roller derby queer
Toutes les photos sont de Rima Baroud
Société

L’histoire d’amour entre la communauté queer et le patin à roulettes

Depuis les derbys des années 1930 jusqu’à l’époque du roller disco, le patinage porte un bel héritage de diversité et d’inclusion.
Lisa Lotens
Amsterdam, NL

Depuis le début de la pandémie, le patin à roulettes connaît un sacré revival. Lors de cette étrange ellipse où tout le monde a voulu faire son pain ou du yoga à domicile, de nombreuses personnes ont commencé ce sport afin de faire de l’exercice et prendre un peu l’air. Ces deux dernières années, de nouveaux clubs de roller skating ont vu le jour dans les villes du monde entier, et beaucoup d’entre eux sont queers et inclusifs.

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Il y a la Queer Skate Alliance de Los Angeles, le We Got This et le Queer Skate LDN à Londres ; Toronto a les Queer Quads ; Berlin le Jam Skate Club ; et les fana de patins néerlandais ont également pris le train en marche en créant le Queer Skate Club.

J’ai discuté avec Job Bulder, propriétaire de THE Derby Shop, un magasin de patins à roulettes situé à Amsterdam. Elle m’a confirmé voir de plus en plus de personnes s’intéresser au roller depuis la pandémie, et en particulier des personnes queers. « La communauté du patin à roulettes est généralement très ouverte », m’a-t-elle expliqué. « Je pense que ça permet aux personnes queers de se sentir plus à l’aise que dans les autres sports, très souvent hétéronormatifs. » 

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J’ai décidé de traîner un peu avec le Queer Skate Club, qui se réunit devant le EYE Film Museum d’Amsterdam tous les dimanches depuis avril 2021. Lin Visser, l’une des fondatrices, a acheté sa première paire de patins il y a trois ans pour se mettre au roller derby, un sport de contact où deux équipes s’affrontent et se bousculent pour marquer des points.

« J’ai été attirée par le roller derby parce que tu peux bouger librement dans un environnement super inclusif et sans jugement », m’a déclaré Lin. « On ne se sent jamais mal à l’aise par rapport à son corps ou à ce dont on est capable ».

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Malheureusement, la pandémie a mis un frein aux activités roller derby de Lin. « Alors que j’étais partie faire un tour en patins avec une pote, on s’est dit que ce serait cool de pouvoir enseigner des tricks aux autres patineurs. Puis ça me manquait aussi d’avoir un endroit où je pouvais être entourée de gens comme moi. La ville ne compte déjà pas tant d’espaces queers que ça, et pendant le COVID, ils sont tous restés fermés. »

« Le derby débarque et te dit : oublie les attentes de la société, tu fais partie des nôtres, tu es libre d’utiliser ton corps, et s’il te plaît, renverse tous ceux qui se trouveront sur ton chemin. »

D’après Lin, elle n’est pas la seule à avoir eu cette idée. C’est pourquoi tant de nouveaux clubs de roller queer ont vu le jour dans des espaces publics du monde entier. « Je ne voulais pas aller au skatepark, un environnement masculin et compétitif trop intimidant », m’a-t-elle expliqué. « Du coup, j’ai pensé que Under the EYE était le spot parfait ».

Lors de sa première réunion, le club avait déjà attiré une foule d’environ 25 participants de genres et origines raciales diverses. « Nous ne nous attendions vraiment pas à ce qu’il y ait autant de monde, et encore moins à ce que beaucoup reviennent », m’a déclaré Lin. « C’était incroyable ». L’année dernière, Lin a organisé une grande summer party avec la Black Pride pour célébrer la fin de leur première saison. 

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Lin en action.

Les origines progressistes du patinage à roulettes remontent au roller derby et à sa relation de longue date avec les communautés féministes et homosexuelles. Inventé dans les années 1930 par Leo Selzer, promoteur sportif de Chicago, le derby permettait dès le départ aux femmes et aux hommes de participer, ce qui à l’époque était une prise de position assez radicale. Sa popularité a diminué au fil du temps, mais les queers ont ramené cette pratique à la vie au début des années 2000, pour en faire le sport inclusif et diversifié qu’il est aujourd’hui.

Dans l’univers du derby, vous êtes libre d’explorer votre côté impitoyable et agressif, même si vous n’êtes pas du tout comme ça en temps normal. En outre, chaque type de corps a son utilité — les joueurs de grande taille peuvent mettre les gens à terre, les joueurs très minces peuvent filer entre les doigts de leurs adversaires. C’est pour ces raisons que de nombreuses personnes qui ont en général du mal à se conformer aux attentes en matière de genre trouvent du réconfort et du soulagement dans ce sport.

« Dès leur plus jeune âge, on apprend aux filles à prendre le moins de place possible. Puis le derby débarque et te dit : oublie les attentes de la société, tu fais partie des nôtres, tu es libre d’utiliser ton corps, et s’il te plaît, renverse tous ceux qui se trouveront sur ton chemin », rapporte Lin. « Et cette philosophie m’a aidé dans ma vie quotidienne aussi. Par exemple, je ne m’écrase plus dans le métro pour laisser passer un type imposant. »

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En plus d’être un havre de paix pour les queers, le patinage à roulettes a toujours été très important pour les communautés noires. Il a acquis une énorme popularité aux États-Unis dans les années 1930, mais la pratique est restée ségréguée pendant des décennies, tout comme d’autres lieux de loisirs, notamment les parcs d’attractions et les piscines.

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Dans la plupart des villes, les Noirs n’étaient autorisés à patiner qu’une fois par semaine, lors de soirées dédiées. Les choses ont cependant commencé à bouger avec le mouvement des droits civiques des années 1950 et 1960, lorsque des groupes de défense des droits des Noirs ont organisé des piquets de grève et des sit-in dans les patinoires de tout le pays, en guise d’acte de résistance.

Même après la déségrégation, les propriétaires de patinoires ont essayé de limiter l’accès aux minorités raciales. Mais avec la montée du disco à la fin des années 1970, les communautés noires et homosexuelles ont pris le contrôle sur le monde du roller en organisant des teufs épiques sur des airs groovy, en particulier à New York.

Contrairement à de nombreux clubs de la ville, les patinoires permettaient à toute personne disposant de quelques dollars d’entrer, faisant de ces endroits des lieux de vie nocturne très populaires. Le légendaire patineur Bill Butler a d’ailleurs élevé le roller disco au rang d’art, ce qui lui a valu le titre de « Grandfather of Roller Disco », soit Le Papy du Roller Disco. Très vite, la scène est devenue si cool que tout le monde a voulu en faire partie, y compris nul autre que l’icône queer par excellence… Miss Cher, en chair et en os.

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« Il y a six semaines, je suis allée dans un club de roller et j’ai vu des gens danser, patiner et être si libres que je me suis dit que moi aussi, je voulais en faire partie. »

J’ai également discuté avec Jayliah Jada van Gorkum, 24 ans, habituée du Queer Skate Club d’Amsterdam. Ex-athlète d’athlétisme, van Gorkum a participé à des compétitions internationales jusqu’à très récemment, mais elle a dû mettre un terme à sa carrière de sportive pro. « Mon problème d’asthme s’est empiré et j’ai fait mon coming-out en tant que femme transgenre en novembre dernier », m’a-t-elle confié. « À cause de ça, je ne peux plus participer aux compétitions ».

Si le club de Jayliah Jada ne l’a jamais explicitement bannie, la conversation internationale sur les personnes transgenres dans le monde de l’athlétisme va cependant toujours à l’encontre des athlètes transgenres. En juin 2022, le président de World Athletics, l’organe directeur international de ce sport, a même laissé entendre qu’ils pourraient suivre leurs homologues de la natation en interdisant les femmes transgenres dans les compétitions.

Cette expérience d’exclusion a permis à Van Gorkum de réaliser à quel point son ancien sport est encore marqué par une masculinité toxique. Après son coming-out, elle a perdu d’un seul coup tout son cercle social. « Mais il y a six semaines, je suis allée dans un club de roller et j’ai vu des gens danser, patiner et être si libres que je me suis dit que moi aussi, je voulais en faire partie. »

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Outre l’accueil chaleureux qu’elle a reçu, c’est également la possibilité d’apporter sa propre touche qui l’a convaincue. « Tu peux danser de manière gracieuse ou énergique, faire des cascades ou des figures », explique-t-elle. « En ce sens, le patin est beaucoup plus fluide que le roller, qui se concentre principalement sur la vitesse et les tricks et est beaucoup plus axé sur la performance. »

« C’est ce qui plaît à la communauté queer : dès qu’elles enfilent une paire de patins, on voit toutes sortes de personnes défier les normes sociales. C’est un loisir hyper libérateur. »

Sans surprise, le patinage à roulettes est devenu très populaire sur TikTok. « Dans ces vidéos, on voit des hommes masculins qui ne sont pas nécessairement homosexuels se trémousser de manière très élégante sur des patins à roulettes », a expliqué Jayliah. « C’est ce qui plaît à la communauté queer : dès qu’elles enfilent une paire de patins, on voit toutes sortes de personnes défier les normes sociales. C’est un loisir hyper libérateur. »

D’après Jayliah, ce côté libre et queer du patin à roulettes s’exprime assez bien dans la mode sportive flamboyante des années 1970 et 1980, avec les tops de couleur néon et les patins étincelants. « Si cette ancienne roller culture est à nouveau en vogue au sein de la communauté queer, c’est parce que nous voulons — et osons enfin — nous rendre plus visibles ».

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Être dehors, dans les rues, et vivre sa best life semble en effet être une excellente façon de représenter la communauté. « Tant d’identités se réunissent, et c’est incroyable que nous puissions revendiquer notre propre espace à l’EYE avec le Queer Skate Club », a-t-elle déclaré. « Nous montrons au monde que nous existons et que nous sommes magnifiques, avec nos drapeaux de la Pride et nos tenues flashy. C’est un truc dont je suis extrêmement fière. » 

Plus de photos du Queer Skate Club ci-dessous :

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