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Pourquoi un réseau d'espionnage s'est choisi Maximator comme nom de code

À la fin des années 1970, cinq pays européens montaient un réseau de collecte de renseignements autour d'une bonne bière dans la banlieue de Munich.
Pierre Longeray
Paris, FR
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Que ce soit pour un groupe de musique, un roman ou bien un réseau d'entente entre services de renseignement, trouver un bon nom est toujours une galère. Mais parfois la réponse s’avère être juste sous vos yeux et le mieux est de ne pas chercher trop loin. Il semblerait que cette méthode ait portée ses fruits à la fin des années 1970, quand cinq pays européens (le Danemark, la Suède, l’Allemagne, les Pays-Bas et la France) ont décidé de baptiser leur nouvelle alliance de collecte de renseignements : Maximator, une bière cousine de celle qu'on aime boire tiède sur les quais.

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Rassemblés à Pullach dans la banlieue de Munich en 1979, les membres originels de ce réseau d’échange et d’interception de renseignements d’origine électromagnétique (à distinguer par exemple du renseignement humain) sirotaient une Doppelbock, une bière bien chargée en alcool quand la révélation leur est venue. « Ils ont regardé leurs verres, remplis de bière de la marque locale Maximator et ont pris une décision », rejoue Bart Jacobs, professeur de sécurité informatique à la Radboud University Nijmegen aux Pays-Bas.

Dans un papier publié en avril dans la revue Intelligence and National Security, Jacobs révèle pour la première fois l’existence de cette alliance au nom de code singulier, qui vient répondre en quelque sorte aux « Five Eyes » – un réseau d’entente entre les services de renseignements de cinq pays anglo-saxons, né après la Seconde guerre mondiale. Grâce à des sources issues des services de renseignements néerlandais (qui sont à l’origine de la création du réseau Maximator), Jacobs retrace ainsi une partie de l’histoire de cette alliance qui fonctionne toujours de nos jours.

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Quelques couvertures de livrets distribués lors de réunions du réseau Maximator. (Source : Intelligence and National Security - Bart Jacobs)

Si les efforts de coopération bilatérale étaient déjà fréquents en matière de récolte de renseignements électromagnétiques (comme les télécommunications ou les radars), cette alliance née autour d’une bière a permis aux pays concernés de joindre leurs forces et de réduire les coûts exorbitants de telles méthodes. Les tâches principales du réseau Maximator consistaient en gros à intercepter et déchiffrer des messages diplomatiques ou militaires envoyés par des alliés ou ennemis.

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Mais pour fouiller dans les conversations de leurs concurrents, les pays de l’alliance Maximator avait un avantage certain. À l’époque, un bon nombre de pays s’appuyaient sur les machines d’une entreprise suisse, Crypto AG, pour chiffrer leurs communications. Or, cette entreprise appartenait en réalité à la BND (la DGSE allemande, membre de Maximator) et à la CIA, comme l’ont révélé en février dernier le Washington Post et la ZDF. Ainsi, les services de renseignements allemands aidaient (sans leur expliquer comment) leurs alliés de Maximator à exploiter des failles dans les communications réalisées à l’aide des machines de Crypto AG. Pas très fair-play.

Dans son papier, Jacobs évoque ainsi diverses affaires dans laquelle l’alliance Maximator a joué un rôle certain, comme la guerre des Malouines pendant laquelle un membre des services néerlandais aurait donné un coup de main aux Britanniques pour déchiffrer les communications navales et diplomatiques des Argentins, qui utilisaient des machines fabriquées par Crypto AG.

Ainsi, les membres de Maximator échangent secrètement depuis près de 50 ans du renseignement, dans un système où chacun des pays utilise un surnom sibyllin : Thymian pour la Suède, Concilium pour le Danemark, Edison pour les Pays-Bas, Novalis pour l’Allemagne et enfin Marathon pour la France – sans que l’on ne connaisse cette fois-ci les histoires qui se cachent derrière ces noms de code.

(Correction : Une précédente version de l'article présentait en image d'illustration la bière Maximator de la marque Amsterdam, celle concernée ici est la bière Maximator de la brasserie Augustiner Bräu).

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