Les Spice Girls ou les limites du féminisme hard discount

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Les Spice Girls ou les limites du féminisme hard discount

En 1997, Geri, Mel B, Mel C, Emma et Victoria sont dépassées par leur message et le Girl Power prend un sérieux coup dans l'aile. L'échec d'une tentative pourtant louable d'introduction au féminisme.

À la fin des années 90, toutes les filles pré-pubères se foutaient bien de savoir si elles étaient une Carrie, une Samantha, une Charlotte ou une Miranda. Elles avaient bien autre chose à faire de leur temps libre, comme de savoir si leur personnalité était plutôt proche de celle de Ginger ou de celle de Baby. Comme bon nombre de mes consoeurs nées au milieu des années 80, l'année 1996 a sonné le début de mes goûts musicaux et le début de la perte de dignité que j'avais pour moi-même. Heureuse détentrice d'une chaine hifi, de quelques ronds d'étrennes pour m'acheter des CDs deux titres, une nouvelle vie et une nouvelle personnalité - la mienne - s'offraient dorénavant à moi. Un peu perdue dans cet océan de possibles, un refuge s'est pourtant rapidement trouvé au sein d'un clan de cinq petites meufs martelé à la télé par l'émission Hit Machine et les clips du matin. Un premier vrai gang, une sisterhood puissante qui passait son temps à hurler en marchant sur les tables, poussant toutes les 4 secondes le cri de guerre de mes dix ans : GIRL POWER.

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À cette époque, les garçons étaient tous petits et cons - en tout cas ils en avaient l'air. Alors qu'ils passaient leur temps à claquer les brassières des CM2, alors qu'ils n'avaient toujours pas mué, je me plaisais à rêver d'un monde prochain et possible où j'aurais une répartie similaire à celle de Geri (j'étais évidemment Ginger, tu crois quoi ?) pour leur balancer que je me branlais d'eux, que les copines il n'y avait que ça de vrai, et que non, ce n'était pas « nul » d'être une fille. C'était la classe d'être une fille. La grosse classe.

Le groupe, résultat d'une petite annonce passée dans le magazine The Stage, n'a pourtant à l'époque que deux ans. Réponse avec des boobs aux boys band qui fleurissaient à la même époque, le groupe se retrouve rapidement formaté par les grosses machines de l'industrie musicale UK. Les Spice Girls réussissent le pari de choper rapidement un contrat bien lourd chez Virgin et montrent d'emblée de quel bois elles sont faites en virant leur premier manager Chris Herbert pour le remplacer par Simon Fuller (qui, en digne émissaire de Satan, ira ensuite monter S Club 7 et tout le dispositif télé-réalité Nouvelle Star). On est bien loin de leurs homologues masculins, dont les burnes sont souvent restés coincées dans des pantalons trop serrés.

En 1996, quand « Wannabe » inonde - voire pollue - les ondes, avant la sortie du premier album éponyme des Spice Girls, les cinq filles deviennent les fers de lance d'un vrai mouvement qui se balade en minijupe et laisse sur son passage une effluve puissante d'eau jeune. À grand coup de poses vénères dans les numéros de Star Club où elles répètent à cors et à cris leur « Girl Power » (un slogan qui servait à l'origine de nom au fanzine de Kathleen Hanna, leader de Bikini Kill), Geri, Mel B, Mel C, Emma et Victoria « politisent » les gamines de mon âge qui se trouvent à prôner une sororité toute neuve tout en rêvant de mettre cette petite robe ultra moulax aux couleurs de l'Union Jack dès qu'elles auront une vraie paire de einss. On regarde plus nos copines comme des possibles rivales pour le coeur de Maxime, mais comme des partenaires de galère, un truc cu-cul du genre « on est toutes différentes mais on se complète quand même ».

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Plus loin que moi et mes copines, le monde entier tombe ainsi sous le charme des Spice Girls. Légères mais authentiques, féminines mais féministes, jolies mais avec un vrai tempérament. Pas nian-nian mais pas tarées, elles servent de modèles à toute une génération de petites meufs qui ne savent pas encore où se placer sur le grand échiquier de la vie. Du côté des chiquitas, pardi. Ce qui n'empêchera néanmoins pas bon nombre de parents de vouloir se boucher les oreilles avec de l'amiante pour ne plus jamais réécouter un nouveau « zig-a-zig-ah », (la seule partie qu'on avait retenue quand on était pas encore en LV1 anglais).

Les Spice Girls étaient évidemment calibrées pour plaire. Les ados au coeur de midinette pouvaient choisir celle qui leur ressemblait le plus, comme quand elles sélectionnaient quelques années auparavant la meilleure copine de Barbie. Tu es du type à faire souvent la gueule ? T'es Posh. Tu es immature ? Sois Baby. Tu parles fort ? Pas de doute, tu es Scary. Tu fais du sport, t'es un peu garçon manqué ? Tu es Sporty. Tu es exubérante ? Bim, team Ginger. Une fois que tu as trouvé tous les membres de ton groupe « épicé » (et que tu as, accessoirement, forcé quelqu'un à être Mel C.), il ne te reste plus qu'à répéter la choré de Wannabe pendant la récré. Un premier single qui reste encore plus de 20 ans plus tard un putain de tube (j'en tiens pour preuve le fait qu'on m'ait filé deux euros une fois en soirée pour que je le passe), et le message qui en ressort, super positif. Comment ne pas être d'accord avec un message qui disait en substance « soyez toutes des copines » et « ne sortez pas avec des connards » ? Et qu'on retrouvera en filigrane, tout au long des 9 autres titres de Spice, sorti en novembre 1996. Un truc global mais rassurant, des grandes soeurs pas trop présentes qui te balancent des « mettez des capotes », « vos mères vous cassent peut-être les pieds mais quand même elles vous ont donné la vie » et « pour qui tu te prend gros blaireau nombriliste ? » (peut-être pas le plus rassembleur, ok, mais c'est celui sur lequel j'ai le plus dansé devant ma glace).

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1997, année WTF

En 1997, fortes d'un succès international, de cet album qui se vend encore mieux que des petits pains à la coke, les cinq britanniques se plaisent à secouer la planète pop avec véhémence, et se mettent à manger à tous les râteliers. Minijupes supra courtes, comportement un peu vulgos mais pas trop (elles tirent la langue à la caméra ! Elles ont pincé les fesses du Prince Charles ! Elles parlent de sexualité mais tapent la bise à Nelson Mandela ! Whoo !), elles pourraient fièrement continuer sur leur lancée et pourtant, le mouvement commence lentement et gentiment à s'essouffler. Trop vite, trop haut, les Spice Girls maîtrisent mal une carrière qui a décollé comme une fusée. Comme tous les jeunes groupes qui pensent être les seuls responsables de leur succès, elles virent assez rapidement leur manager, Simon Fuller, l'homme à l'implantation capillaire parfaite qui, avant de partir, remplit copieusement leur agenda, à coups de tournée, de tournages et d'enregistrements d'albums. Sans oublier des contrats publicitaires, qu'elles signent à la chaîne : les Spice Girls semblent ainsi accepter tous les partenariats qu'on leur propose. On parle ainsi de 300 millions de livres, rien que sur l'année 1997, ce qui leur vaut une montée de critiques en Grande-Bretagne. Parce que même si c'est chouette de se proclamer et de revendiquer son féminisme, si c'est juste pour pouvoir vendre du Pepsi et des chips aux kids, c'est pas forcément nécessaire…

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Poussée par leur maison de disques qui n'a surement pas envie de voir la source de thunes se tarir, le groupe lance à peine un an après Spice leur deuxième album, Spiceworld. Enregistré à la va-vite l'été 1997, sorti encore plus à l'arrache deux mois plus tard, Spiceworld n'est pas un four total, mais le disque commence à montrer que le concept Spice Girls n'est pas aussi bien conçu qu'il en a l'air. Il semble même s'éloigner des thématiques « féministes » qui avaient pourtant marqué leur premier disque et qui avaient apporté une vraie différence à ce groupe formé sur catalogue. Sérieux, que dire d'un truc comme « Spice Up Your Life » dont les auteurs avaient clairement abusé de taurine et de Guronsan ?

Ou de « Too Much », dont la production semble pompée sur les bandes annonces des films que diffusent la TNT à des heures plus que tardives ?

Sans parler du sirupeux « Viva Forever » (sérieux, plus jamais de la guitare espagnole dans un titre pop, c'est IN-TER-DIT) et son clip guimauve où les membres du groupe sont grimées en petites fées. Please, n'en jetez plus.

Spiceworld, The Movie, horreur sur grand écran

Mais la pire surprise de leur année 1997 reste à venir. Elle surgit à la fin de l'année avec Spice World - The Movie, long-métrage quand même présenté en mai au Festival de Cannes. In your face, Arnaud Depleschin. Ce film infernal, détenteur du pouvoir magique de rallonger le temps, se voulait l'équivalent du A Hard's Day Night des Beatles. Peine perdue, ça ne se regarde même pas saoul, même pas pour rigoler, rien. Spiceworld - The Movie se subit et mérite vingt ans plus tard d'être en intégralité sur Youtube, parce que ça serait manquer de respect au plastique de le graver sur DVD.

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Finalement, le film sonne aussi creux que le message délivré un an auparavant, et le public, même mineur, commence à se demander ce que branlent ces cinq meufs de toute évidence un peu paumées. Les super-héroïnes qu'on avait découvertes un an plus tôt ont désormais l'air de godiches, et le fait qu'Elton John soit impliqué dans le projet n'arrange rien. Le film, irregardable, lance une vraie question : que sont en train de foutre les Spice Girls ? Personne n'a la réponse, mais en tout cas, le petit bus rouge dans lequel voyagent les cinq filles semble s'éloigner à vitesse grand V des problématiques féministes.

Les Spice Girls sont-elles militantes ?

Même si la présence d'un groupe

  • intégralement composé de filles
  • menant leur vie et leur carrière comme bon leur semble
  • connaissant un succès international

pourrait passer de soi comme une posture militante, le discours « Girl Power » qu'elles ont brillamment pompé au mouvement Riot Grrrl montre pourtant dès 1997 ses limites. En même temps, que pouvait-on raisonnablement attendre d'un truc qu'elles expliquaient en 2 minutes montre en main ?

Alors que le mouvement né à Washington au début des années 90 souhaitait mettre la femme sur le devant de la scène, militait pour une vraie implication politique des meufs et prônait une sororité, les Spice Girls montrent dès 1997 qu'elles sont vite dépassées par toutes ses problématiques, voire qu'elles s'en foutent complètement. Livrant un discours cool et bien aseptisé à l'eau de Javel par le grand entertainment (« le pouvoir aux filles ! », « positivité ! », « encore plus de pouvoir aux filles ! », « on l'a dit, déjà, qu'on souhaitait rester positives ? »), leur engagement militant est inexistant. Même si Geri semble être plus impliquée que les autres sur ces questions, elles prouvent sur le second album que la dynamique du groupe était celle d'un one shot. Les filles se contentent de rester dans un registre fun, ce fameux « féminisme pop » un peu revenu sur le devant de la scène au milieu des années 2010, et ne semblent jamais expliquer comment prendre le pouvoir qu'elles scandent constamment.

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À la trappe ?

La concurrence arrive et n'est pas prête à faire les mêmes erreurs. Les Spice Girls se retrouvent rapidement dépassées niveau crédibilité par les quatre meufs de All Saints. Plus sérieuses, plus rebelles, vraies copines, un peu plus « mauvaises filles », look survêt' et piercings, elles parlent tout de suite aux adolescentes (pas la même fanbase que les Spice Girls, qui elles s'adressaient plutôt aux pré-ados) qui ne tarderont pas à marquer au blanco des extraits des chansons dans leur agenda. Never Ever ensorcelera ainsi la partie la plus âgée de la fanbase des Spice Girls, qui passeront pour le coup pour de vrais teletubbies, une version trop propre de ce que pourrait être un « vrai groupe de filles ».

Marquées par le départ de Geri en mai 1998, qui aurait pu mener le groupe vers des horizons plus couillus (enfin pas sûre, vu la carrière qu'elle a ensuite menée seule - bordel, Geri, j'avais tellement d'espoirs en toi), et l'envie de plus en plus pressante de se lancer dans des carrières solos, les Spice Girls voient leur château s'effondrer aux portes de l'an 2000. Le groupe reste néanmoins pour toute une génération - la mienne - la parfaite introduction au féminisme, un cours de CM2 présentant les grandes lignes sans trop se mouiller, et a poussé un véritable vent de fraîcheur populaire sur le féminisme, notion qui pouvait sembler à l'époque surannée. Et oui, on peut porter des minijupes, du maquillage, sortir avec des mecs et pousser à donf les notions de sororité. Rien n'est impossible. Mais tout peut aller plus loin

Les plus persévérant(e)s des spice groupies iront ensuite se renseigner sur la véritable signification du Girl Power, découvriront Kathleen Hanna, Bratmobile ou encore Sleater-Kinney (qui sortait en 1997 son meilleur album, Dig Me Out), monteront des groupes, se lanceront en solo comme MØ ou Adele, manifesteront pour leurs droits dans la rue sans pour autant arrêter d'écouter « Wannabe » le matin en se brossant les dents. Les Spice Girls n'étaient pas parfaites. Mais elles n'ont pas servi à rien. Loin de là. Marine ND est sur Twitter.

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