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Petit guide pratique du cannibalisme

Vous êtes naufragé en mer. Autour de vous, rien d'autre que de l'eau à perte de vue. Lequel de vos compagnons d'infortune manger en premier ? Par quel organe commencer ? Pour quels risques ?
Genono
par Genono

Que vous ayez lu ou non Moby Dick, vous connaissez forcément l'histoire : celle d'un mec névrosé et complètement obsédé par une foutue baleine. Ok, rien de bien sexy. Mais il y a beaucoup plus romantique, l'histoire vraie dont est inspiré Moby Dick : celle de l'Essex, un baleinier naufragé après l'attaque d'un cachalot en 1821, et dont les survivants se sont littéralement entredévorés pour survivre. Le pire, c'est que l'équipage s'est perdu en mer en essayant de s'éloigner d'iles réputées pour les tendances cannibales de leur populace. Le destin est parfois une simple blague Carambar commençant par "quel est le comble pour..?"

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Et comme une bonne vanne n'arrive jamais seule, le premier mort de l'équipage est celui qui était chargé du rationnement de la nourriture. Dix jours après avoir balancé son corps à l'eau, un second équipier passe l'arme à gauche. C'est ce moment que choisissent les quinze hommes restants pour franchir la maigre frontière entre l'être humain et l'ogre. Cuisiné avec les moyens du bord, le cadavre du pauvre bougre nourrit les estomacs affamés des survivants. En une petite semaine, quatre d'entre eux sont ainsi dévorés. Et puis, la mort décide d'arrêter de frapper, et les quelques survivants se retrouvent à se regarder dans le blanc des yeux, l'estomac à nouveau vide. Au bout d'une dizaine de jours, un nouveau cap est fatalement franchi : on tire au sort celui qui sera tué pour être mangé.

Quand l'horreur se termine, il ne reste plus grand monde sur l'embarcation. L'un des rares survivants, Owen Chase, écrira ses mémoires, et les transmettra à son fils, qui rencontrera Herman Melville, l'auteur de Moby Dick. Au-delà du fait d'avoir inspiré l'une des œuvres les plus célèbres de la littérature américaine, l'histoire de l'Essex pose pas mal de questions sur la nature humaine, et sur ce que l'on est capable de faire pour survivre quand on est confronté à la faim. Georges Guille-Escuret, auteur de la trilogie Sociologie comparée du cannibalisme, et meilleur spécialiste français sur le sujet, considère que l'immensité de l'océan crée des conditions favorables pour se découvrir une âme de mangeur d'homme : « Les cas de cannibalisme en cas de famine sont particulièrement nombreux dans le domaine maritime. Mais en même temps, quand vous vous retrouvez dans une chaloupe au milieu de l'océan, c'est-à-dire un milieu extrêmement appauvri, la seule ressource en nourriture, ce sont les êtres humains qui vous entourent. Et puis, il y a une prédisposition culturelle, le milieu maritime préparée inconsciemment à ce type de situation : prenez la chanson pour enfants "Mon petit navire" … C'est une histoire dans laquelle on tire au sort pour savoir qui on va manger ! »

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Bien sûr, tant que l'on n'est pas confronté à une telle situation, il est impensable de manger le cadavre d'un collègue de travail, ou pire, tirer à la courte paille pour savoir qui finira en rôti. Mais posez-vous la question : seriez-vous prêt à tuer un proche pour ne pas mourir de faim ? Si oui, par quelle partie du corps commencerait votre festin ? Et, tout aussi important : comment le cuisineriez-vous ?

Il existe des tas de façons de faire cuire la viande, et la chair humaine n'échappe pas à la règle. « Il existe autant de façons de cuisiner la viande humaine que la viande de porc. Certains la font bouillir, d'autres rôtir … on cuit l'humain comme on cuit le porc, tout simplement. Ce sont des chairs assez semblables : omnivores, viande blanche et grasse, et le gout -parait-il- est sensiblement proche ». S'il n'existe pas de livre de recettes consacré à la cuisine anthropophage, on constate qu'historiquement, toutes les fantaisies sont autorisées. Le tristement célèbre Albert Fish, par exemple, avait pour habitude d'insérer des carottes ou des saucisses dans les orifices sexuels de ses victimes, un peu sur le principe de la dinde farcie. Armin Meiwes, le "cannibale de Rotenbourg", avait lui cuisiné à la poêle le pénis de sa victime consentante. La préparation de la viande –découpage, cuisson, assaisonnement- est évidemment une partie essentielle du processus de consommation. Issei Sagawa, cannibale japonais, a connu la frustration en croquant directement dans la fesse de sa victime fraîchement assassinée. Arracher de la chair à la simple force de ses dents n'est pas un acte aisé, et la mâchoire humaine n'est pas faite pour déchiqueter à même le cadavre. Hormis ces quelques cas où le cannibalisme est d'ordre psychopathologique, les cultures anthropophages ont des méthodes culinaires plutôt classiques, et les recettes s'accordent à l'héritage culturel en question : ragoût en Afrique centrale, cuisson à la broche dans le Pacifique Sud, ou à la rôtisserie en Malaisie. Si les français étaient culturellement anthropophages, il y aurait de fortes chances que vous ayez l'occasion de déguster votre grand-mère en bourguignon.

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Le Japonais Issei Sagawa, qui avait tué et mangé en partie une étudiante néerlandaise à Paris en 1981, est sans doute le cannibale contemporain le plus célèbre. Photo : VICE.

Évidemment, si vous êtes perdu au milieu de l'océan, vous n'aurez pas forcément l'occasion de choisir votre assaisonnement. Il est fort probable que vous deviez vous contenter de viande crue, et vous devrez en consommer le maximum rapidement en prenant toutes les précautions pour ne pas tomber malade, car dans de telles conditions, le corps pourrit rapidement. « Le corps humain n'est pas un aliment complet, on ne peut pas s'en nourrir exclusivement, explique Georges Guille-Escuret. On a, au minimum, besoin d'eau. Si on prend le célèbre cas du crash dans les Andes, effectivement les rescapés ont survécu grâce à l'anthropophagie, mais ils avaient tout de même accès à de l'eau potable. »

A moins que vous n'ayez miraculeusement un moyen révolutionnaire de transformer l'eau de mer en eau douce, vous risquez également de souffrir de déshydratation. Même si cela peut sembler excitant pour les fans hardcore de Twilight, vous abreuver du sang de votre ami -décédé ou non- n'est pas forcément une bonne idée. Le sang, qu'il soit humain ou autre, contient énormément de protéines et de nutriments, des choses difficiles à digérer pour votre organisme. Vous pouvez le faire cuire pour dénaturer les protéines, mais évitez au maximum. Au mieux, vous serez encore plus déshydraté, au pire, vous tomberez malade. Bien sûr, de nombreuses cultures font de la consommation sanguine une tradition, et dans certains villages français, jusqu'au début du siècle dernier, on faisait boire un verre de sang de bœuf ou de cheval aux enfants, une fois par semaine, pour les fortifier. Mais boire trente centilitres de sève animale quand on est suffisamment hydraté et nourri, et que l'on a un médecin à disposition en cas de mauvaise réaction, c'est tout de même très différent de consommer le sang d'un cadavre, en étant affaibli, déshydraté, mal-nourri, et en proie à la mort.

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Pour les mêmes raisons, évitez tout organe contenant trop de sang - le coeur, en priorité. Avant de consommer vos amis, saignez-les au maximum. Moins la viande que vous consommerez contiendra de sang, mieux vous éviterez les risques d'ingérer des toxines. « Évitez également l'estomac, vous pourriez vous retrouver avec des sucs gastriques d'une acidité terrible, conseille Georges Guille-Escuret. Dans les anciennes sociétés cannibales asiatiques, on avait une préférence pour le foie, chez les aztèques, pour le cœur… Mais c'est purement culturel, et dans un cas de survie, il n'y a aucun intérêt particulier à privilégier ces organes en particulier. »

Hormis les risques liés à l'ingestion d'hémoglobine, la consommation de chair humaine pose à l'homme des problèmes analogues à ceux d'une vache ou d'un mouton nourris aux farines animales. Exactement de la même manière que chez ces animaux, la consommation du système nerveux provoque une accumulation de protéines pathogènes (le prion), qui conduit au développement d'une encéphalopathie spongiforme –un groupe de maladies allant de l'insomnie chronique à Creutzfeldt-Jakob. En gros, il s'agit d'un ramollissement –littéral- du cerveau. Très clairement, le cerveau devient mou et spongieux, les neurones meurent. L'individu touché –qu'il soit humain, ovin ou bovin- ne devient pas fan de télé-réalité, mais perd peu à peu des fonctions essentielles de son appareil neurologique : il souffre de démence, devient incapable de coordonner ses mouvements, souffre de crises d'épilepsie et de troubles visuels, de spasmes et tremblements musculaires (la fameuse "tremblote du mouton").

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On sait que cette maladie existe chez l'homme, car une tribu anthropophage papouasienne a été complètement décimée par la maladie dans les années 60. La tradition consistait à becqueter les parents défunts, afin d'absorber leur force physique et spirituelle. 2500 morts de "tremblote" -soit la moitié des décès sur cette période- plus tard, la pratique du cannibalisme était interdite. Le dernier mort de cette maladie, appelée en langage Fore le kuru - littéralement "trembler de peur" - date de 2003, mais la contamination du patient datait des années 60. L'incubation peut en effet durer… cinquante ans.

Il y a deux choses très instructives à retirer de cette histoire. D'une part, les hommes de la tribu étaient beaucoup moins touchés, pour la simple raison qu'ils consommaient en priorité les muscles, laissant les organes, et surtout le cerveau, aux femmes et aux enfants. Si vous vous retrouvez donc perdu en pleine mer, et que vous avez à choisir quelle partie du corps de votre partenaire vous devez déguster, évitez le cerveau. Vous pouvez aussi jouer à la roulette russe en le consommant malgré tout, et en passant le reste de votre existence à guetter l'apparition des symptômes d'une maladie qui incube peut-être en vous depuis quelques décennies.

L'autre point marquant, c'est qu'on s'est rendu compte il y a quelques années que les femmes qui avaient survécu à l'épidémie de kuru avaient développé une mutation génétique leur conférant l'immunité contre cette maladie. Un cas assez spectaculaire d'évolution darwinienne ultra-rapide, qui a d'ailleurs été reproduit en laboratoire sur des souris. Aucune application médicale de cette découverte n'est encore possible, mais comprendre le mécanisme qui pousse l'organisme à se protéger contre les maladies neurodégénératives pourrait, à l'avenir, permettre de lutter plus efficacement contre Alzheimer ou Parkinson.

Reste à savoir qui manger. La courte paille est une solution viable, mais il faut penser raisonnablement à maximiser vos chances de survie. Si l'un des individus souffre de gangrène généralisée, vous ne pourrez pas le consommer. Tuez-le pour abréger ses souffrances si le cœur vous en dit, mais cela n'aura aucun intérêt pour votre estomac. A contrario, s'il ne vous reste que deux compagnons de survie, tuer celui qui est en forme pour partager le repas avec un mourant n'aura que peu d'intérêt. De même, abattre un garçon squelettique quand vous avez un homme charnu à disposition n'est peut-être pas très judicieux.

Il vous reste également la possibilité de ne pas céder aux tentations anthropophages. « Toute condition de famine ne crée pas forcément une situation de cannibalisme, rappelle Georges Guille-Escuret. Certaines prédispositions culturelles facilitent ou non la consommation de viande humaine. Dans une culture où le corps est sacralisé, on est bien plus préservé face à ce type de cas ». La société occidentale est particulièrement horrifiée par le cannibalisme, d'une part parce que se faire un gueuleton de corps humains n'est pas un comportement très chrétien, d'autre part parce que cela évoque la sauvagerie humaine à son état le plus rudimentaire. « Ces histoires sont très souvent exagérées, on en amplifie la violence et l'horreur. Elles servent à créer des mythes. Prenez George H.W Bush, dont on raconte que ses compagnons ont été capturés et dévorés par des japonais pendant la Seconde Guerre Mondiale. »

Quoi qu'il en soit, si vous finissez par mastiquer l'un de vos compagnons de galère, pas d'inquiétude : malgré quelques mythes véhiculés par Hollywood, la consommation de viande humaine ne rend pas accro. Ce n'est pas parce que vous goutez un ami, à l'occasion, que vous deviendrez immédiatement un ogre en recherche constante de chair fraiche. Relativisez, et rappelez-vous ces paroles de Jean Rigaux : « Un cannibale est juste un homme qui aime son prochain avec de la sauce. »