby Dylan a revisité l'autoroute Highway 61 , et Jack Kerouac est connu pour avoir rédigé Sur la Route en trois semaines, capturant parfaitement l'incertitude et l'excitation inhérentes à ces voyages.
Naomi Harris est aussi coutumière des road-trips. Née au Canada, elle a écumé les quatre coins de son pays pour y faire des reportages – sur des sujets aussi divers que le quotidien de jumeaux albinos et la plus grosse cafetière au monde – avant d'obtenir sa carte verte. Aux États-Unis, Harris s'est mis en tête de chroniquer les 100 premiers jours de présidence de Donald Trump. Elle a fait le tour du pays en photographiant les personnes qui croisaient sa route, et leur a demandé pour qui ils avaient voté. Au cours de son périple, elle a souvent dormi sur des parkings de Walmart, avec son chien pour seule compagnie.
On lui a demandé de nous résumer son projet en quelques lignes. — Liz Renstrom & Alex Norcia
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Le 8 novembre 2016, soit le jour de l'élection, j'étais dans un avion pour Paris où je devais fêter l'anniversaire de ma mère. Cette élection était particulièrement importante pour moi, puisque c'était la première fois que je pouvais voter. Bien que mon candidat favori, Bernie Sanders, ait perdu les primaires, j'étais persuadée qu'un démocrate allait remporter l'élection. Alors que j'étais en train de piquer du nez, le pilote a fait une annonce : Donald Trump venait d'être élu président. Plusieurs personnes ont laissé échapper un cri de surprise, d'autres ont applaudi. Au cours des deux heures suivantes, un silence pesant s'est installé.Je ne sais pas trop si j'étais désorientée par le décalage horaire ou ma propre incrédulité, mais j'avais l'impression d'être dans le brouillard. Mon fil d'actualités Facebook s'est trouvé envahi de messages désespérés. Puis j'ai regardé les informations, et je me suis demandé : qu'allait-il se passer durant les premiers jours de sa présidence ?Dans les années 1930, Franklin D. Roosevelt a évoqué cette période des 100 jours (bien qu'il se référât au Congrès, et non pas à sa propre présidence), qui est désormais employée pour déterminer ce à quoi le pays doit plus ou moins s'attendre. Le 20 janvier, alors que Trump devenait officiellement notre président, j'ai entamé mon périple. J'ai passé 100 jours sur la route, histoire de tenter de comprendre comment les sondages et les médias avaient pu se planter aussi royalement. Je voulais parler avec des Américains de toutes sortes, les photographier, et comprendre pour qui ils avaient voté – et pourquoi.
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Sans itinéraire défini, je suis partie de Washington DC et j'ai traversé le pays, en laissant les informations et la météo dicter mon voyage. Je suis allée dans le Sud, à Palm Beach en Floride, puis je suis partie vers l'ouest, en longeant la frontière au Texas, au Nouveau-Mexique et en Arizona – là où Trump avait suggéré de faire ériger son mur. Arrivée au nord de la Californie, j'ai fait demi-tour pour aller dans la Rust Belt. Au total, j'ai fait 19 États. J'ai terminé mon projet le 29 avril, à Niagara Falls, dans l'État de New York.J'étais surprise de constater que la plupart des gens croisés étaient peu optimistes quant à la présidence de Trump – ils semblaient surtout désabusés par rapport à la politique dans son ensemble. Beaucoup de démocrates m'ont dit qu'ils ne pouvaient pas se résoudre à voter Hillary Clinton (souvent pour les mêmes raisons : Benghazi, ses sombres affaires de mails, sa paie exorbitante pour intervenir à Wall Street). Des Républicains qui ne prenaient pas Trump au sérieux m'ont aussi expliqué pourquoi ils refusaient de voter pour elle. D'autres m'ont dit que les médias n'avaient pas parlé de Bernie Sanders de manière objective, ou qu'ils n'aimaient pas la direction que prenait le parti démocrate.Je pense que la meilleure manière de résumer ce projet est une citation du musicien Daryl Davis : quand je l'ai photographié, il a comparé l'Amérique à un os cassé que personne n'avait jamais pris le temps de réparer. Avec un président comme Trump, les problèmes liés au racisme, aux inégalités et à la liberté d'expression refont surface. « parfois, un médecin a simplement besoin de casser un os pour de bon pour le reformer », a-t-il déclaré. « C'est ce dont l'Amérique a besoin. »
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