Pierre Debusschere et Souria Cheurfi pour VICE
Culture

La Vida Lockdown 4 : Pierre Debusschere épouse l’ennui avec esthétisme

« Cette lenteur me fait un bien fou ! »
Souria Cheurfi
Brussels, BE

Suivez nos lives « La Vida Lockdown » sur Instagram tous les mercredis à 17 heures.

Photographe, directeur artistique et co-fondateur de l’espace 254Forest, les talents de Pierre Debusschere ont largement dépassé nos frontières. Le confinement a mis en pause la plupart de ses activités et projets, mais lui a aussi permis de prendre le temps de redécouvrir de vieux projets. Parmi eux, « I know simply that the sky will last longer than I », un film de 52 minutes sur l’ennui qu’il avait réalisé en 2013, et jamais diffusé sur internet. On a parlé de l’ennui, de l’impact du confinement sur les industries créatives et de la fête aussi.

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Regardez le film « I know simply that the sky will last longer than I » ici, aujourd’hui à 17 heures.

VICE : Salut Pierre. Ça va ? Comment se passe le confinement ?
Pierre : Bien. On fait ce qu’on peut, on reste chez soi, on se concentre et on écoute de la musique. On attend que ça passe et on pense aux autres aussi.

Comment s’est passé ta journée ?
Je me suis un peu préparé pour mes interviews d’aujourd’hui quand même ! Sinon j’ai écouté de la musique, fait du jardinage. Tranquil.

La routine s’installe ?
Oui ça me permet de calmer le rythme. Je me lève toujours tôt, mais j’ai le temps de déjeuner, de boire un café, de lire mes emails, de suivre des projets, de trouver des solutions à comment pouvoir continuer à créer dans ce contexte, comme l’équipe n’est plus là. Puis j’ai le temps de faire à manger, jardiner, et surtout j’écoute beaucoup de musique. Ça me fait du bien. Ça me permet de rester dans un mood concentré, de découvrir d’autres artistes et ça m’inspire beaucoup.

Ça avait autant d’importance avant le confinement ?
Oui toujours. J’écoute autant des trucs très calmes que motivants ; mais en ce moment j’écoute beaucoup d’ambient. Ça me calme et ça m’aide à réfléchir.

Ça remonte un peu maintenant, mais tu te souviens de ce que t’as fait le dernier soir avant le début du confinement ?
Oui je m’en souviens très bien. On a été boire un verre avec des ami·es. On se demandait toujours ce qui allait se passer. À ce moment le gouvernement ne disait rien. Le confinement on l’a respecté après, mais c’était chouette de voir ses ami·es une dernière fois.

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Bon on les voit toujours. Tout ce qui est online est devenu hyper important pour tout le monde. J'ai plus de contacts avec des gens que je voyais pas avant parce qu’iels sont à l’étranger par exemple.

C’est vrai que le manque de contact physique est vachement compensé par un besoin de s’appeler plus.
J’étais pas très video call avant - ni live streams d’ailleurs ! Mais bon, faut s’adapter et on s’y fait tout doucement.

Y a des côtés positifs quand même ?
Il faut voir le positif sinon t’avances pas. Là ça me permet de revoir des projets et de réfléchir sur ce que j’ai fait jusqu’ici. Tout allait si vite avant, j’allais de projet en projet. Maintenant je peux regarder en arrière aussi. Puis faut surtout que quand la vie reprend, on ralentisse tout ça. On avait quand même un train de vie hyper rapide - bon là il est trop lent, on est d’accord - mais si on arrive à balancer tout ça, ce serait bien. Voyager moins par exemple. Je parle de moi mais avec 254Forest, on essayait déjà de travailler plus local en faisant voyager l’équipe et les mannequins en train par exemple. Avant c’était très normal de faire voyager un·e mannequin de New York pour un shooting et qu’iel retourne le lendemain. Ça, on avait déjà décidé de ne plus le faire. Mais c’est d’autant plus important maintenant de réfléchir à ces questions-là. Si on retourne à ce que c’était avant, c’est vraiment ridicule.

Tu disais que cette période t’a permis de te pencher sur tes anciens travaux. Aujourd’hui tu proposes une sorte de séance de cinéma à la maison à 17h du film « I know simply that the sky will last longer than I » que tu avais sorti en 2013.
Oui, c’est un film assez hybride que j’avais préparé pour ma première vraie expo au festival de Hyères. J’avais voulu travailler la photo et le film et parler de mon amour pour la musique. Il dure 52 minutes, donc c’est assez long. C’était prévu pour une expo mais les gens étaient intéressés de le voir dans sa longueur.

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L’idée est venue après la campagne que j’avais réalisée pour Raf Simons en 2013 où la seule chose qu’il m’avait demandée c’était de travailler sur l’ennui. J’ai trouvé le sujet super intéressant et au final c’est devenu un film de 10 minutes où il ne se passe rien. Et en fait quand il ne se passe rien à l’écran, ça crée une énergie où le public peut créer sa propre narration. Ça m’a intéressé et j’ai voulu pousser plus loin. De 10 je suis passé à 52 minutes. Je demande pas mal au spectateur·ice. Y a de l’ennui et de la répétition. Donc faut rentrer dedans.

Pourquoi t’as attendu si longtemps avant de le diffuser ?
Comme c’est un film assez long et qu’il y a cette idée d’ennui, j’avais pas envie que les gens puissent scroller pour avancer plus vite, sinon tu perds tout le truc et ce n’est plus que de l’image. Avec mon équipe, grâce au confinement, on a découvert des plateformes comme Twitch, qui sont à la base un peu geek. On va le montrer une seule fois, de 17h à 17h52 aujourd’hui, parce qu’on a envie que ça reste une expérience pour le public.

Mon collègue m’a dit que ça lui avait fait du bien de le revoir maintenant parce que c’est dans le mood dans lequel on est maintenant. J’aime bien l’idée de créer et de donner des choses à voir. On me demande souvent ce que je dirais à des jeunes qui commencent aujourd’hui, et je leur dirais de ne pas avoir peur de faire des erreurs et de partager quand même. Moi quand je regarde ce film, je vois mes erreurs. C’était il y a sept ans ! Mais ça ne me dérange pas de les voir parce qu’elles font partie de moi ces erreurs et je suis content de les montrer.

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C’est vrai que l’ennui est un sujet très actuel. On est beaucoup à avoir du mal avec ça. T’arrives à ne rien faire du tout ?
Oui et ça fait un bien fou ! Faut juste arriver à ralentir. C’est pas forcément de l’ennui pour moi. Si l’ennui arrive, faut essayer de le combattre. Faut prendre le temps de réfléchir. On est plus en ligne, mais je pense qu’on est plus sélectif·ves aussi. Et ça se ressent même ce que les gens proposent à partager. C’est aussi pour ça qu’on a voulu partager le film maintenant. L’idée c’est de partager, et puis libre au public de le regarder ou pas.

T’as plusieurs casquettes : t’es photographe, DA, et co-fondateur de 254Forest. Les conséquences du lockdown tu les sens à tous les niveaux ?
Partout oui. Au niveau « commercial », tous les shoots sont annulés. J’ai une expo qui devait ouvrir le week-end prochain au 254, mais c’est reporté. C’est pas très grave, ça me laisse plus de temps pour bosser dessus et on verra quand et comment on pourra la partager avec le public. Au niveau du bureau (254Forest est aussi un espace de coworking ndlr.), on a décidé de fermer le bâtiment car y a quand même vingt personnes par jour qui passent ici. Vu la situation, on a annulé le loyer du coworking, car le 254 c’est avant tout un collectif et le but c’est de travailler ensemble.

Vous avez quand même des projets en cours ?
Oui, la projection du film en est un. On passe pas mal de temps à réfléchir à des manières partager des choses, comme on ne peut pas vraiment en créer. Comme toi au final avec VICE tu t’es adaptée et ça fait du bien de voir des gens parler de comment iels vivent la situation. Nous, on va essayer de montrer quelque chose tous les jeudis soirs. Et on pourrait ouvrir la plateforme à d’autres artistes et voir si le projet peut continuer même après le confinement. Dans notre réseaux on a beaucoup de musiciens et de gens qui font de la vidéo…

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Au final au sein du 254 vous avez tous les talents à disposition pour en faire quelque chose.
Y a plein de gens. J’ai créé le projet avec Rébecca et ça a ramené un côté très humain à mon travail. Avant ça je bossais seul, avec une équipe de deux ou trois personnes. Avoir plein de gens autour de toi ça permet de comprendre des univers différents. Si t’es en stress, tu vas fumer une clope sur la terrasse et les gens te calment. Ça permet un partage et une lecture plus calme des choses.

Dans ton travail y souvent des éléments très charnels et du toucher. Des images qui peuvent paraître presque bizarres à regarder en période de distanciation sociale. Tu penses que ça va laisser une marque sur ton travail ?
Oui. D’ailleurs ma réponse est en plein dedans au niveau créatif. Dans la nouvelle expo, n’y a plus de peau. Y a toujours des questions au niveau du genre et de la sexualité mais je ne voulais plus travailler avec de la peau ni de couleurs de peau. Ces derniers temps on s’est beaucoup fait bassiner avec l’idée de voir toutes les couleurs de peau et pour moi ça devenait à la limite du commercial et je voulais trouver un moyen de montrer un côté universel sans montrer de couleurs de peu. Ça reste très physique, y a beaucoup de corps, mais tout est recouvert et les genres sont blurrés.

Et sur nos interactions humaines de manière plus générale ?
Je pense que ça va être bizarre au début. Est-ce qu’on va s’embrasser ? Se serrer la main ? Je pense que le côté humain va reprendre les dessus, mais ça va se faire tout doucement. On ne va pas continuer à vivre à 1,5 mètre les un·es des autres, c’est pas possible. Y aura peut-être une différence plus marquée entre les gens que tu rencontres et celleux que tu connais très bien par exemple. Quand je vais au parc avec un ami faire une balade, c’est horrible de ne pas pouvoir se toucher. Je trouve ça vraiment dur.

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Ce qui te manque le plus ?
Voir mes ami·es. Rébecca, la co-fondatrice du 254, vient d’accoucher, et on ne peut même pas aller la voir. Bon, on se voit en ligne. Y a toutes ces applications qui permettent de boire un verre avec tes potes, mais c’est un peu compliqué parce que quand c’est fini, tu te retrouves seul devant ton ordi… Un peu bourré. Mais c’est pas grave, on sait que ça reviendra après.

J’aime bien sortir aussi, et là on sent que ça va être long. On est présent·es dans le monde de la nuit et on sait que c’est très dur pour elleux. Donc j’espère que ça va pouvoir se régler vite, parce que c’est aussi des gens qui bossent à mort et qui n’ont aucune rentrée d’argent. Les festivals c’est sûrement mort et c’est horrible pour tous ces gens qui ont travaillé toute l’année pour ça (entre temps la Première ministre a effectivement annoncé l’annulation de tous le grands événements jusqu’au 31 août, ndlr).

C’est marrant parce que quand tout va reprendre, ce sera un peu comme une première fois pour tout…
Oui… Ça va être un peu sketchy au début je pense. Mais ça promet d’être intéressant humainement parlant. On fera peut-être la fête avec des masques, qui sait ?

Le plus tôt sera le mieux.

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