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Les plantes carnivores sont plus sournoises que vous ne le pensez

Parfois, la botanique a un petit côté metal.

Les plantes carnivores sont parmi les prédateurs les plus redoutables du monde naturel. Refusant de se contenter de la seule énergie produite par photosynthèse, ces plantes ont évolué en carnivores capables de capturer une multitude de petits animaux, des insectes jusqu'aux rongeurs, dans leurs pièges à trappe. Une fois que la proie s'est aventurée dans la gueule de la plante, il lui est presque impossible d'en ressortir, et la plante n'a plus qu'à digérer lentement sa victime. Parfois, la botanique a un petit côté metal.

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Mais il s'avère que ces plantes sont encore plus malines qu'on ne le soupçonnait. La biologiste Ulrike Bauer, de l'université de Bristol, étudie les plantes carnivores depuis plus de dix ans. Il y a quelques années, elle a remarqué que certaines plantes alternaient entre une surface humide et glissante, qui piège facilement les fourmis, et une surface sèche et praticable, qui permet au contraire aux fourmis de se promener sur la plante en toute sécurité sans risquer de se faire piéger.

« Pendant ma thèse, j'ai conduit une expérience dans laquelle j'observais des fourmis qui s'aventuraient sur une plante carnivore pendant un jour et une nuit entiers, en comptant à la fois le nombre de visiteuses et le nombre de captures, m'a raconté Bauer. Quand il faisait chaud et sec, aucune fourmi ne se faisait piéger ; mais dès que le taux d'humidité grimpait, la plante devenait elle aussi humide et d'un coup, 80% des fourmis tombaient dans le piège. Alors je me suis demandée comment un piège aussi "imparfait" pouvait avoir résisté à l'évolution – n'aurait-il pas du être optimisé au fil du temps pour fonctionner quelles que soient les conditions ? »

Dans une étude publiée dans la revue Proceedings of the Royal Society B, Bauer et ses collègues montrent comment cette stratégie en apparence préjudiciable permet en réalité aux plantes d'engranger bien plus de nourriture sur le long terme. L'objectif, c'est de faire croire aux fourmis exploratrices qui découvrent la plante (qui est alors sèche) qu'elles ne risquent rien. Celles-ci rentrent alors à la fourmilière pour aller y chercher des ouvrières chargées de collecter le nectar. Mais lorsque les ouvrières arrivent, la plante s'est humidifiée, et le festin peut commencer.

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Une fourmi se régalant du nectar d'une plante carnivore. Image: Dr. Ulrike Bauer, University of Bristol, UK

« Grâce à nos expériences, nous avons pu constater que les plantes qui ont recours à cette stratégie capturaient 2,5 fois plus de fourmis que celles dont les pièges restaient actifs en permanence », m'a expliqué Bauer. Elle souligne toutefois que ce n'est qu'une moyenne, et que la plupart des plantes ne capturent que très peu de fourmis. Mais à l'opposé du spectre, on trouve également des plantes qui ont un tel succès qu'elles rehaussent fortement la moyenne.

« Certaines plantes ont réussi des coups spectaculaires, capturant plus de 100 fourmis en deux jours à peine, m'a-t-elle raconté. Ce n'est jamais arrivé quand les pièges restaient actifs en permanence. »

Tout cela semble très machiavélique pour une plante, mais en réalité, ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres d'organismes qui profitent de la crédulité des fourmis (le Golofa claviger est mon petit chouchou perso). Mais cette stratégie a également quelques inconvénients. Les plantes qui choisissent de rester humides en permanence capturent davantage d'insectes qui n'ont pas recours à des explorateurs comme les fourmis : mouches, abeilles, scarabées… À l'inverse, les plantes qui optent pour l'alternance laissent beaucoup de proies potentielles s'échapper lorsqu'elles sont sèches.

« Le timing est aussi une question de chance », m'a répondu Bauer quand je lui ai demandé si les plantes pouvaient anticiper leurs succès en mémorisant les habitudes quotidiennes des fourmis. « Nous voyons souvent des plantes carnivores couvertes de dizaines de fourmis qui récoltent du nectar et repartent sans encombres, et même si nous ne disposons pas de données pour le prouver, il y a de fortes chances que les exploratrices arrivent parfois lorsque la plante est humide et qu'elles se fassent capturer. »

« Cependant, le fait que les pièges soient "inactifs" pendant des périodes pouvant aller jusqu'à huit heures signifie que, statistiquement, un tiers des exploratrices vont y échapper et aller recruter des ouvrières, poursuit-elle. Pour une plante d'une certaine taille disposant de nombreux pièges - parfois des centaines –, c'est la garantie d'une bonne récolte. »

Et d'ailleurs, même en tenant compte de tous les repas que les plantes « alernantes » manquaient, Bauer et ses collègues ont démontré qu'elles se nourrissaient davantage. « Globalement, les plantes dont les pièges ne sont pas actifs en permanence capturent 36% de proies en plus que les autres, m'a-t-elle expliqué. Une telle différence explique comment un tel mécanisme, désavantageux à première vue, résiste à l'évolution. »

Les plantes carnivores fascinent aussi bien les chercheurs que le grand public depuis longtemps. Il est donc passionnant de voir que des biologistes tels que Bauer parviennent encore à faire des découvertes majeures sur leur comportement, secouant au passage nos idées préconçues sur ce dont les plantes sont capables.

« Cela fait plus de dix ans que j'étudie les plantes carnivores, et plus précisément les mécanismes extrêmement variés de leurs pièges. Il y a peu de chances que ma fascination à leur égard disparaisse bientôt », m'a affirmé Bauer.