Société

Une journée avec une psychologue de prison en confinement

« Comme les visites sont suspendues, la drogue passe beaucoup moins facilement et la tension est palpable. »
Arkasha Keysers
Antwerp, BE
psychologue de prison en confinement

Dans la série « Sur le terrain » , on suit les personnes qui, pour des raisons diverses, ne peuvent pas rester à la maison en période de pandémie.

Qui de mieux placé·e qu'un·e détenu·e pour savoir ce que signifie le confinement ? Afin de comprendre comment cette crise est vécue au sein des prisons belges, VICE en a discuté avec Jana, psychologue à la prison de Merksplas.

« Je ne suis pas allée travailler pendant deux semaines parce que j'étais moi-même malade. Je n'ai pas été testée, mais je présentais tous les symptômes du Covid-19. Là je suis guérie donc j’ai repris le travail. Quand je suis arrivée à la prison, il y avait une boîte de masques à la réception, avec des instructions sur la façon de les utiliser.

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Le matin, j'ai discuté avec mes collègues pour savoir quels détenus je devais absolument voir aujourd'hui. Il y avait des tensions persistantes entre deux hommes, alors j'ai discuté avec eux. Leur conflit était dû à des histoires de drogues et une trahison en dehors de la prison. L'un des deux avait demandé des antidépresseurs au médecin. Quand quelqu'un fait ça, c'est un signal, et une conversation s’impose.

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Illustration : Nele Wouters

Plus de visites, donc plus de drogues non plus

Le mec en question se sentait mal depuis longtemps, mais selon moi, le fait qu'il demande des antidépresseurs est directement lié au coronavirus. Toutes les activités et sessions de sport ont été annulées, au même titre que les thérapies de groupe. Au cours de ces sessions de groupe, je m’adresser à tout un groupe, mais maintenant, seule la thérapie individuelle est autorisée et mes collègues et moi n'avons pas assez de temps pour voir tout le monde un à un. Et bien entendu, les visites sont également suspendues. C'est la partie la plus difficile pour eux. Ils ne sont pas non plus autorisés à utiliser Internet, donc c’est vraiment difficile d'être en contact avec leurs ami·es ou leur famille. La prison leur a tout de même accordé un crédit supplémentaire pour qu’ils puissent appeler leurs proches.

« Comme il y a moins de soutien psychologique et de drogues, on constate une augmentation du nombre de demandes de médicaments. »

Tout comme nous, ils sont en manque de contact social. Et il faut noter que les visites permettent aussi de faire passer des drogues illégales en prison. Comme il y a moins de soutien psychologique et de drogues, on constate une augmentation du nombre de demandes de médicaments au psychiatre.

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Les toxicomanes s'adressent désormais au psychiatre pour la benzodiazépine (sédatif, analgésique et anxiolytique, ndlr). Ils n'obtiennent pas ça comme ça. On examine les demandes au cas par cas. Certains détenus apprécient le fait de consommer moins de drogues - généralement ceux qui seront bientôt relachés et qui aimeraient rester clean à l'extérieur.

Plus de job

Comme il y a moins de proximité avec les soins, pas de visites et donc, moins de drogues, la tension est palpable. Un homme avec qui j'ai discuté aujourd'hui m’a dit qu'il y a plus de frustration parmi les détenus, que les coups sur les murs sont plus fréquents, et ça le dérange.

Il m'a également dit qu'il avait perdu son job (certaines usines ont un département dans la prison, mais ont dû réorganiser le travail en raison du coronavirus, ndlr). Ce genre de travail permet aux détenus de gagner environ 400 € par mois maximum. C'est pas grand-chose, mais dans certains cas, ça permet à leurs familles de joindre les deux bouts. Du coup c’est mort pour certains en ce moment. Par contre, un atelier de couture a ouvert à Merksplas pour coudre des masques. Les masques du personnel ont été confectionnés par les détenus, mais eux-même n’en portent pas, car ils ne sortent pas et ne courent aucun risque d'infection. Ce sont également les détenus qui se chargent de constamment nettoyer les poignées et les interrupteurs.

« Il y a plus de frustration parmi les détenus et les coups sur les murs sont plus fréquents. »

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Lors de la promenade, il y a eu des incidents. On a dû changer les gens de cellules plus souvent ces derniers temps, vu que davantage de tensions sont survenus entre les co-détenus. Ceci dit, aujourd'hui, j'ai eu le sentiment que je pouvais bien faire mon travail et en toute sécurité. On n’utilise plus certains locaux, car ils ne permettent pas de respecter la distanciation sociale, et j'ai un spray avec lequel je désinfecte mon bureau après chaque séance de thérapie.

Connectés au monde extérieur

Les détenus sont bien conscients de la gravité de la situation. Il y a deux semaines, ils m'ont demandé “Comment ça se passe dehors ? Les rues sont vides ? Vous n’allez pas dans votre famille en ce moment ? " Maintenant, la plupart des patients psychiatriques, même lourds, réalisent ce qui se passe.

« La plupart des patients psychiatriques, même lourds, réalisent ce qui se passe. »

Un de mes collègues récolte des dessins des prisonniers et les affiche à l'extérieur de la prison. (La prison de Merksplas est située dans un vaste domaine où beaucoup de gens se promènent, ndlr). Ils écrivent "Tous ensemble contre le corona" ou "Restez chez vous".

La répartition des détenus dans les cellules est restée la même. Il y a une à quatre personnes par cellule, bien que les changements soient plus fréquents en ce moment. Quand on suspecte un prisonnier d’avoir le virus, on le met en quarantaine durant deux semaines dans une mono-cellule, tout comme les nouveaux détenus qui viennent de dehors (et non d'une autre prison, ndlr).

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Libération anticipée

Si les symptômes deviennent vraiment graves, ils sont emmenés à la prison de Bruges, qui a un hôpital. Comme pour les hôpitaux à l'extérieur, tous les rendez-vous non urgents y ont été annulés pour faire de la place aux patients corona. Pour autant que je sache, personne n'a encore été transféré à Bruges depuis Merksplas. Par contre, certains des prisonniers qui remplissaient certaines conditions ont été libérés plus tôt pour lutter contre la surpopulation carcérale.

Au cours de mon absence, j'ai l'impression que l'établissement a pris toutes les mesures de sécurité nécessaires. En fait, j'étais vraiment heureuse de pouvoir retourner au travail. Ces derniers jours, j’ai pu profiter du soleil sur le toit de maison, mais rester seule, c’est ennuyeux à la longue. Alors je préfère aller à la prison. »

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