Québec a ouvert ses consultations sur les transports en commun et tout le monde est venu en char
Régis Labeaume était plus populaire quand il ne parlait que des Nordiques. (Photo : Jacques Boissinot/La Presse Canadienne)

FYI.

This story is over 5 years old.

transports

Québec a ouvert ses consultations sur les transports en commun et tout le monde est venu en char

Le terme « mascarade » est peut-être sévère pour décrire les consultations publiques de la Ville de Québec sur le transport en commun, mais on doit admettre qu’il y a un élément de ridicule à celles-ci.

Après s'être fait refuser d'abord un tramway par les gouvernements supérieurs, la Ville de Québec s'est rabattue sur un Service rapide par bus, lequel a été abandonné au milieu d'une virulente campagne contre le transport en commun orchestrée par les radios privées. La Ville de Québec a donc organisé quatre séances de consultations publiques, du 6 au 10 juin, pour tâter le pouls de la population.

VICE m'a envoyé couvrir les deux premières séances.

Publicité

Jour 1

La première assemblée a lieu à Beauport, au 3500 rue Cambronne, ce qui place le projet sous de drôles d'augures. C'est en banlieue et tout le monde est venu en char, sauf moi et deux autres zozos, d'après un décompte scientifique du rack à bicycles. On est mardi après-midi, alors je ne m'étonne pas qu'à 41 ans, je sois parmi les plus jeunes de la salle. L'agent de police qui surveille le tout n'aura pas beaucoup de travail.

À l'entrée, on me remet un tract pour le MGV, un projet de monorail pour relier Québec et Montréal. J'ai un flash des manifestations d'antan, quand tous les groupes communistes nous remettaient leurs feuilles de chou dont on ne savait que faire pendant les deux heures qui suivaient.

Je passe les tables réservées à la presse. Je ne sais toujours pas comment me comporter dans cette situation; les journalistes professionnels dégagent une forme d'assurance qui m'intimide. J'ai peur que mon imposture ne soit immédiatement découverte. Je vais m'asseoir en avant avec mon ordi sur les genoux.

La salle bruit de rumeurs : « Quand il y a beaucoup de monde dans la salle, c'est qu'il y en a dix pour le promoteur », « référendum », « il y a pas beaucoup de monde pour le transport en commun icitte, on est tous venus en voiture ». Ça ne regarde pas bien, mais le tout devient inaudible à mesure que l'espace se remplit et qu'on s'assoit aux dernières places, juste en face de moi, et j'ai peine à en croire mes yeux…

Publicité

OMG!! C'EST JEAN-FRANÇOIS GOSSELIN!!

Pour ceux qui viennent tout juste de se joindre à nous, Jean-François Gosselin est ce candidat à la mairie qui a trouvé son programme politique dans une radio-poubelle; le fondateur et idéologue de son parti, un certain Fred Têtu, était jusqu'à tout récemment chroniqueur à Maurais Live, que diffuse CHOI Radio X. Férocement anti-transport en commun et pro-automobile, il s'est fait remarquer à son entrée dans la campagne en disant qu'il était « pour les arbres, mais pas au détriment du stationnement ».

Je l'ai immédiatement adopté.

La séance commence par une présentation destinée à cadrer la discussion. Le maire entre dans un silence de plomb et présente brièvement l'affaire : le SRB est mort, on retourne devant la population pour un nouveau projet. Il précise qu'il a demandé à ses élus et candidats de ne pas intervenir, question de ne pas interférer dans le processus. Il ajoute que si les autres prétendants à la mairie veulent prendre la parole, ils devraient demeurer « élégants » et laisser la chance à la population de prendre le micro.

Jean-François crie à la censure :

Si le projet de SRB « n'existe plus », il est à l'état zombie : il est mort, mais il marche encore. À défaut d'avoir pu produire un nouveau projet depuis l'abandon du dernier il y a quelques semaines, l'heure de présentation qui précède les interventions citoyennes sont toutes consacrées aux prémisses de ce qui l'avait fondé, et des capsules vidéo en parlent encore au futur. Ça énerve manifestement Jean-François, qui chuchote sans arrêt à l'oreille de ceux qui l'accompagnent. D'ailleurs, il semble remarquer que la période de questions est en retard de quinze minutes, ce qui risque d'alimenter sa théorie du complot : sa page Facebook ne cesse de dire que « tout est déjà décidé sans vous, parce qu'un vote pour Régis Labeaume est un vote pour le SRB ».

Publicité

Une dame très digne s'avance au micro et met en garde Régis : « Si dans 20 ans la motorisation continue d'augmenter dans la région de Québec, que le kilométrage parcouru continue d'augmenter, qu'on augmente les émissions de gaz à effet de serre, que la sédentarité continue de progresser, qu'on grignote les terres agricoles, personne n'ira dire à Nathalie Normandeau que c'est de sa faute. C'est vous monsieur le maire qui porterez cette responsabilité. »

J'ai applaudi si fort dans les oreilles de Jean-François que j'en avais mal aux mains.

Après, je suis reparti dans le trafic de l'heure de pointe en bicycle.

Jour 2

La deuxième séance de quatre se déroule le lendemain soir au centre-ville. Il y a foule : tous les sièges sont occupés, y compris dans une salle de débordement où on peut suivre l'action sur des écrans, et des gens sont debout. Pas moyen de garer son vélo : le rack est plein, et il y en a sur tous les poteaux à proximité.

Je cherche une place pour écrire à l'abri des regards indiscrets. Je me tire une chaise à côté de la régie. Le personnel est aux petits oignons :

– Êtes-vous journaliste?
– Ah, euh… c'est compliqué.
– Il y a une table là-bas où vous seriez mieux.

Mes amis finissent par débarquer. D'abord un activiste du vélo qui se tire une chaise à côté de moi. On est deux contre le mur avec des calepins et des ordis quand les autres arrivent.

– Salut les journalistes occultes!

Publicité

Allons donc, ça va devenir un running gag.

Régis est à côté de nous et semble de meilleure humeur que la veille. Il serre des mains, parle à tout le monde, puis se tourne vers nous. Je suis tout nerveux : vais-je enfin échanger mes premiers mots avec celui qui est maire de ma ville depuis dix ans?

– Êtes-vous journalistes?

CÂLISSE.

[Dans ma tête : Régis, je te présente Sébastien, militant de Québec Solidaire; Yan, activiste du vélo; Solène, utopiste anti-automobile; quant à moi, j'ai un lourd dossier, mais en gros je viens de publier un livre intitulé Fuck le monde. Tu es en belle compagnie.]

Sébastien : Il a écrit un super bon texte dans VICE .
Régis : Ah, je vais lire ça.
Moi : …
Régis : Écris-tu souvent pour eux?
Moi : Non, j'ai seulement couvert la course à la chefferie du Parti conservateur.
Régis : Hiii! Ça devait être weird!
Moi : Oui. Ils m'envoient couvrir des affaires weird.

Québec mon amour.

Dans son allocution, Régis met encore beaucoup d'efforts à signaler qu'il n'est pas contre l'automobile : « Je ne suis pas Hulk qui essaie d'éliminer les autos. » Il va découvrir assez vite que ce n'est pas le cas pour tout le monde.

Les interventions sont diversifiées, mais mieux cadrées que la veille. On parle à plusieurs reprises d'une tarification sociale, modulée en fonction des revenus, de la nécessité de prendre en compte les différents modes de transports, notamment le vélo, mais de manière générale, on ressent une urgence de finalement faire quelque chose dans la mesure où le « Plan de mobilité durable » qui gouverne l'action de la ville est déposé depuis sept ans et qu'on en est toujours à faire des consultations.

Publicité

Après la virulente campagne anti-SRB des radios privées, on s'attendait à un festival réactionnaire des tenants du « tout-à-l'auto ». Ce ne fut absolument pas le cas. Le ton est poli, posé, et si tout n'est pas d'égale valeur comme on peut s'en douter, rien ne paraissait du traumatique épisode du mois dernier. Les radios privées ont ignoré les consultations et n'ont pas daigné y envoyer leurs auditeurs. Elles préfèrent les dénigrer en ondes a posteriori, le délicat Jeff Filion traitant les participants de « mongols ». Quant à leur auditoire, il publie des commentaires sur internet.

On peut se demander d'ailleurs si on n'observe pas un renversement. Au début de ce qu'on a appelé à Québec le phénomène des « radios-poubelles », il y a une vingtaine d'années, des animateurs de droite se disaient aliénés dans un monde de gauche et prétendaient parler pour une forme de majorité silencieuse scandaleusement privée de discours alternatifs à celui de la « clique du plateau ». Aujourd'hui, ils dominent outrageusement les ondes, si bien qu'on les a vus se liguer entre eux – les trois plus grandes stations privées se sont impliquées dans la campagne anti-SRB – et leur vision du monde a largement façonné la vie politique de la capitale. On se trouve tout étonné après d'entendre dans des consultations publiques des discours posés de gens ordinaires et de constater que les « automobilistes », qui semblent être le seul souci des politiciens, deviennent des êtres humains dès qu'ils sortent de leur voiture.

Publicité

Le bilan de l'exercice risque quand même d'être mitigé. Karine Gagnon du Journal de Québec a appelé ça une « mascarade ». Le terme est sévère, mais on doit admettre qu'il y a quelque chose dans le décorum qui rend le tout un peu ridicule. Pour répondre aux questions, on a réuni une tablée de fonctionnaires dont c'est le champ d'expertise. Après, on demande aux citoyens de proposer des projets en deux minutes; on voit mal comment ces derniers pourraient émettre des idées qui n'ont pas déjà été étudiées. On a entendu au moins deux personnes dire qu'il ne fallait pas oublier qu'il neige au Québec.

Le reste est une question de volonté politique. À partir du moment où l'idée de Régis est faite sur la nécessité d'un réseau de transport structurant et le tracé de celui-ci qui passerait par la basse-ville, il n'a plus d'autre choix que d'arrêter son projet et d'en faire son cheval de bataille pour les élections. Ses opposants ont choisi leur camp et lui laissent pratiquement le champ libre : le parti d'Anne Guérette propose un tramway en haute-ville; celui de Jean-François Gosselin, rien du tout. Régis soutient présentement qu'il n'y a « pas de projet » et qu'il ne peut donc pas le défendre; il doit en trouver un et le faire. Autrement, on ne voit pas sur quelle base on voterait pour lui en novembre.

À Québec, le transport en commun est devenu un wedge issue. Des gens sont furieusement contre, il reste à ceux qui le veulent d'être furieusement pour.

Publicité

* * *

Entendu lors des consultations

« Il faut se renseigner, et pour se renseigner, il faut appeler Google. Je peux vous trouver le numéro de Google. »

« C'est pas parce qu'on mange des légumes qu'on part en guerre contre ceux qui mangent des chips. Moi, j'en mange des chips, pis j'en ai un char. »

« Il faut enlever de la place aux voitures. C'est sûr que c'est difficile, vous pouvez en parler à M. Juppé à Bordeaux qui l'a fait. Il s'est quand même fait réélire. »

« On a présentement un réseau de Métrobus structurant, mais le problème, c'est que cette colonne vertébrale a la scoliose. »

« Il y a un régime particulier d'information à Québec. Vous faites de belles études, mais ce n'est pas vous qu'on écoute le matin à la radio. »