Lev Yashin, le grand monsieur du football soviétique

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Lev Yashin, le grand monsieur du football soviétique

Retour sur l'histoire de monsieur Yashin, légendaire joueur de l'URSS, qui est aujourd'hui le seul gardien de but à avoir remporté le Ballon d'or.

Lev Yashin. Un nom qui donne la chair de poule à tous les amateurs de football, un nom qui a fait faire des cauchemars à de nombreux attaquants. Il y a 87 ans naissait le plus grand gardien de but de tous les temps, l'unique portier à avoir remporté un Ballon d'or à ce jour, l'homme aux 270 clean sheets et aux 150 penaltys arrêtés. "The black spider" a révolutionné le poste de gardien et a surtout donné un nouvel élan au football soviétique sur la scène européenne et internationale. Aucun adjectif n'est assez fort pour résumer le talent de cet homme qui a porté la sélection soviétique sur son dos pendant une quinzaine d'années. Une carrière qui lui a d'ailleurs valu d'être élu meilleur gardien du siècle par l'International Federation of Football History and Statistics (IFFHS) et intégré à l'équipe mondiale du XXème siècle en compagnie de Pelé, Maradona et bien d'autres.

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C'est au cours du rugueux hiver de 1929, quatre ans après l'arrivée au pouvoir de Joseph Staline, que Lev Ivanovitch Yashin voit le jour dans le quartier populaire de Bogorodskoe, à Moscou, le 22 octobre. Fils d'Ivan et Alexandra, le petit Lev est élevé dans la culture purement soviétique par des parents eux-mêmes issus du milieu ouvrier. Son enfance n'est pas des plus simples, ses parents sont très pauvres et partagent leur petit appartement avec une autre famille. Très vite, Lev a des envies d'ailleurs, d'évasion et c'est dans le football qu'il va trouver un exutoire. Dès son plus jeune âge, il passe l'intégralité de son temps libre à jouer au football avec d'autres jeunes du quartier, mais il ne commence pas à jouer au foot au poste de gardien de but.

Sa qualité de relance et sa vision du jeu s'expliquent par le fait que, durant sa jeunesse, Lev joue plutôt milieu de terrain : il adore distribuer le jeu et, dès qu'il le peut, il se projette vers l'avant. On a tous connu les matches de foot entre amis, on change de portier à chaque but marqué ou encaissé car personne n'aime vraiment ce poste. Mais quand Lev va aller pour la première fois sur la ligne de but, il ne va plus la quitter.

Malheureusement, la Seconde Guerre mondiale, également appelée grande guerre patriotique en URSS, débute. La famille Yashin est évacuée dans la région de la Volga, à Oulianovsk, car Ivan, le père de Lev, est serrurier et travaille dans une usine fabriquant du matériel pour la défense du pays. Fini l'école et les matches de football dans les rues de Bogorodskoe, le petit Lev devient apprenti serrurier et travaille d'arrache-pied pendant toute la Seconde Guerre mondiale. Dès 1944, la famille Yashin retourne à Moscou, la guerre se termine petit à petit et le jeune Lev continue de travailler à l'usine avec ses parents. A seize ans, en 1945, il est récompensé pour « son travail valeureux dans la grande guerre patriotique » par une médaille. Une parmi tant d'autres…

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La vie reprend son cours et le football également. Parallèlement à son travail à l'usine, Lev reprend sa jeune carrière et rejoint l'équipe du quartier Touchino au nord-ouest de Moscou, où il travaille. Il la quitte rapidement car, en 1948, il cesse de travailler, épuisé par des journées harassantes à l'usine. Celles-ci iront jusqu'à mettre notre grand Lev Yashin en dépression nerveuse. Pour ne pas risquer de problèmes avec le parti soviétique qui n'apprécie que très peu les chômeurs, il s'engage dans l'Armée rouge. Il continue bien évidement le football dans son régiment, au poste de gardien de but, et est repéré par l'entraîneur du Dinamo Moscou, Arkady Chernyshev. C'est à ce moment-là que sa carrière débute.

En 1949, Lev Yashin rejoint donc le centre de formation du Dinamo Moscou et commence son parcours dans les équipes juniors du club, à l'occasion de nombreux tournois entre équipes moscovites. Malgré des performances reflétant mal le niveau de Lev, celui-ci gagne une place de titulaire pour un match amical de l'équipe senior du Dinamo. Censée être le tremplin pour sa carrière, cette soirée va se transformer en cauchemar. Très fébrile dès le coup d'envoi, le jeune portier commence sa carrière professionnelle par une énorme boulette : sur un renvoi aux six mètres du gardien adverse, Lev anticipe mal la trajectoire de la balle et encaisse un but casquette. Un comble pour celui qui sera vanté, quelques années plus tard, pour ses qualités d'anticipation.

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L'entraîneur du Dinamo, très déçu par la performance de Lev, ne le fait jouer que quelques rencontres au cours de la saison 1950, jusqu'à le reléguer au rang de troisième gardien du club. Bien loin de ce que l'on pourrait imaginer de l'homme qui a marqué les esprits collectifs durant des années. On ne le revoit sur un terrain de football qu'en 1953, suite au départ du numéro 1 Walter Sanaya et aux performances en dents de scie d'Alexei Khomich, portier de l'équipe nationale à l'époque. Refusant de ronger son frein sur le banc de touche et de jouer des matches de niveau amateur avec l'équipe réserve, Lev va se tourner vers un autre sport : le hockey sur glace. Très vite, il obtient une place dans les cages du HK Dinamo Moscou, un club avec lequel il va remporter la coupe d'URSS en 1953. Excellent gardien grâce à ses réflexes impressionnants et son sens de l'anticipation retrouvé, Lev hésite à changer de carrière. En effet, il est sélectionné pour une compétition internationale de hockey avec la sélection soviétique, mais finit par la refuser pour revenir vers son premier amour, le football.

Le gardien russe recevant son Ballon d'or.

De retour dans les cages du Dinamo Moscou, il ne quittera pas sa ligne de but avant 1971, soit 22 saisons au sein du club moscovite ! Un exemple de fidélité envers un club et un public qui ne l'oublient pas, comme le montrent les nombreux chants en l'honneur du portier entonnés à chaque match du Dinamo encore aujourd'hui. Dès sa première saison professionnelle, il remporte le championnat d'URSS en participant grandement à ce succès. Reconnaissable à sa tenue noire et sa grande taille, il est rapidement surnommé "The black panther"ou encore "The black spider" (l'araignée noire) pour son agilité, il faut bien l'avouer, surprenante pour un homme de sa taille. Il remportera un total de cinq championnats avec le Dinamo ainsi que trois coupes d'URSS.

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En 1954, il est convoqué pour la première fois avec la sélection nationale soviétique et le monde entier découvre le talent de Yashin, puisqu'il jouera un total de 78 matches pour l'URSS. A l'occasion des Jeux Olympiques de Melbourne, Lev dispute sa première compétition internationale. Titulaire dans les cages, il permet à l'URSS d'obtenir son seul succès majeur au niveau mondial. Une compétition dans laquelle le gardien du Dinamo n'encaisse que deux buts en cinq matches. Lors de la finale contre la Yougoslavie qui je soue devant 102 000 spectateurs, il dégoûte, à lui seul, les attaquants adverses en remportant un nombre incalculable de duels et devient un acteur majeur du succès soviétique.

Le seul bémol dans la grande carrière de Yashin sont ses échecs multiples en Coupes du monde. Il n'est jamais parvenu à remporter le trophée tant convoité malgré quatre participations. En 1958, l'URSS s'incline en quart de finale contre le pays organisateur, la Suède. Malgré un traumatisme crânien, il est titulaire en 1962 au Chili, mais est l'auteur de nombreuses erreurs en encaissant même un corner direct contre la Colombie. A l'issue du quart de finale perdu contre le Chili, le quotidien L'Équipe raconte même que Lev est non seulement sur le déclin, mais qu'il pourrait mettre un terme à sa carruère. Pourtant, en 1966, l'URSS réalise son meilleur parcours en atteignant les demi-finales en Angleterre. La demi-finale contre la RFA sera un match mythique : malgré la défaite 2-1, Lev sort un match incroyable et manque de qualifier à lui seul l'URSS pour la finale – il sera d'ailleurs élu meilleur gardien du tournoi. En 1970, au Mexique, pour son dernier Mondial, il ne jouera pas un seul match, ayant plus un rôle d'entraîneur-adjoint pour motiver les troupes. Il sera quand même un artisan de la Coupe du monde assez bonne de l'URSS avec une défaite en quarts contre l'Uruguay.

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Sur la scène européenne, cela va être une autre histoire. En 1960 est organisé le premier Championnat d'Europe des Nations en France, et l'URSS fait office d'outsider – elle s'est qualifiée directement pour les demi-finales après des victoires contre la Hongrie et l'Espagne, par forfait. En demi-finale, malgré la présence de Masopust dans ses rangs, la Tchécoslovaquie se heurte une nouvelle fois à l'inévitable Yashin : l'URSS est en finale. Se dresse sur son chemin la Yougoslavie, que Lev avait dégoûté quatre ans auparavant à Melbourne. Devant 17 000 spectateurs au Parc des Princes, Yashin sauve l'Union soviétique en effectuant une parade d'anthologie sur un coup franc de Bora Kostic en toute fin de rencontre. Score final : 2-1, le seul trophée majeur de l'histoire du football soviétique est soulevé par Lev. L'Euro et Yashin, c'est un peu comme une histoire d'amour car, quatre ans plus tard, l'URSS effectue un beau parcours pour échouer en finale contre l'Espagne. Lev est d'ailleurs élu meilleur gardien de la compétition à deux reprises.

L'apothéose de sa carrière a lieu en 1963, un an après que le quotidien L'Équipe le descende en le jugeant fini. Lev Yashin obtient le Ballon d'or, récompense ultime pour tout joueur de football. Le 17 décembre 1963 reste, jusqu'à aujourd'hui, la seule date où un gardien de but a obtenu une récompense de ce type. Finissant loin devant l'Italien Gianni Rivera et l'Anglais Jimmy Greaves, il rejoint Di Stefano, Eusebio, Charlton et bien d'autres au Panthéon du football. Cette nouvelle réputation fait de lui un joueur convoité, espéré dans tous les matches de gala. On veut voir le mystérieux gardien soviétique en action ! Le 23 octobre 1963, quelques semaines avant de recevoir sa précieuse distinction, il participe au "match du siècle" à Wembley pour le centenaire du football anglais lors d'un match entre l'Angleterre et une sélection mondiale dont il est le gardien. Malgré la défaite 2-1, il n'encaisse aucun but car il ne joue que la première période.

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La fin de sa carrière professionnelle est une apothéose, un peu comme la fin d'un feu d'artifice, un final parfait. Dans un Stade Central de Lénine comble avec plus de 103 000 spectateurs, Lev Yashin fait son jubilé, sa dernière apparition en tant que footballeur professionnel. La rencontre oppose une équipe de la société Dinamo (Kiev, Saint Pétersbourg, Moscou …) et une équipe de stars mondiales avec notamment Eusebio, Charlton et Müller. L'émotion se voit sur le visage de Yashin, le moment tant redouté est arrivé. A la 70e minute, Lev Yashin est remplacé par Vladimir Pilguy pour une sorte de passation de pouvoir. C'est entre larmes et émotion que "The black spider" quitte le rectangle vert sous les vivats de la foule qui sait qu'elle vient de vivre un moment unique. Monsieur Yashin vient de quitter le devant de la scène et plus rien ne sera comme avant.

Difficile de quitter le monde du football quand on l'a tant marqué de son empreinte. Alors, pour rester impliqué dans la vie de son Dinamo, Lev obtient son diplôme d'entraîneur et coache le club moscovite jusqu'en 1975, avant de prendre une retraite bien méritée. Très marqué par la mort tragique dans un ascenseur du jeune prometteur Anatoli Kozhemyakin, il préfère quitter le monde du football. A 50 ans, Lev va développer une gangrène de la jambe. Fumant énormément, il disait même : « Rien de mieux avant un match important qu'une bonne cigarette et qu'un coup de liqueur pour se vivifier les muscles ». Une pratique pourtant interdite à l'époque, mais le staff du Dinamo avait fait une exception pour lui. Il est amputé en 1984 et sa santé se détériorant jour après jour, il obtient le 18 mars 1990 sa dernière récompense : le titre de Héros du travail socialiste. Deux jours plus tard, il décède des suites d'un cancer de l'estomac. Il est enterré au cimetière Vagankovsky, désormais lieu de pèlerinage pour les gardiens russes.

Alors oui, Lev Yashin n'était pas un gardien comme les autres. Le poste de gardien de but moderne a pris ses sources dans son de jeu. Il était en effet connu pour boxer les tirs difficiles au lieu de les stopper, relancer rapidement pour permettre des contre-attaques, il restait rarement sur sa ligne et communiquait beaucoup avec sa défense. Des caractéristiques qui étaient jusque-là inconnues pour les gardiens de l'époque. Cet homme était une vraie muraille, encensé par tous les joueurs de la planète. Gordon Banks disait à son propos qu' «il faisait de grands arrêts, il savait réduire les angles de tirs et intercepter les centres aériens » , pour Eusebio, il était « le meilleur gardien du monde » et Sepp Maier disait que « c'est un des rares gardiens qui était excellent dans tous les domaines » . Il a inspiré une génération de gardiens de but, notre Barthez national a même porté une tenue noire pendant une grande partie de sa carrière en hommage à Yashin. Il existe même un club Yashin en Russie réservé aux gardiens ayant réalisé 100 clean sheets dans leur carrière. Un trophée porte également son nom, récompensant le meilleur gardien de la Coupe du Monde.

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Du football en passant par le hockey, Yashin a su marquer de son empreinte le football soviétique et l'histoire du Dinamo Moscou. Loins de ses débuts loupés, il a su rebondir pour devenir cette icône gravée dans la tête des anciens comme de la nouvelle génération. Entre football, génie, alcool et cigarette, l'enfant de Bogorodskoe restera à jamais le plus grand gardien de l'histoire du football mondial.