"Je ne sens plus mes orteils" : les témoignages glaçants de pilotes de drones

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"Je ne sens plus mes orteils" : les témoignages glaçants de pilotes de drones

Un nouveau rapport sur la santé mentale des pilotes de drones de l'armée américaine montre à quel point ceux-ci sont marqués par leur métier.

Quand on évoque la guerre menée - essentiellement par l'armée américaine - grâce aux drones, on se représente généralement des exécutions menées de sang-froid, à distance, par des individus privés de tout contact direct avec leurs cibles, parfois situées à plusieurs milliers de kilomètres de là.

Mais en vérité, ce n'est pas qu'une affaire de machines. Ceux qui pilotent les drones sont bien réels, faits de chair, de sang et d'émotions, tout comme leurs victimes. Hollywood a déjà mis en lumière les pressions psychologiques qui pèsent sur ces pilotes, qui passent des heures et des heures dans des containers exigus au fin fond du Nevada, à surveiller des écrans avant d'appuyer sur le bouton qui mettra fin à des vies humaines. Mais rien ne vaut des témoignages de première main.

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Une étude sur les conditions de travail, le stress et la frustration de ces pilotes, menée par RAND, offre un aperçu glaçant et terriblement humain de leur univers. Le rapport conclut que les pilotes sont victimes d'un certain nombre de facteurs de stress, allant des horaires parfois infernaux au moral des troupes, mais on retiendra surtout la violence de certains commentaires anonymes des pilotes interrogés.

Jugez plutôt :

Sur la gestion humaine :

On vole en permanence, sans arrêt. Jamais de pause.

Je suis stressé. Je suis le seul instructeur. L'autre jour, j'ai formé un étudiant pendant huit heures. Puis dans les deux dernières heures, on m'a posé plus de questions que pendant tout le reste de la journée. J'avais tellement de choses à gérer, mon cerveau surchauffait. J'essayais de rester patient, mais c'était compliqué.

Sur la base où ils travaillent :

"C'est le lieu parfait pour une apocalypse zombie !"

Le pire, c'est que c'est loin de tout… Des heures de trajet, tous les jours, tout le temps…

Tout repose sur une toute petite communauté, il est hors de question que la base s'agrandisse et que des gens se mettent à boire ou quoi que ce soit de ce type.

Sur les équipements et les installations :

Je ne sens même pas mes orteils, alors que je porte des chaussettes épaisses et des jambières [à l'intérieur du centre d'opérations].

J'hallucine quand je vois qu'on a huit escadrons qui tournent 24 heures sur 24, mais qu'il n'y a pas le moindre service ouvert 24 heures sur 24 dans toute la base. • On ne nous laisse même pas passer nos tests physiques à la base de Nellis, juste parce qu'on est de la base de Creech.

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Sur le soutien et la compréhension de leur hiérarchie :

L'US Air Force ne met jamais notre travail en valeur auprès de qui que ce soit.

Ils veulent que des drones soient disponibles partout et à tout moment, mais ils ne mesurent pas la pression que cela représente.

"Comment notre mission est-elle censée mettre fin à la guerre ? Veut-on vraiment nous faire croire qu'à chaque poseur de bombes que nous tuons, nous nous rapprochons de la fin du conflit ? . . . Y'aura-t-il vraiment une fin à tout ça ?"

Sur leur moral et leur motivation :

"Je suis complètement à bout de nerfs après huit jours d'instruction."

"Sept des dix pilotes que j'ai sous mon commandement veulent partir, sont en dépression extrême et/ou ont exprimé des pulsions suicidaires."

Sur leur santé et leur bien-être :

C'est très dur de "supprimer" quelqu'un, puis de rentrer chez soi et de faire un câlin à ses enfants. La transition est toujours très difficile.

Tout est classifié. On ne peut pas parler de ce qu'on fait à notre famille, à nos amis, ni même à nos collègues en dehors du boulot.

Je connais beaucoup de gens ici qui ont besoin de parler, mais qui ne le font pas par peur de nuire aux autres ou de passer pour des faibles, alors ils se taisent.

Et ce n'est qu'un échantillon des souffrances endurées par les pilotes. Pour produire ce rapport, RAND a mené des entretiens de groupe pendant plus de 28 heures avec 180 membres du personnel de la base.

D'autres études avaient déjà permis d'entrevoir le taux de "burnout" et le stress incroyable dont sont victimes les pilotes de drones, mais ces témoignages bruts restent relativement rares jusqu'ici. Pour ces pilotes d'un nouveau genre, qui mènent la guerre à distance, ils permettent de préfigurer ce que seront les traumatismes causés par les guerres du futur.