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Sports

Combinaisons de surf : la révolution en caoutchouc bio

Quand les fabricants de combinaisons décident d’abandonner le néoprène polluant pour le remplacer par de la gomme naturelle.
Photo Patagonia

1952, San Francisco. Peu après avoir ouvert le premier surfshop de l'histoire dans un garage de la Great Highway, à quelques mètres de son spot de bodysurf favori, Jack O'Neill inventait la première combinaison de surf. Grâce à sa création, les surfeurs locaux allaient pouvoir prolonger leurs sessions dans les eaux froides de Californie. Finis les pulls en laine imprégnés d'huile censés protéger du froid qu'utilisaient Jack, son frère, et les autres pionniers et surf bums des environs.

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Au même moment et chacun de leur côté, Hugh Bradner, physicien à l'université de Californie, les frères Meistrell, businessmen et plongeurs, et Georges Beuchat, chef d'entreprise marseillais, figure de l'industrie subaquatique, créaient eux aussi les premières combinaisons de plongée isothermiques – comme O'Neill, tous peuvent être crédités pour l'invention. Leurs différents prototypes avaient comme point commun d'être fabriqués à partir de néoprène, un caoutchouc synthétique 100 % non recyclable et non biodégradable fabriqué à partir de pétrole et de chlore.

Depuis leurs créations, rares ont été les innovations dans le domaine. Si quelques marques de combinaisons ont depuis utilisé un néoprène bio fabriqué à partir de calcaire, le processus de fabrication nécessitait toujours l'utilisation de pétrole. Ainsi, autant dire que l'outil numéro 2 du surfeur – après sa planche – était loin de l'idéal écologique de ce sport qui se veut épuré et proche de la nature.

Certaines marques pourraient bien changer la donne, et notamment la californienne Patagonia – qui avait déjà fait grand bruit dans l'industrie du surf il y a quelques années, après avoir inventé la veste auto-gonflable. Fondée en 1973 et connue depuis toujours pour son engagement environnemental, la marque reverse depuis une trentaine d'années 1 % de son chiffre d'affaires annuel – qui était de près de 680 millions d'euros en 2015 – à des associations écologiques. Ainsi, en plus de son utilisation exclusive de matières biologiques pour sa gamme de vêtements, elle a lancé il y a quelques semaines sur le marché la première collection de combinaisons fabriquées sans néoprène, adaptées à six niveaux de température différents – de 0 à 23 °C –, marquant ainsi une véritable avancée dans le domaine.

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Nommées Yulex, ces combinaisons d'une nouvelle ère tirent leur nom d'une société américaine spécialisée dans la production de caoutchouc bio. Fruits d'une collaboration entre cette entreprise et la marque californienne, elles sont fabriquées à partir de l'hévéa, un arbre originaire de la forêt amazonienne et d'Amérique centrale qui, après transformation de sa sève, donne un latex aux caractéristiques semblables au néoprène. Les avantages de ce caoutchouc naturel sur son cousin polluant sont nombreux : en plus de nécessiter peu d'eau et de pesticides afin d'être cultivé, il affiche de bons rendements et ne causerait pas d'allergie de la peau. Surtout, les combinaisons qu'il permet de fabriquer offrent les mêmes caractéristiques que les autres en termes de qualité, de chaleur, de longévité, d'étanchéité et de solidité.

« 500 grammes de gomme naturelle est nécessaire par combinaison, explique Hub Hubbard, responsable du développement de la gamme de produits surf de la marque depuis 4 ans. Chaque arbre peut produire du latex pendant environ 30 ans. Une fois le latex récolté, traité et purifié par la société Yulex, il est coagulé en solide. Ce bloc de caoutchouc sert de substitut au polychloroprene (le néoprène) dans les composants de la combinaison. Les processus de designing et de fabrication sont identiques à ceux des autres combinaisons. Les plantations qui permettent la production de gomme ont un bilan carbone négatif et nos nouveaux produits réduisent jusqu'à 80 % les émissions de CO2 nécessaires à la fabrication de combinaisons traditionnelles ». L'intéressé, qui a auparavant travaillé pendant 25 ans chez Billabong, indique que la source de production – une forêt du Guatemala –, est certifiée FSC (pour Forest Stewardship Council) par la Rainforest Alliance, ce qui garantit les bonnes conditions de travail des ouvriers et la protection des arbres.

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Après transformation, la sève donne un latex aux caractéristiques semblables au néoprène.

Si le travail avait été entamé dès 2006 avec l'élaboration de combinaisons qui alliaient néoprène et laine mérino, la marque s'est tournée vers le latex naturel il y a seulement trois ans, via l'utilisation de caoutchouc issu du Guayule, une plante elle aussi productrice de caoutchouc. « Remplacer le néoprène par du caoutchouc naturel fait partie de notre ADN », explique Hubbard. Néanmoins, jusque-là, aucune combinaison n'avait pu se passer totalement de néoprène. En 2015, la troisième génération de ces combinaisons écologiques comptaient encore dans leur composition 40 % de néoprène pour 60 % de caoutchouc bio.

Avec pour volonté de partager cette nouvelle technologie avec d'autres marques, Patagonia propose son invention à toute l'industrie – ce qui pourrait à terme lui permettre d'adopter des tarifs moins élevés, elle qui est souvent plus chère que la concurrence. « Plus les volumes augmentent, plus les prix baissent. Et quand davantage de surfeurs peuvent choisir des combinaisons plus respectueuses de l'environnement, tout le monde est gagnant. Quand une meilleure voie se présente, il ne tient qu'à nous de la suivre », avançait l'équipe commerciale de la marque il y a quelques années. Depuis, la française Soöruz a elle aussi adopté le concept. Les marques Vissla et Picture ont aussi intégré un autre matériau bio – le NaturalPrene – dans leurs produits.

Alors qu'aucune avancée écologique majeure n'avait été trouvée depuis l'époque du vieux pirate Jack O'Neill, l'industrie du surf et de la combinaison pourrait ainsi – enfin ! – se mettre au vert et respirer loin des vapeurs de pétrole.

Une forêt d'hévéas.