J'ai médité dans l'installation la plus silencieuse au monde
Installation view: Doug Wheeler: PSAD Synthetic Desert III, Solomon R. Guggenheim Museum, New York, March 24-August 2, 2017 Photo: David Heald © Solomon R. Guggenheim Foundation

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Installation

J'ai médité dans l'installation la plus silencieuse au monde

Le Synthetic Desert III de Doug Wheeler instaure un silence presque nauséeux à l'intérieur du Guggenheim.

Un murmure est de 40 décibels, une conversation normale de 60. Un brunch branché atteint 70 ou 80 décibels, tandis que le bruit du métro monte jusqu'à environ 100 décibels. Un moteur à réaction peut quant à lui effleurer les 110 décibels. À l'intérieur du PSAD Synthetic Desert III de Doug Wheeler, les ondes sonores supérieures à 10 décibels sont absorbées par des pyramides de mousse qui jaillissent des murs, du sol et du plafond, telles des stalagmites et des stalactites. Désormais ouverte au public au musée Guggenheim de New York, il s'agit de la pièce la plus silencieuse dans laquelle j'ai jamais mis les pieds, et selon le studio d'architecture Arup, elle est l'endroit le plus calme de New York, la 7ème ville la plus bruyante du monde.

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Je le sais d'expérience personnelle, ayant vécu près d'une station de métro pendant des années. Ce n'est pas le train en lui-même qui vous réveille à 3 heures du matin, mais les mecs excessivement bourrés qui en sortent. C'est pour ça que, lorsque j'ai entendu parler de la nouvelle installation de Wheeler, décrite comme étant la pièce la plus silencieuse de la ville, je m'y suis rendu aussi vite que possible. Synthetic Desert est une chambre semi-anéchoïde remplie d'un matériau conçu pour absorber le son, le basotect. Placée au cœur du Guggenheim, l'installation simule les voyages de Wheeler dans le désert stérile du nord de l'Arizona. Je sors du métro et j'ai hâte.

Wheeler est un peintre minimaliste des années 60, reconverti en light-artist, son œuvre récente est assez semblable à celle de James Turrell, vous savez le mec du clip de Drake. Il tente de creuser la perception humaine a l'aide de lumières douces, de coins arrondis et de normes de propreté rigoureuses afin d'offrir des expériences venues d'ailleurs. Il a étudié à la California Institute Of the Arts à Los Angeles, puis a passé des années à financer, un par un, ses travaux révolutionnaires, et ce, bien avant qu' « expérience immersive » ne devienne un mot à la mode.

Doug Wheeler, SA MI 75 DZ NY 12, 2012, Fibre de verre renforcée, éclairage LED, contrôle DMX, éclairage fluorescent UV © 2016 Doug Wheeler ; avec l'aimable autorisation de David Zwirner, New York/Londres. Photo de Rob Stephenson

Wheeler a dû attendre 2012 pour réaliser sa première installation solo à New York, mais, selon ARTNews, des foules frigorifiées ont fait la queue pendant des heures dans le seul but d'enfiler des chaussures de protection et de se perdre dans Encasement, une étrange pièce blanche et vide. Selon Bloomberg, Wheeler est même allé jusqu'à mettre en vente le mode d'emploi de son installation, de sorte que n'importe qui puisse construire un vide blanc similaire chez soi – pour la modique somme de 2 millions de dollars.

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Avant de pouvoir entrer dans la dernière installation de Wheeler, j'en apprends plus sur le matériel d'insonorisation qui permet de rendre tout cela possible. Le basotect, chimiquement similaire à la mousse que l'on retrouve dans les éponges M. Propre, peut absorber le son dans une pièce comme personne. 600 pyramides et 400 pointes occupent 80% du Synthetic Desert et forment une chaîne de montagnes miniatures. En plus du basotect qui amortit le son, la pièce est totalement protégée des bruits extérieurs.

Doug Wheeler, PSAD Synthetic Desert III, 1968 (detail), Encre sur papier, 61.1 x 91.4 cm Solomon R. Guggenheim Museum, New York Panza Collection, Don, 1991 © Doug Wheeler

Lorsqu'on m'autorise enfin à entrer dans l'installation, je découvre que je dois partager l'expérience avec quatre autres individus bruyants. D'abord, je n'entends qu'eux. Les tissus de nos fringues frémissent le temps que chaque préposé trouve un endroit où s'asseoir sur la voie étroite, comme cela nous a été recommandé. J'entends chaque mouvement de hanches, chaque souffle et chaque soupir, chaque bruit de lèvres autour de moi. En m'installant, j'étire mon cou et mes vertèbres lâchent un long craquement. Les gens qui m'entourent sourcillent.

Une fois installés, nous pouvons enfin nous plonger dans le quasi-silence. Les 10 décibels de la salle sont loin du silence parfait qu'on imagine trouver dans le vide de l'espace. En sortant, quelqu'un demande : « Je me demande si c'était pas la clim' ». Je trouve pour ma part une telle omission un peu étonnante. Plus tard, Doyle Robertson, responsable de la société de produits chimiques allemande BASF, à l'origine du matériel utilisé dans l'installation, nous ôte ce doute. « Il s'agit en fait d'enregistrements du désert qui ont été modulés », explique-t-il.

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Cet enregistrement personnalisé est le seul son qu'on entend dans la pièce, en dehors des bruits que l'on produit soi-même. Il s'agit en partie d'une décision artistique de la part de Wheeler d'inclure ce son doux, mais aussi d'une décision de sécurité. « S'il n'y avait aucun bruit du tout, vous pourriez péter les plombs », déclare Doyle. « Vos tympans sont habitués à la pression des ondes sonores », poursuit-il. « Si vous enlevez le son, vous enlevez la pression, et ça file la nausée ! J'ai déjà été dans des chambres anéchoïques parfaites, et je ne pouvais pas y rester plus de 30 secondes ».

Doug Wheeler, SA MI 75 DZ NY 12, 2012, Fibre de verre renforcée, éclairage LED, contrôle DMX, éclairage fluorescent UV © 2016 Doug Wheeler ; avec l'aimable autorisation de David Zwirner, New York/Londres. Photo de Tim Nighswander

Je ne suis pas devenu fou à l'intérieur du Synthetic Desert - c'est tout le contraire, en fait. Quiconque aime les expériences immersives devrait trouver celle-ci transcendante. Si nous étions autorisés à sortir nos téléphones, cette œuvre serait le spot à selfies idéal. PSAD Synthetic Desert III n'est qu'un des nombreux projets que Wheeler a élaborés au cours des années.

C'est la première fois qu'un travail sonore de cet artiste est exposé », expliquent les commissaires Francesca Esmay et Jeffrey Weiss à Creators. « Wheeler a conçu un certain nombre d'œuvres appelées Synthetic Desert, la plupart basées sans l'expérience acoustique. L'élément sonore n'avait pas été envisagé dans la conception première de Wheeler, mais il l'a inclus lors de la reconception de l'œuvre pour le musée ». Bien que l'expérience soit promue comme étant principalement privative, l'intérêt du Synthetic Desert tient en grande partie de la façon dont le son transforme les visuels de la pièce. Robertson explique : « Wheeler a constaté que les conditions presque silencieuses des déserts du nord de l'Arizona avaient influencé sa sensation visuelle de la distance ».

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Doug Wheeler, LC 71 NY DZ 13 DW, 2013, Fibre de verre renforcée, latex de dioxyde de titane plat et blanc, éclairage LED et contrôle DMX 771 x 811 3/8 x 219 inches 1958.3 x 2060.9 x 556.3 cm Photo de Tim Nighswander, Imaging4Art © 2014 Doug Wheeler ; avec l'aimable autorisation de David Zwirner, New York/Londres

Dans le Synthetic Desert, j'ai essayé toutes sortes de choses. D'abord, je me suis assis les yeux ouverts, puis assis les yeux fermés, puis je me suis mis debout les yeux fermés, etc. Les yeux fermés, on se croirait presque dans le film Daredevil avec Ben Affleck — mais sans le son. Chaque changement de position d'une autre personne est diffusé si fort qu'on peut le visualiser. Plus vous laissez votre cerveau plonger dans ces stalactites en mousse qui gouttent dans la lumière pourpre pâle, plus la pièce semble se prolonger. Il est particulièrement difficile de se concentrer sur un coin arrondi du plafond, car il se mélange avec le mur et semble s'étendre comme un horizon sans fin. Une fois l'imagerie du désert d'Arizona implantée dans mon imagination, la surface s'allonge, oscillant parfois comme des vagues de chaleur sur le sable chauffé par le soleil.

Ces réflexions visuelles s'accompagnent très vite d'hallucinations auditives. Avant d'en apprendre plus sur le paysage sonore, mon subconscient tente de l'identifier. Je pense à la ventilation, mais ce serait gaspiller un environnement aussi hermétiquement scellé. J'ai l'impression d'être entouré de fantômes.

Doug Wheeler, LC 71 NY DZ 13 DW, 2013, Fibre de verre renforcée, latex de dioxyde de titane plat et blanc, éclairage LED et contrôle DMX 771 x 811 3/8 x 219 inches 1958.3 x 2060.9 x 556.3 cm Photo de Tim Nighswander, Imaging4Art © 2014 Doug Wheeler ; avec l'aimable autorisation de David Zwirner, New York/Londres

Malheureusement mes divagations sont interrompues par un gardien du Guggenheim qui nous informe que notre temps est écoulé. Alors que nous nous pressons vers la sortie, quelqu'un demande : « Est-ce que quelqu'un d'autre s'est senti claustrophobe ? » Pour ma part, c'est tout le contraire, j'ai eu la sensation que le mur lointain s'étendait pour toujours.

En sortant du Synthetic Desert, c'est l'horreur. Chaque chuchotement et bavardage est assourdissant.. Je suis resté un peu pour poser quelques questions à Robertson et sauter sur quelques hors-d'œuvre. C'était la torture.