La croisière s’amuse (pour le bien)

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Le numéro Embuscade

La croisière s’amuse (pour le bien)

Une société offre aux touristes la possibilité d’améliorer le quotidien des habitants de la République dominicaine.

Cet article est extrait du numéro « Embuscade »

Le soir du 4 juillet, quelque part entre la Floride et la République dominicaine, la mer est calme, mais pas le bateau. Le groupe résident reprend des airs country de Zac Brown et quelques chansons du moins patriotique Justin Bieber qui, d'ailleurs, est canadien. Mais si d'aucuns le remarquent, ils ne semblent pas s'en formaliser. Les plus jeunes et les plus vieux font trembler la piste de danse décorée avec un clinquant tout américain, tandis que les passagers d'âge moyen se contentent de regarder.

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Assis au bar avec son collier de fleurs hawaïen rouge, blanc et bleu, se trouve Ross Velton. Velton est un type abordable d'âge moyen qui vient d'Orlando, et à son attitude décontractée, on n'imagine pas qu'il passe ses temps libres à faire des courses de voiture. C'est le genre d'homme qui peut discuter de tout avec tout le monde.

Pour le moment, pourtant, Velton est seul et tète une bière dominicaine. Velton n'est pas là pour faire la fête. Il est là pour perdre au quiz du bar, et parce qu'il a beaucoup entendu parler de Fathom, la première ligne de croisières pour les vacanciers qui ne veulent pas seulement passer leur temps à la plage, au spa et dans les magasins, mais faire quelque chose de bien.

Depuis avril, un bateau de 704 personnes, l'Adonia, prend le large toutes les deux semaines depuis Miami pour se rendre à Puerto Plata, où les vacanciers s'engagent à planter des arbres, construire des planchers, enseigner l'anglais et de manière générale contribuer au développement de la République dominicaine. (Pendant sa semaine de libre, le bateau prend la route de Cuba.) Mais Fathom n'est pas l'œuvre de missionnaires chrétiens ou d'une ONG de star. C'est une filiale de Carnival, le plus grand opérateur de croisières au monde, qui affiche un revenu de 16 milliards de dollars par an.

Fathom est là pour gagner de l'argent, mais aussi pour faire face à une demande grandissante dans l'industrie du tourisme : le volontariat, une tendance que l'on appelle souvent le « volontourisme ». On pourrait penser que les vacances et le travail sont des concepts foncièrement contradictoires. Mais une étude parue en 2008 montre que plus d'un million et demi de personnes prennent des congés pour faire du bénévolat, ce qui représente une dépense annuelle de deux milliards de dollars. Fathom est sans doute la preuve la plus éclatante de cette tendance : pendant sa première année, l'opérateur affirme pouvoir transporter 18 000 passagers, qui pourraient effectuer plus de 200 000 heures de bénévolat – l'équivalent de plus de 100 employés d'ONG travaillant à temps plein. Le programme est nommé « impact + voyage », « le voyage qui a du sens » et, selon le site web, il « offre l'opportunité de se lier à d'autres voyageurs partageant les mêmes idées, de s'immerger dans une autre culture et de travailler aux côtés de la population locale pour produire un impact social durable ».

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C'est une déclaration audacieuse. La plupart des organisations de volontariat ont des objectifs similaires – Peace Corps, l'organisation de volontariat international la plus connue aux États-Unis, s'efforce de produire un « impact durable » dans les communautés où elle œuvre. Mais les volontaires de Peace Corps partent à l'étranger pour des périodes de deux ans et demi, pas deux jours et demi, et admettent honnêtement qu'ils ne sont pas certains de l'efficacité de leurs actions, si elles en ont un. C'est pourquoi les critiques du volontourisme – comme la réalisatrice Chloé Sanguinetti, dont le documentaire The Voluntourist suit un groupe de bénévoles étrangers en Asie du Sud-Est – sont sceptiques face aux entreprises comme Fathom. Il est préférable, selon eux, de laisser les travaux de développement aux professionnels et de ne pas avoir la condescendance de présumer que des gens ordinaires, qui plus est en vacances, sont qualifiés pour régler des problèmes de pauvreté complexes en quelques heures à peine.

Ayant moi-même éprouvé un certain scepticisme quant au volontourisme par le passé, je partageais ces interrogations lorsque j'ai entendu parler de Fathom et de ce que l'entreprise appelle son « business model unique permettant un impact et un développement durables », « sur le long terme ». Mais quand j'ai commencé à me renseigner, j'ai été impressionné. Fathom aurait pu choisir les activités les plus vendeuses en termes de croisières – les visites d'orphelinats, peut-être. Au lieu de quoi l'entreprise a consulté des organismes locaux respectés – dont l'un a contribué à la formation du Peace Corps et m'a même donné des cours sur les questions de santé et de développement en République dominicaine pendant mes études. Ces organismes locaux ont validé tour à tour 32 programmes d'aide et déterminé ceux auxquels les bénévoles seraient les plus à même de contribuer. Puis Fathom a sélectionné les huit meilleurs d'entre eux.

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Curieux de découvrir si Fathom avait conçu un moyen de rendre le volontariat efficace – et à une échelle immense et lucrative – j'ai embarqué sur une croisière.

Des passagers paressent sur le pont de l'Adonia.

Les festivités du 4 juillet sur le bateau sont avant tout une célébration de l'Amérique. Mais elles sont aussi une célébration de l'image que l'Amérique aime à se donner : celle d'une nation influente, expédiant ses missionnaires autour du globe pour faire le bien. À la fête, cependant, je réalise que tous les vacanciers ne sont pas là pour faire du bénévolat.

« Certains parmi eux s'imaginent qu'ils vont aider ces gens », me dit Lisa Cook, une femme rousse et mince, au bar. « Faire de l'artisanat, de la musique, communier tous ensemble et enseigner l'anglais dans les foyers – il y en a qui croient vraiment toutes ces salades. »

Cook est là parce que le ticket est bon marché. « S'ils envoyaient tout l'argent que ces gens dépensent à un organisme, pensez à tous ceux qu'ils pourraient aider, dit-elle après avoir critiqué mon choix de bière. Mais ils ne le feront pas. »

C'est le deuxième argument de Fathom à propos des croisières : que l'entreprise redirige l'argent des touristes vers des communautés et organismes locaux qui autrement n'en verraient pas la couleur. « Qu'est-ce qui vous fait croire que de dire 'faites don à ceci ou soutenez cela' amènera les gens à donner de l'argent ? » me dira plus tard Ambra Attus, la responsable de Fathom à bord. « Ils ne se sentent pas concernés par la cause. »

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Contrairement à Cook et aux vacanciers naïfs qu'elle décrit, Velton se lance dans tout cela avec une réelle curiosité quant aux ramifications de ses actions.

« À part quand il s'agit de jouer au ballon avec des gosses, je n'ai aucune compétence en matière de pédagogie. »

Velton a des attentes raisonnables. « Impact est un mot un peu fort », me dit-il. Au mieux, il perçoit Fathom comme une sorte de pansement. « Vous êtes une société pharmaceutique – vous créez un nouveau médicament pour régler un problème. Mais ça ne nous empêchera pas d'avoir des maux de tête. »

« Rien n'est garanti, dit Velton. Mais si ça a une influence sur ne serait-ce qu'une personne, c'est génial. Qu'est-ce qu'il y a de mal à ça ? »

L'Adonia, amarré à Amber Cove, le port privé de Carnival.

Le lendemain matin, Velton assiste à une séance de formation pour les bénévoles alors que le bateau approche des côtes de Puerto Plata et de ses palmiers. Une guide d'impact pétillante, Tatiana Seles, leur fait remplir un questionnaire à choix multiples qui comporte le nom des populations autochtones (Arawaks, Taïnos), le dictateur le plus célèbre de l'île (Trujillo) et la nation dont la République dominicaine a dû obtenir son indépendance (Haïti, pas l'Espagne).

Seles passe à des choses plus concrètes : ne pas caresser les chiens errants, ne pas jeter de papier dans les toilettes et, s'il n'y a pas d'eau courante, se servir d'un seau d'eau pour tirer la chasse ou laisser quelqu'un s'en occuper pour nous. « Si quelqu'un tire la chasse pour nous, est-ce qu'on doit laisser un pourboire ? » demande une femme. « Non, pas ici », répond Seles.

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Seles explique à Velton et à son groupe le sens du mot « paternalisme » et conseille poliment d'attendre la fin d'une activité avant de se jeter sur des pauvres pour les prendre en photo, de demander la permission, et le cas échéant de se prendre en photo avec les gens, ce qui est moins condescendant que de les prendre en photo.

Vers la fin de la séance, Seles lit une série de portraits, décrivant chacun la vie d'un Dominicain moyen. Il y a Miriam, l'institutrice qui adore son métier, et Robin, le modeste homme de main qui, quand on lui demande ce qu'il ferait s'il gagnait un million de pesos, dit qu'il donnerait tout à sa famille, « sans hésitation ».

« Vous voyez tout ce dont ils manquent. Et pourtant, ils sont tout à fait heureux, dit Seles. La République dominicaine est le pays le plus heureux du monde, honnêtement. »

Lorsque la séance s'achève, Velton et moi nous dirigeons vers l'un des balcons, depuis lequel nous observons le bateau se glisser doucement dans le nouveau port privé de Carnival, qui a ouvert l'année dernière au prix de 80 millions de dollars. Velton évoque la simplicité du tableau brossé par Seles. « La présentation disait : 'On est super pauvres, mais on est super heureux.' »

« Je ne veux pas être cynique. Mais qu'elle décrive ça comme 'la vraie République dominicaine'… Ta boîte et toi avez dépensé des millions de dollars pour construire ce port, et maintenant vous voulez nous montrer des pauvres… »

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Un groupe de touristes dans l'un des bus de Fathom, en route vers une activité bénévole.

Quelques frites tombent devant nous depuis un pont supérieur. En regardant plus bas, nous pouvons voir des passagers surexcités qui commencent à débarquer. Velton se demande ce qu'impliquera son bénévolat. Il espère que le travail sera dur – qu'il sera gratifiant. Il a envie de se salir les mains, de pelleter du ciment. « Mais je sais que leur projet, ça va plutôt être Tu vas faire la potiche dans un coin et sourire avec une bouteille d'eau. »

Une heure plus tard, je me trouve dans une église de Puerto Plata et j'écoute une Dominicaine employée par le partenaire local de Fathom, Entrena, affirmer à une assemblée de volontaires qu'ils font « tous partie de l'histoire ». Puerto Plata, dit-elle, « est une ville qui attendait quelque chose. Et ce quelque chose est arrivé. »

« À trois, on va tous dire 'oooh yes', crie-t-elle. Un, deux, trois – Oooh yes ! » crie la foule. Les bénévoles se dispersent, suivant des femmes et enfants dominicains chez eux. Nous faisons partie d'un programme de cours d'anglais, une activité bénévole qui, à la décharge de Fathom, semble être à l'intersection parfaite de ce dont les Dominicains ont besoin et de ce dont les vacanciers en mal de soleil sont capables.

Dans un salon bien meublé, une Dominicaine de 13 ans, Sandra, me dit qu'elle apprend l'anglais pour travailler dans l'industrie du tourisme. « C'est très dur d'avoir ses chances sans parler anglais. » Son frère Luigi, 13 ans lui aussi, dit qu'on leur enseigne l'anglais à l'école mais qu'ils n'apprennent pas vraiment.

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Dans un autre foyer, une dizaine d'enfants se massent autour de quatre bénévoles. « Tee-shirt. TEE-shirt », répète un bénévole à un petit garçon en pointant son tee-shirt. C'est la maison de Manuela Roselyn Castillo, 25 ans. Elle me dit qu'elle a travaillé comme serveuse dans de prestigieux hôtels pour touristes, mais qu'elle ne parvient pas à garder ces emplois parce que son anglais n'est pas assez bon.

Lorsque le cours s'achève, une volontaire dit à la femme qu'elle est reconnaissante que son fils adolescent ait eu la chance de rencontrer des enfants d'un pays totalement étranger. « Je suis sûre qu'il se souviendra de ça toute sa vie », dit-elle.

Un guide et des bénévoles à l'usine de céramique de Wine to Water.

Le jour suivant, je me trouve dans le bus avec Velton et 25 autres bénévoles, en route vers une petite usine où nous allons fabriquer des filtres à eau à base d'argile et de sciure. Je suis assis à l'arrière à côté de Taylor Schear, une adolescente enthousiaste venue de Fort Lauderdale. Même si Fathom n'a été créé que trois mois plus tôt, Taylor en est à son deuxième voyage. Sa mère, Julie Schear, est agent de voyages, ce qui lui a valu une croisière gratuite et des réductions pour sa fille et son mari en mai dernier. Ils ont tellement aimé qu'ils ont payé un second voyage de leur poche, et ont aussi emmené la meilleure amie de Taylor, Michelle Norgren.

Taylor est le genre de voyageurs que Fathom cherche à attirer : elle a commencé à prendre des cours de niveau universitaire dès le lycée, connaît le langage des signes et fait du bénévolat dans un orphelinat près de chez elle. Elle dit s'être fait une amie dominicaine lors de son dernier voyage. Cette fois, me dit-elle, « je vais essayer d'avoir une conversation entière en espagnol ».

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Alors que notre bus se fraye un chemin dans l'intérieur des terres, un guide dominicain de 22 ans, Manuel Vasquez, explique que le manque d'eau potable est un énorme problème en République dominicaine. « Chez moi, nous achetons des bouteilles de vingt litres d'eau à 1,10 $. C'est beaucoup d'argent et dans certains cas c'est presque impossible, dans un pays où le salaire minimum est de 170 $ par mois », dit Vasquez.

L'ONG Wine to Water (W2W) basée en Caroline du Nord, qui opère l'usine de filtres en céramique où nous nous rendons, affirme que « les maladies liées à la qualité de l'eau coûtent leur vie à environ 1 300 personnes par an » en République dominicaine, un pays où 15 % de la population n'a pas accès à une eau propre. Vasquez nous dit que chaque famille pour laquelle nous ferons un filtre aujourd'hui observera une réduction de 4 % de maladies liées à l'eau, ce qui fera également baisser le taux de chômage et de déscolarisation, ainsi que les dépenses. Sur son site web, Fathom promet aux voyageurs qu'ils apporteront « de l'eau potable à des communautés dans le besoin » et que les « vies des familles seront améliorées par un meilleur accès à l'eau potable et par les économies réalisées en n'ayant plus à acheter une eau coûteuse. » (L'un des sous-traitants de Fathom estimera par la suite que les familles dépensent 10 à 15 % de leurs revenus pour acheter des bouteilles d'eau.)

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« En cinq ans à peine, les voyageurs de Fathom ont pu fournir des filtres à eau à 15 000 foyers et réduire l'absentéisme scolaire dû aux maladies de 35 % », affirme Fathom.

Lorsque le bus arrive à l'usine, les bénévoles sont divisés en quatre groupes et mis au travail. Taylor, sa mère et Norgren enfilent des masques et commencent à tamiser de l'argile séchée à travers une grande passoire. La poussière jaune emplit l'air et colle à leurs vêtements. « C'est un super look », plaisante Taylor, qui s'essaie à quelques mots d'espagnol auprès des artisans dominicains, sans grand succès.

Les travailleurs dominicains – des hommes d'une vingtaine d'années pour la plupart – se tiennent derrière les volontaires et offrent des conseils ou des instructions de temps à autre. Mais la plupart du temps, ils observent. Je discute avec un artisan, José Veras, qui me dit que sur une journée de travail normale, ils peuvent tamiser dix sacs d'argile. Aujourd'hui, ils espèrent en finir sept.

Plus loin, dans la salle où les filtres sont moulés, le visage de Velton dégouline de sueur alors qu'il roule un mélange d'argile humide et de sciure en grosses boules, les fait lourdement tomber au sol pour les aplatir, puis les emporte à la presse hydraulique qui les change en un genre de poterie géante. Velton presse le bouton de la machine, mais l'artisan dominicain est celui qui effectue le travail qualifié, utilisant des morceaux de plastique pour retirer l'excès d'argile et le mettre en forme. Il me dit qu'en temps normal, une équipe de trois employés dominicains ferait 100 filtres, mais aujourd'hui, ils visent une production de 25 – un par bénévole.

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Une femme âgée qui a tendance à agacer les autres en posant trop de questions dit à un consultant américain : « On dirait qu'on n'en a pas fait beaucoup. »

Taylor Schear (à gauche), Julie Schear (à droite), et d'autres bénévoles passent de l'argile sèche dans un tamis.

« Oh non, vous avez été très productifs, répond-il. Ils sont en train de les compter. »

Après quelques photos de groupe, on nous ramène au bus pour aller distribuer quelques filtres aux familles dominicaines. Nous serpentons dans les collines de Los Llanos, un groupe de maisons le long d'une route poussiéreuse non loin du port. Nous nous avançons vers une petite cour où quatre Dominicains qui recevront des filtres nous accueillent chaleureusement avec une prière. Vasquez leur montre comment nettoyer leur filtre chaque semaine, et en fait la démonstration partielle.

Marino Nicasio, le maire du village, demande : « En quoi est-ce différent des filtres à sable ? » Tim Kiefer, un consultant d'Entrena, explique que ces filtres ne seront pas aussi fragiles. En privé, Kiefer me dit qu'il y a quelques années, Los Llanos a reçu des filtres bios à base de sable de la part du Peace Corps. Mais certains de ces filtres se sont usés ou cassés avec le temps. Il m'apparaît soudain que les personnes recevant ces filtres bénéficiaient déjà peut-être d'une eau propre et bon marché – que ce soient par les filtres à sable ou les bouteilles d'eau, que j'avais vues dans beaucoup de foyers dominicains – et je décide de revenir plus tard pour le découvrir.

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Après la cérémonie, alors que les bénévoles s'engouffrent rapidement dans le bus, Norgren et Taylor restent derrière pour échanger quelques gentillesses avec Nicasio et Eva de Rodriguez Bonilla, une femme âgée qui reçoit également un filtre. Ils me demandent de faire la traduction avant de se prendre dans les bras et de se faire la bise. J'interroge Nicasio sur les filtres à sable – ceux dont ils disaient qu'ils « n'avaient pas été très efficaces », « qu'ils s'étaient cassés trop tôt ».

« Peut-être que ceux-là sont mieux », me dit-il.

Ce soir-là, de retour sur le bateau, je rencontre un autre vacancier, Steven Baines, à une réunion d'anciens volontaires du Peace Corps dans l'un des salons du pont supérieur. Baines est accompagné de trois autres anciens, qui désormais travaillent tous pour Fathom.

Baines, qui a fait du volontariat en Bolivie, affirme que les projets menés par le Peace Corps prennent un temps considérable à porter leurs fruits, quand ils portent leurs fruits. Gil Lang, qui a travaillé en Roumanie, admet qu'il n'a pas entendu parler de beaucoup de leurs projets qui avaient « duré. Mais l'important c'est de créer des liens. »

Je demande à Lang si compte tenu de la difficulté, y compris pour les volontaires du Peace Corps, d'avoir une influence durable, les voyageurs de Fathom repartent avec un sentiment d'accomplissement. Il affirme que ce n'est pas le cas. Un passager avec un beau coup de soleil, Bryant Vega, qui vient de passer la journée à construire un sol en béton, se mêle à la discussion. « Je me fiche de ce qu'on dit. Je sais que j'ai été utile. Maintenant ce type a un sol dans sa maison, putain. »

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Le matin suivant, Velton, Taylor et sa famille y retournent : cette fois, ils construisent un sol de béton pour une famille. Dans le bus en direction d'El Javillar, un quartier pauvre de Puerto Plata, Felix Desangles, un animateur dominicano-américain qui travaille pour un partenaire local de Fathom, IDDI, prend les choses en main.

La piscine au port d'Amber Cove.

« Merci de venir sur cette île pour en faire un endroit meilleur », commence-t-il. Desangles porte des lunettes de soleil et des manches longues, et il nous dit que 80 % des habitants de ce quartier n'ont pas de sol en béton. Imaginez comme c'est boueux quand il pleut, ou comme il est difficile de nettoyer un sol fait de gravier ou de terre, dit-il. Les sols en terre augmentent les risques que les enfants aient des parasites aux pieds, tombent malades, manquent l'école ou parfois même soient hospitalisés – une dépense coûteuse pour les familles.

« Avoir un sol en béton, c'est comme gagner au loto », dit Desangles. Les familles obtiennent les sols gratuitement, grâce aux tickets que paient les vacanciers et aux 20 $ par personne qu'ils paient pour cette activité.

Nous avançons vers une allée où trois jeunes Dominicains sont déjà en train de mélanger l'eau, le ciment et le sable à l'aide de pelles. Desangles fait venir Gleni Peralta, la femme dont nous construisons le sol. C'est une petite femme énergique en robe rouge décontractée, qui dévoile un appareil dentaire sur son large sourire. Peralta fait un discours. « Je voudrais remercier Dieu de vous avoir envoyés. C'était la dernière chose qu'il restait à faire pour que je puisse emménager dans ma nouvelle maison. »

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Nous nous mettons au travail. On demande aux garçons qui préparaient le béton de donner leur pelle aux bénévoles. La confusion se dessine sur leurs visages quand l'un des employés de Fathom vide la moitié du béton de l'un des seaux qu'ils venaient juste de remplir. Les seaux ne doivent pas être trop lourds pour les bénévoles.

Une dizaine d'entre eux forment une chaîne pour se passer le béton jusqu'à la maison de Peralta. Ils sont si nombreux qu'ils doivent se tenir épaule contre épaule et font avancer le seau mètre par mètre, sans logique apparente.

Celui qui fait le travail le plus qualifié et mesure les ingrédients pour le mélange est un homme mince mais musclé de 27 ans, Chen Valentine. Je lui demande s'il est nécessaire que des touristes soient là pour aider. Il me dit franchement que ce n'est pas le cas – tous les hommes du quartier savent préparer du béton. Mais le feraient-ils gratuitement pour Peralta, comme le font les touristes ? « Claro », dit-il – bien sûr. Dans un voisinage aussi soudé que celui-là, les gens s'entraident. Et puis vu le taux de chômage, il n'y a pas grand-chose d'autre à faire.

« J'ai l'impression que ça nous aide plus qu'eux », dit Taylor en regardant Valentine et un bénévole verser le ciment sur le sol. « Mais au moins cela leur montre que les Américains en ont quelque chose à faire. » Velton me dit que c'est agréable d'aider Peralta à finir sa maison. « Je n'arrive pas à croire que tant de gens vivent ici », dit-il en balayant le voisinage du regard. « Ça me fait culpabiliser de jouer à Grand Theft Auto V. »

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Ross Velton malaxe de l'argile et de la sciure pour en faire un filtre en céramique.

À midi, le travail des bénévoles touche à sa fin, et Peralta les remercie pour leur aide, tout sourire. De retour dans le bus, Desangles conclut l'expérience en rappelant aux voyageurs l'impact durable de leur action. « C'est quelque chose qu'ils n'oublieront jamais. En se réveillant le matin et en posant les pieds sur le sol, ils se souviendront de ce que vous avez fait pour eux. »

Sur le chemin du retour, tandis que le bateau avance vers Miami, les employés de Fathom parlent aux voyageurs de l'impact qu'ils ont eu – le nombre de filtres à eau produits depuis la création de Fathom, le nombre de sols construits, d'arbres plantés, d'heures de cours d'anglais. « L'impact de ces activités va continuer à se faire sentir, dit Seles à Velton et à son groupe. C'est un impact durable. Cela ne va pas disparaître. »

Après notre croisière, je retourne sur l'île pour m'assurer de cet impact par moi-même. Ma première étape est Los Llanos, la communauté à laquelle nous avons donné les filtres à eau. Quand j'arrive chez Nicasio, je découvre qu'il a déjà largement assez d'eau potable. Il dispose du filtre à sable fourni par le Peace Corps il y a des années, à travers lequel il filtre l'eau du robinet. Dans d'autres familles, les filtres se sont cassés, mais le sien fonctionne toujours très bien. Tout près, il y a un distributeur de bouteilles de vingt litres bleues, les botellones, une deuxième source d'eau potable. Avec le filtre en céramique, cela fait trois. « Je pense qu'après l'avoir filtrée avec le filtre à sable je vais aussi passer l'eau dans l'autre filtre », me dit-il. En fait, je découvre bientôt que les quatre Dominicains qui ont reçu les filtres de Fathom avaient déjà de l'eau potable chez eux.

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Nicasio m'explique qu'ils ont commencé à boire de l'eau purifiée il y a vingt ans, car les botellones sont devenues accessibles et le prix de l'eau purifiée a chuté. Il dit que presque tous les gens qu'il connaît à Los Llanos boivent de l'eau potable et n'évoque pas la question du prix. (Lorsque je lui reparle quelques mois plus tard, il me dit que grâce aux filtres de Fathom, il a arrêté d'acheter des bouteilles d'eau, mais il ne me dit pas si cela lui permet d'économiser beaucoup d'argent.) Je suis content de voir que Nicasio a un tel accès à l'eau. Mais je me demande si les bénévoles ont réalisé qu'ils apportaient l'eau potable à des gens qui l'avaient déjà, savaient comment y accéder, et en avaient les moyens.

En quittant Los Llanos, je prends la route de Puerto Plata pour aller voir les gens qui ont reçu les cours d'anglais il y a une semaine. Emelda Garcia, la femme calme et gentille qui possède la maison où j'ai rencontré les deux adolescents, m'invite à entrer. Je lui demande si elle apprend davantage pendant les cours donnés par les bénévoles de Fathom ou le reste du temps, quand le bateau n'est pas là – lorsque de jeunes enseignants dominicains lui donnent les cours. « On apprend plus avec les muchachos, bien sûr », dit-elle, en se référant aux professeurs rémunérés. « Vous pouvez tout leur demander, ils connaissent la réponse. » Les employés de Fathom m'avaient dit que sans l'argent des voyageurs, ces leçons ne pourraient pas avoir lieu. Mais cela semble impliquer que les voyageurs pourraient être encore plus utiles en renonçant à la croisière et en envoyant directement l'argent aux professeurs d'anglais d'Entrena.

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Une bénévole fait passer un seau de ciment.

Pour finir, je rends visite à Peralta. Elle m'a invité à venir revoir sa maison, qui est quasiment terminée. Ce n'est que lorsqu'elle me conduit à son ancienne maison, celle qu'elle partage avec sa mère, que je baisse les yeux et réalise qu'elle avait déjà un sol en dur. En réalité, contrairement à ce que Desangles avait sous-entendu lors du retour en bus ce jour-là, Peralta a toujours eu un sol en béton chez elle. C'est aussi le cas de tous ses enfants.

En quête d'une explication face à ces contradictions apparentes, je contacte Fathom et ses sous-traitants. Me rappelant que ces sous-traitants avaient assuré aux bénévoles qu'ils faisaient un travail de suivi régulier pour vérifier que les filtres à eau atteignaient l'objectif visé, je téléphone à Josh Elliot, le directeur de W2W, pour demander à voir ces documents. À ma grande surprise, il me dit qu'ils n'existent pas.

Combien d'argent ces familles ont-elles économisé en utilisant les filtres ? Aucun moyen de le savoir. Y a-t-il des recherches montrant que les filtres ont réduit le taux de maladies dans les familles qui les ont reçus ? Que l'absentéisme scolaire a diminué de 35 % comme le clame Fathom ? Non. « Notre eau filtrée est bien supérieure » à l'eau purifiée que la plupart des Dominicains achètent, m'assure Elliot. W2W ou Fathom les ont-ils fait tester ? Eh bien, non. Elliot m'encourage à lire une enquête effectuée par une organisation partenaire auprès des récipiendaires des filtres W2W. Mais lorsque je la consulte, je découvre que sur seulement 68 personnes interrogées, 13 ont des problèmes avec leur filtre, 21 ont dû le faire remplacer parce qu'il était cassé, et aucune corrélation n'est démontrée statistiquement entre les filtres et une diminution des maladies ou diarrhées.

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W2W pourra certainement me montrer des études prouvant que les filtres sont efficaces dans d'autres pays. N'est-ce pas ? En réalité, me dit Elliot, « la seule région pour laquelle nous fabriquons les filtres en céramique est la République dominicaine. C'est notre programme le plus récent. » Il a été mis en place il y a un an seulement. Non seulement l'organisation que Fathom a choisie pour y faire travailler ses bénévoles n'a pas la preuve que ses filtres fonctionnent, mais c'est la première fois qu'ils les essaient.

En repensant au jour où j'ai vu les bénévoles de Fathom distribuer ces filtres, je me rappelle comment, dans le bus qui nous ramenait de Los Llanos, Vasquez avait essayé de faire avec les volontaires épuisés un débriefing sur ce qu'ils avaient accompli. « Dès que vous mettez le pied sur l'île, vous produisez un impact », leur avait-il assuré.

Une bénévole se fait aider par une employée de RePapel pour, récupérer de la pulpe de papier.

« Peut-on objectivement dire qu'une famille dominicaine aura, dans le cadre d'un plan de santé publique, la même expérience qu'une famille mexicaine ? Pas encore, parce qu'on ne l'a pas mesuré », admet Sarah Binion, une employée de Fathom, se référant à un programme du gouvernement mexicain qui a sensiblement amélioré la santé des familles en leur fournissant des sols en dur. Elle est bien placée pour le savoir. Lorsque j'ai discuté avec Binion en juillet, elle achevait son doctorat en développement international. Elle m'a dit qu'elle avait créé un plan de suivi et d'évaluation qui mesurait et évaluait de « façon systématique » l'impact des activités bénévoles de Fathom – les familles ayant reçu des filtres à eau et des sols en béton sont-elles en meilleure santé ou plus heureuses, par exemple ? Elle venait de soumettre le projet à l'entreprise, mais jusqu'à présent rien de ce genre n'avait été mis en place.

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Elle a continué : « Ce que l'on sait, pour le moment, est très limité. Ce que l'on sait, c'est combien l'on produit » – le nombre de filtres fabriqués, de sols construits. Mais ces chiffres « ne nous permettent pas d'évaluer les résultats ou l'impact ». Par « impact » elle veut dire qu'on ne sait pas si ces filtres et ces sols ont effectivement amélioré la santé ou les revenus des gens ni si ces améliorations ont passé l'épreuve du temps – ce qui est précisément ce sur quoi Fathom a construit sa marque.

Lorsqu'on insiste, les employés de Fathom affirment qu'il est trop tôt pour évoquer l'impact – l'entreprise n'en est qu'à sa première année. Mais s'ils avaient pris la question au sérieux, ils auraient conduit des enquêtes avant même de commencer, ce qui est courant dans le travail d'aide au développement. Il aurait fallu visiter chaque village accueillant des activités et interroger les habitants sur leurs revenus, leur santé, leur bonheur, et ainsi de suite, de façon à pouvoir observer les changements et mesurer les améliorations dans le temps. Pourtant Binion elle-même m'a dit que les seuls chiffres qu'ils avaient étaient ceux de leur production.

S'il est vrai qu'il est impossible de mesurer tous les impacts du bénévolat, le fait de ne pas pouvoir le mesurer précisément n'autorise pas à affirmer tout bonnement que ce que l'on fait fonctionne. Deux employés ont une telle foi en Fathom qu'ils m'ont affirmé que les problèmes auxquels font face ces communautés dominicaines – des problèmes que Fathom est loin d'être la première organisation à essayer de résoudre – seraient bientôt entièrement résolus. « Si vous revenez dans deux ans et que nous sommes toujours en train de faire la même chose, alors nous aurons échoué », m'a dit Lang sur le bateau.

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Mais lors de ce second voyage en République dominicaine, je m'entretiens avec John Seibel, le fondateur et directeur de l'un des partenaires de Fathom, Entrena, qui admet que sans une enquête comme celle de Binion, il n'y a aucun moyen de savoir si le travail fourni par les bénévoles en fabriquant les filtres, par exemple, améliore réellement la santé ou les revenus des familles qui les reçoivent.

« Je pense que l'on peut l'affirmer sans trop de risque. Mais le seul moyen de le prouver, c'est de savoir si les filtres sont utilisés », dit Seibel. Et « de toute évidence », me dit-il, « cela ne permet pas encore de déterminer si cela va réduire ou non les maladies liées à l'eau ».

C'est évident pour tout le monde sauf pour Fathom. Je demande franchement à Seibel s'il est malhonnête de la part de Fathom de dire à ces vacanciers que les filtres qu'ils fabriquent vont faire baisser le taux de maladies. « Je ne sais pas s'il est possible d'être aussi affirmatif à ce stade, me dit-il. Pour pouvoir affirmer ce genre de choses, il vous faut conduire une analyse d'impact. »

« Le développement durable, continue Seibel, est un concept dont les gens parlent beaucoup, mais c'est sans doute le plus difficile à accomplir. » Les projets actuels de Fathom partent du postulat que l'entreprise sera là sur le long terme. Ce qui est problématique quand on sait qu'il n'y a aucune garantie que ce soit le cas.

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Le fait qu'il n'y ait eu que 525 passagers sur les 700 places disponibles pendant mon voyage – même après la distribution de tickets gratuits à des journalistes et à des agents de voyages, et des réductions de dernière minute faisant passer le billet de 1 465 à 200 dollars – soulève des questions. L'entreprise sera-t-elle suffisamment rentable pour que Carnival et le propriétaire du bateau renouvellent leur contrat ? À bord, j'ai appris que le contrat de Fathom avec le navire britannique Adonia prendrait fin en 2017. En outre, Seibel m'a dit que le contrat entre Fathom et Entrena s'achevait en novembre, sans garantie d'être reconduit.

Ce n'est pas ce que Fathom a dit à Julie – la maman de Taylor, qui est aussi agent de voyages et à qui Fathom a demandé de vendre ses croisières. Julie dit qu'elle a discuté avec le représentant régional de Fathom, qui lui a « assuré qu'étant adossés à Carnival, ils avaient des engagements à long terme auprès d'IDDI et d'Entrena. Ils assurent qu'ils seront là aussi longtemps qu'on aura besoin d'eux. »

Lorsque je dis à Julie que le directeur d'Entrena n'a pas confirmé cette information, elle marque un temps. « C'est décevant. C'est vraiment décevant. »

Sa réaction est similaire lorsque je lui apprends que les familles auxquelles ils ont donné les filtres à eau avaient déjà accès à l'eau potable. « C'est terriblement décevant. Pas qu'ils aient eu de l'eau potable – mais quand je pense qu'il y a des familles qui n'y ont pas accès et qui auraient pu en tirer un réel bénéfice… Bon, au moins il y a le béton. Cette femme n'avait pas de sol en béton. Si ? » ajoute-t-elle sur le ton de la plaisanterie. Je lui répète ce que j'ai appris sur Peralta.

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« On ne peut pas se gourer là-dessus », dit Julie, un peu en colère. « Cette femme n'avait pas de sol en béton, et maintenant si » – ce sont les mots qu'elle se rappelle avoir entendus dans la bouche de l'un des partenaires locaux. « Dans le bus, ils ont beaucoup insisté sur les questions de santé… 'Cela va tellement améliorer leur santé et changer leurs vies.' »

Des rangées de filtres en céramique.

En discutant avec la fille de Julie, Taylor, je découvre qu'il n'y a pas que dans le bus que Fathom promet à ses voyageurs qu'ils font changer les choses. Sur le bateau, « il y a eu une grande discussion avec tous ces gens de Fathom sur les maladies qui découlent des sols en terre parce qu'il pleut et que toutes les bactéries… ce qui est vrai. Mais cela ne compte pas quand les gens ont déjà un sol en béton », me dit-elle. C'est la même chose avec les filtres en céramique : « Les gens de Fathom n'ont jamais dit que ces gens avaient déjà accès à l'eau potable. Avec tant de mensonges, comment suis-je censée croire le reste ? »

Comment, par exemple, peut-elle croire Tim Kiefer, le sous-traitant américain d'Entrena, qui lui a affirmé que les filtres en céramique étaient efficaces ailleurs et que l'on pouvait donc supposer qu'ils fonctionneraient ici ?

« C'est toute la conversation que nous avons eue avec Tim, dit Taylor. Nous essayions d'avoir des informations sur le fonctionnement du filtre, mais les réponses étaient plus de l'ordre de 'Nous savons que ça fonctionne'. »

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Dans Shipping Out, son célèbre essai sur une croisière de luxe, David Foster Wallace écrit qu'« on ne vous promet pas que vous pourrez avoir beaucoup de plaisir mais que vous en aurez ». À maintes reprises, que ce soit à bord ou à terre, Fathom semble adopter la même attitude avec ses bénévoles : on ne vous dit pas que vous pouvez changer les choses mais que vous les changerez.

Des bénévoles broient du papier à la main.

Fathom vend ses croisières grâce à cette promesse. Sur le site web, on affirme qu'il s'agit d'une opportunité pour les voyageurs de « produire un impact social durable ». La vérité serait sans doute plus proche de cela : « Il est possible que votre bénévolat produise un impact durable, mais il se peut également que ce ne soit pas le cas, parce que nous n'avons pas fait les recherches adéquates et que nous n'en savons rien. »

En y repensant, Taylor me dit : « Je pense que le manque de clarté était presque volontaire. Ça semblait un peu flou, et peut-être que c'est fait exprès, pour que les gens ne se posent pas de questions. »

Elle évoque les réunions finales sur le bateau, celles où les guides d'impact de Fathom leur présentent les chiffres bruts de ce qu'ils ont accompli.

« Les chiffres sont impressionnants, dit-elle. Mais je ne suis pas une experte. Si j'étais une spécialiste des filtres à eau, je comprendrais peut-être ce qu'ils veulent vraiment dire. Mais je ne peux pas vraiment évaluer ça. Et j'ai l'impression que c'est ce sur quoi ils comptent. »

Lorsque j'appelle Velton pour lui raconter ce que j'ai appris, il me dit que c'est « un peu malhonnête » d'affirmer que des recherches prouvent que les filtres améliorent des vies en République dominicaine quand il n'en existe aucune. Pourtant, il ne pense pas que Fathom ait agi avec malveillance.

Baines est déçu d'apprendre que Fathom n'en fait pas davantage pour apprendre si les volontaires changent réellement des vies. Après son passage dans le Peace Corps, Baines a passé trois ans à travailler dans le développement pour une grande ONG au Malawi, où on lui demandait d'effectuer un suivi pour s'assurer que les projets de santé avaient un effet réel. Il est déçu d'apprendre que Fathom n'a pas fait d'enquête initiale avant son lancement. Lorsque je lui dis que l'entreprise envisage d'investir dans la proposition de Binion et de commencer à étudier les impacts, il me répond : « Ça m'inquiète un peu quand vous me dites qu'ils envisagent de le faire mais ne le font pas pour le moment. Ce n'est pas quelque chose que l'on doit juste envisager. »

« Ils travaillent avec plusieurs personnes qui viennent du Peace Corps, donc ils savent que c'est important. C'est bon pour les affaires d'être capable de montrer des enquêtes, dit-il. Il y a des donateurs à qui il faut montrer des résultats. Si l'on n'a pas de donateurs, on n'a pas d'investisseurs. » Donateurs, investisseurs – ce sont ces personnes à qui, en théorie, les ONG doivent rendre des comptes. Mais qui ferait de même pour une ligne de croisières ?

La plupart des touristes « ne vont pas se poser et faire une analyse critique de la chose », dit Baines. Ils ne sont pas professionnels. « Je pense qu'il est de la responsabilité des touristes de se demander : Est-ce une entreprise avec laquelle je veux travailler ? »

Des bénévoles s'étant inscrits pour construire un sol en béton mélangent de l'eau, du ciment et du sable.

« Ce que je détesterais, c'est que ces familles dominicaines y perdent, d'une certaine façon, dit-il. Fathom peut encaisser un choc et passer à autre chose. Les touristes, comme moi, ont leur expérience. Mais eux, il s'agit de leur vie. Je pense que les créateurs de Fathom portent une responsabilité. Si ce n'était pas un de leurs soucis principaux, alors qu'avaient-ils en tête ? »

En tant qu'agent de voyages, Julie se dit que la raison pour laquelle Fathom « embellit » tout cela, comme elle le dit, c'est pour vendre plus de croisières. A-t-elle elle-même transmis des informations mensongères à ses clients ? Julie s'est prise de passion pour la mission de Fathom depuis sa création, et elle a elle-même adoré cette expérience. Je lui demande si, sachant tout cela, elle continuera de vendre les croisières de Fathom à ses clients avec autant de zèle. « Je ne vendrai pas quelque chose auquel je ne crois pas, me dit-elle. Je ne peux plus être aussi enthousiaste maintenant. »

Julie ne comprend pas pourquoi Fathom n'a pas été plus clair dès le départ. « Si les choses étaient présentées comme elles sont vraiment, j'aurais quand même aimé l'idée, dit-elle. Mais quand on découvre qu'on nous a caché la réalité, on se sent dupé. »

Je dis à Julie que je compte présenter mes découvertes à la créatrice et présidente de Fathom, Tara Russell. Julie me dit qu'elle a lu des choses fantastiques à son sujet. « Je pense que c'est le genre de personne qui prendra vos recherches et vos informations à cœur. J'espère qu'ils seront ouverts aux critiques et au changement. »

La devanture d'une boutique de souvenirs à Amber Cove.

Au téléphone avec Russell, je décris ce que j'ai découvert. Elle est étonnée d'apprendre que Peralta avait déjà un sol en béton – Russell pensait que les volontaires ne se rendaient que chez ceux qui n'en avaient pas. Lorsque je l'interroge sur les filtres à eau, elle me dit que l'objectif principal est de faire économiser de l'argent aux familles. Lorsque je lui dis que Wine to Water ne dispose pas de recherches prouvant que c'est bien le cas, elle me répond qu'elle est « déçue ».

Russell affirme que Fathom a « adopté une approche rigoureuse et détaillée ». « Nous nous imposons des normes d'excellence », en faisant « une étude d'impact conséquente », me dit-elle.

Cependant, Binion m'a dit en juillet que Fathom ne disposait encore d'aucune étude permettant de réellement mesurer son impact. Russell me dit qu'entre-temps, Fathom a commencé ces évaluations. Mais lorsque j'en demande les détails à Binion, elle m'écrit qu'elle « n'est pas en mesure de les partager car les données sont propriétaires et appartiennent à Fathom ». Chez Fathom, on m'envoie des extraits qui n'expliquent pas les données qui seront mesurées dans chaque communauté ni comment. On me fait également parvenir un questionnaire vierge utilisé depuis le départ, affirment-ils, pour prendre en note des détails logistiques sur chaque communauté (distance du port, toilettes, capacité) avec de petites cases pour les « impacts souhaités » pouvant contenir quelques mots à peine – rien qui puisse s'approcher d'une enquête de fond.

Russell admet qu'« on ne peut pas encore affirmer avec certitude ce que sera exactement le résultat ».

« Personne ne devrait assurer qu'il connaît le résultat », me dit-elle.

Lorsque je lui rappelle que Fathom fait régulièrement des promesses de ce genre, elle me dit que l'entreprise ne fait que répéter les informations fournies par ses partenaires. Cela me semble peu crédible dans la mesure où John Seibel, le directeur d'Entrena, m'a confié que sans recherche, il était impossible que l'entreprise connaisse l'impact de ses activités.

« Il est malheureux que nous n'ayons pas plus de données, me dit Russell. Mais nous avons l'intime conviction, même si elle est anecdotique, qu'il existe un impact réel sur ces familles. »

La foi de Russell en l'anecdote devient plus évidente encore lorsqu'elle me raconte l'histoire d'une Dominicaine qu'elle a rencontrée, qui avait « de graves problèmes respiratoires et asthmatiques » et dont la famille avait dépensé « tout l'argent qu'ils avaient pour la garder en vie, malgré tous ces allers-retours à l'hôpital ».

« Nous sommes venus et nous avons pu lui construire un sol en ciment, et lorsque je l'ai rencontrée, elle semblait en bonne santé. Elle avait pu reprendre le travail. Les enfants retournaient à l'école, dit Russell. Quand je pense à l'impact que nous avons eu sur elle et sa famille, c'est énorme. »

Quand je lui demande de quels éléments elle dispose pour penser que les sols en béton guérissent l'asthme, elle marque un temps d'arrêt. « Je n'ai pas les chiffres », dit-elle. Alors comment peut-elle être sûre que ce sol est ce qui a transformé la vie de cette femme ?

« Ce que nous faisons n'a jamais été fait auparavant, me rappelle Russell. Faut-il s'attendre à ce que ce soit parfait ? Non. C'est compliqué de faire le bien.