Une jeunesse dans les campagnes du Pas-de-Calais

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Élections 2017

Une jeunesse dans les campagnes du Pas-de-Calais

Entre crise économique, vote FN, désillusions et joie d’une vie loin de la ville : Mathilde Vanmansart a photographié les jeunes ruraux d’un des départements les plus pauvres de France.
Glenn Cloarec
propos rapportés par Glenn Cloarec

L'envie de réaliser ce reportage m'est venue lors des dernières élections régionales, fin 2015. Je suis Nordiste et j'ai été frappée par la montée en puissance du Front national lors de cette élection. En regardant la carte des résultats par commune, j'ai constaté que les pourcentages les plus élevés de ce vote ne se trouvaient pas seulement dans l'ancien bassin minier – par exemple à Hénin-Beaumont –, mais aussi dans les zones rurales du Pas-de-Calais. Ces régions ont des réalités économiques et sociales très différentes de celles des zones désindustrialisées. Or, on parle très peu du vote FN en campagne et de ses raisons. Et on sait par ailleurs que ce vote y est très important chez les jeunes électeurs.

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Ces mystères ont attisé ma curiosité. Je me suis demandé à quoi ressemblait la jeunesse de cette campagne : quels étaient ses rêves, ses peurs, sa vision du monde… 20 ans, c'est aussi un âge plein de contradictions et de questionnements, entre la scolarité et le monde du travail. C'est un âge où l'on prend des décisions qui vont orienter durablement notre futur et où l'on commence à exercer son droit de vote. On est à la fois vulnérable et plein de convictions.

Je n'avais pas l'intention de travailler le sujet sous un angle politique en suivant des militants ou des colleurs d'affiches. J'avais plutôt envie de m'imprégner d'un environnement, de brosser des portraits de personnalités différentes, de parcours hétéroclites d'une même génération, à travers lesquels je pourrais interroger des motifs plus généraux comme l'isolement géographique, le rôle de l'école et des services publics ou encore l'accès à une offre culturelle en rase campagne.

En discutant de mon idée initiale avec ma sœur, je me suis rendu compte que le village dans lequel elle était institutrice, Febvin-Palfart, avait voté à près de 60 % pour le FN. Nous discutions des jeunes du village, et elle a calculé que ceux qui fêtaient aujourd'hui leur vingtième anniversaire avaient été élèves de sa première classe de CE1-CE2, lors de sa première année d'enseignement. C'est une petite école qui réunit les enfants de quatre villages – Fléchin, Laires, Beaumetz-Lès-Aire en plus de Febvin-Palfart – dans des classes de plusieurs niveaux. Elle avait gardé un attachement très affectueux à ce premier groupe. On est allés rechercher l'ancienne photo de classe dans ses cartons. Les choses sont parties de là.

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J'ai ensuite parcouru le territoire des quatre communes, photo de classe à la main, pour taper aux portes et demander des nouvelles de ces anciens élèves, savoir s'ils acceptaient de m'expliquer un peu leur parcours personnel, leurs problématiques de vie à la campagne, et partager certaines de leurs activités pour les photographier. Les gens étaient à la fois surpris et un peu méfiants, mais souvent contents qu'on s'intéresse à eux. La photo de classe et l'idée que leurs anciens camarades de primaire feraient eux aussi partie du projet ont eu un effet rassurant. J'ai senti que la figure de l'institutrice était quelque chose d'important : ils étaient contents d'avoir des nouvelles de leur ancienne maîtresse. Le projet a aussi permis à certains de renouer contact entre eux. Eparpillés dans plusieurs villages, se retrouvant souvent dans des établissements secondaires différents et assez éloignés, beaucoup ne se voyaient plus depuis plusieurs années.

Bien sûr, je n'ai pas retrouvé tout le monde : certains avaient déménagé depuis longtemps, d'autres faisaient leurs études ailleurs. Ça n'a pas toujours été évident : par exemple, une fille a participé au projet jusqu'à l'étape des photos puis a brutalement coupé les ponts. Je pense que certaines familles se demandaient vraiment ce que je faisais. J'ai senti une certaine méfiance vis-à-vis de la figure du journaliste ; mais les objectifs de la photographie documentaire échappaient sans doute encore davantage. À quoi allaient servir ces photos ?

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En général, cependant, j'ai été très bien accueillie. Les gens m'ont reçue dans leur cuisine, ont partagé des journées entières avec moi, m'ont invitée dans leurs activités, avec beaucoup de simplicité et de générosité. L'un des personnages photographiés, Clément, m'a expliqué comment il rénovait d'anciens tracteurs, Cyril m'a emmené à la chasse avec son chien et son furet, Marie m'a présenté ses chevaux. J'ai passé des matinées à réviser les maths avec Anne-Claire, des fins d'après-midi devant la baraque à frites de Jonas, et des soirées à boire des shoots de vodka avec les copains de Louis.

Par ce travail, réalisé essentiellement en janvier et février 2016, je souhaitais aussi travailler sur la représentation de mon univers d'origine. La campagne du Nord, c'est chez moi. Ce sont les champs dans lesquels j'ai moi aussi passé mon enfance, l'architecture à laquelle je suis attachée, les lumières que j'aime. Je ne voulais pas traiter le sujet avec une distance exotique.

Je suis revenue dans la région en juillet 2016 pour prendre des nouvelles de chacun et participer aux fêtes des villages et au bal du 14 juillet. Finalement, je n'ai gardé aucune image de cette saison. J'ai préféré conserver l'unité de teintes de l'hiver, les lumières bleu marine.

Si l'agriculture occupe une place importante dans l'environnement familial ou les choix d'orientation, les six personnes que j'ai finalement suivies ont des projets variés, des personnalités et un rapport à leur milieu très différents. Leurs parcours ont cependant été traversés par une même problématique : celle de l'isolement géographique et culturel. Il a été pour certains vécu comme un refuge, pour d'autres comme une douleur, pour d'autres encore comme un moteur.

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Clément avait toujours rêvé d'être agriculteur : il jouait au tracteur dans la cour de récréation, a fait un lycée agricole, et travaille désormais comme ouvrier dans l'exploitation d'un voisin. Il n'a pas envie d'avoir les soucis d'un propriétaire. Il aime son travail et consacre encore son temps libre à rénover des machines. L'avenir ne le préoccupe pas tellement. Prendre des vacances et sortir de son village ne l'intéresse pas non plus.

D'autres ont un rapport beaucoup plus douloureux à la campagne. À une heure et demie de route de l'agglomération lilloise, ils sont coincés au fond de leur bled. Sans voiture, pas de mouvement. Certains ne sont même jamais sortis du département du Pas-de-Calais et n'ont jamais pris un train de leur vie. Paris est une notion abstraite. Ils ne s'autorisent pas de grands rêves, ont des ambitions timides, pragmatiques : réussir à développer une activité rentable qui puisse leur permettre de travailler avec des animaux et passer le permis poids lourd pour avoir une option professionnelle de plus, au cas où.

Le personnage qui détonne dans ce paysage, c'est Louis. À l'école primaire, il se distinguait déjà en faisant des pitreries sur la photo de classe et en déclamant des poésies de manière théâtrale. Dès qu'il a eu l'âge de se déplacer indépendamment, il a fait du stop pour aller planter sa tente au festival d'Avignon. Depuis, il est passé par le Cours Florent, et vient d'être reçu au Conservatoire de Paris.

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Lorsqu'il m'a raconté son parcours, il n'a jamais marqué de distance avec ses origines. Il a une idée claire, à la fois de la carrière nationale d'acteur professionnel qu'il veut construire, du rôle du théâtre dans l'éducation populaire et de l'importance de maintenir et de développer une offre culturelle dans les campagnes les plus isolées. Il a envie de s'investir aussi dans ce domaine.

La question de l'ouverture au monde et de l'altérité est présente en creux dans tout le reportage. En réalisant ma sélection d'images, je me suis rendu compte qu'à part Louis, que j'ai photographié à Paris, tous les autres étaient seuls sur les photos. Cela n'autorise à aucun raccourci sur les convictions des uns et des autres. Mais sans doute le corps à corps est-il indispensable à la construction sociale. Les pouvoirs publics ont un rôle important à jouer, sur tout le territoire, pour favoriser la mobilité et la rencontre de l'autre.

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