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Culture

À l’aube du printemps, Kid Koala nous explique ce qui lui manquera de l’hiver

Comment le producteur fait la différence entre des créations nées du froid de celles nées du chaud

Impossible de le nier : pour les Québécois et Québécoises, la météo est un sujet de conversation de prédilection. Un fait surprenant pour ceux qui habitent des pays où il serait impensable que le thermostat puisse fluctuer entre -20°C et +10°C en l’espace d’une journée. Mais pour nous, le fait de partager euphories, exaspérations et émois prend souvent la forme d’une thérapie de groupe.

Aux yeux de bon nombre d’artistes, la saison hivernale offre également l’occasion de réactiver son moteur créatif et de se mettre au boulot. À ce chapitre, le DJ, musicien, turntablist et bédéiste Eric San (alias Kid Koala) est certainement le Montréalais le plus catégorique sur l’influence de la météo sur son œuvre. « Parfois, mes producteurs me font la remarque : tes compositions sont si surprenantes et cinématographiques, où vas-tu chercher ça? Et je dois leur dire : c’est l’hiver, c’est le Canada! Je ne sais pas comment vous le dire autrement, mais ça ne peut pas se résumer à moi. Je refuse de croire à cela. Il s’agit d’être en symbiose avec son environnement. »

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Vancouvérois d’origine, Kid Koala a atterri à Montréal dans les années 1990 pour faire ses études à l’université McGill. Il lançait l’an dernier Music To Draw To : Satellite, un sublime album de compositions vaporeuses et mélancoliques, dont les cordes, les synthés, et la voix de la chanteuse islandaise Emilíana Torrini ont tranquillement pris forme au fil de trois hivers consécutifs. Il se souvient d’ailleurs de tentatives vite abandonnées d’avancer sur le projet en pleine période de canicule.

« Les décisions que je prenais ne cadraient pas du tout avec la direction que devait prendre le projet. Quand je bosse sur les albums Music To Draw To en plein hiver, tout me vient très naturellement. Je me suis rendu compte que je ne devais pas lutter contre cela. C’est de me dire que je suis sur cette planète, qu’elle tourne en rond et traverse les saisons, et que je ne devrais pas lutter contre cette énergie. Si tu n’as pas vu le soleil depuis quatre semaines, cela va t’affecter. Mais tu peux canaliser cette énergie : danser jusqu’aux petites heures, manger huit gallons de crème glacée, jouer aux jeux vidéos… Pour moi, ça se passe dans mon studio, sur le plan créatif. »

Bien que les études sondant les liens entre créativité et météo demeurent peu nombreuses, un article du Psychology Today de 2013 mettait de l’avant l’idée d’une « pleine conscience en hiver ». Le Dr. Joseph Cardillo décrit l’hiver comme une « saison de repos, de réflexion, de préservation de ses énergies physiques et psychiques, mais aussi d’un moment qui se prête à trouver refuge et créativité dans l’énergie de la vie – celle de la nature et la nôtre. » Une autre étude menée conjointement par des universités aux Pays-Bas et au Singapour en 2014 avance l’hypothèse que le froid faciliterait une plus grande créativité pour décrypter les métaphores, inventer des nouveaux noms de pâtes (!) et démontrer ses capacités d’abstraction.

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En tant que Canadiens, il serait facile de s’apitoyer sur notre sort de congélateur du continent américain, mais Kid Koala insiste sur le fait que nous sommes loin d’être les seuls à composer avec de longs mois qui, pour certains, riment avec troubles affectifs saisonniers. « J’ai en discuté avec plusieurs amis musiciens et artistes des pays nordiques et ils disent la même chose », explique-t-il. « Ils ont également hâte de se recentrer lorsque l’hiver approche. À l’été, tout le monde s’éclate, on se produit dans des festivals de musique, dans des endroits bondés de gens, et on vit à fond cet engouement. Mais après un certain moment, ça suffit ! On se retire. Pour moi, les mois froids sont très réparateurs. Il est plus facile de me concentrer sur un projet et ne pas me laisser distraire. »

Cela fait écho à ce que la productrice de tech-house suédoise Sanna La Fleur Engdahl (alias La Fleur) me confiait lors de son passage à l’Igloofest en 2016. « Il fait noir — et froid! — pendant une très grande partie de l’année en Suède. Tu n’as d’autre choix que de t’enfermer et de te tenir bien à l’abri de dame Nature. Beaucoup de gens se tournent alors vers la création pour passer le temps», me disait-elle, s’empressant d’ajouter que les Suédois sont aussi très enclins à se plaindre de la météo, mais qu’il font tout de même avancer les choses « car tu ne peux pas vraiment t’étendre sur la plage ».

L’entreprise Invest Stockholm émettait en 2016 des hypothèses pour expliquer comment Stockholm avait réussi à s’imposer en tant qu’important pôle européen dans le secteur des start-ups, ayant vu éclore des géants de la technologie comme Spotify et Skype. « Nous passons beaucoup de temps avec notre famille et nos amis en hiver, ce qui implique que les idées que nous développons seront disséquées en long et en large avec du feedback constructif de tierces personnes », résume Victoria Bastide de la start-up Lifesum. « Cela veut dire que les idées seront non seulement bonnes, mais qu’avec tout le temps mis à réfléchir à leur exécution, leurs chances de réussite seront encore meilleures. »

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Kid Koala s’apprête à lancer la trame sonore du jeu vidéo de battles breakdance Floor Kids , un projet plus funky et énergique dont la création s’est effectuée – vous l’aurez deviné – en été. Mais entre-temps, il m’annonce (avec un mélange de gêne et d’humour) quelque chose qui va décidément à contre-courant du consensus canadien : qu’il espère profiter encore de quelques semaines d’hiver pour se mettre à l’œuvre sur le prochain disque Music To Draw To. « Ces derniers mois, nous étions au Chili pour la tournée Vinyl Vaudeville, au Mexique avec Nufonia, en Arizona et au Tennessee, donc j’ai essentiellement zappé l’hiver. J’essaie de me rattraper pendant qu’il y a toujours quelques flocons de neige sur les trottoirs, car le projet Music To Draw To a besoin de cette énergie comme moteur. Je sais pertinemment que l’instant où toute cette neige aura fondu, la dernière chose que je voudrai faire sera de composer dans ces tempos. »

Michael-Oliver Harding est sur Twitter.