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Crime

Des anciens passagers du Train de la Mort se battent pour les droits des migrants

Ce train permet de rejoindre les États-Unis pour les migrants d'Amérique centrale. Aujourd'hui, des anciens passagers mutilés honduriens voyagent jusqu'aux États-Unis pour faire valoir les droits des migrants.
Des migrants originaires d’Amérique centrale utilisent des sacs-poubelles et des cartons pour se protéger de la pluie. Ils patientent sur le toit du Train de la Mort au milieu du Mexique, le 20 juin 2014. (Photo Rebecca Blackwell/AP Photo)

VICE News regroupe ses articles sur la crise migratoire mondiale sur son blog «Migrants »

« C'était un long voyage, » explique tout en gesticulant, José Luis Hernandez pour décrire son périple de près de 5 000 kilomètres qui l'a mené du Honduras à Washington, DC. Mimant le voyage, la manche droite de sa chemise flotte dans le vent, là où son bras aurait dû être.

Hernandez est le président de l'Association des Migrants Handicapés de Retour au Pays (AMIREDIS), une organisation fondée dans sa ville natale d'El Progreso au Honduras. Tous les membres d'AMIREDIS ont été mutilés lors de leur voyage sur ce qu'on appelle El Tren de la Muerte (pour Le Train de la Mort) ou La Bestia (pour La Bête), un train de fret qui traverse le Mexique et permet de rejoindre les États-Unis pour les migrants.

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Beaucoup ont été blessés sur le train. ils avaient alors reçu des soins au Mexique — qui leur ont probablement sauvé la vie — avant d'être renvoyés au Honduras. Aujourd'hui, le groupe soutient d'autres blessés et handicapés qui sont revenus à El Progreso, et s'investit dans des programmes d'aides aux migrants et handicapés.

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Si leur précédente tentative de rejoindre les États-Unis a échoué — sans parler de la dangerosité extrême d'un tel voyage —, Hernandez et 16 autres membres d'AMIREDIS sont partis du Honduras en caravane. Direction Washington, DC. L'objectif du voyage était d'expliquer ce qui poussait des gens comme eux à risquer leurs vies pour rejoindre les États-Unis.

« Nous sommes partis sans prendre nos papiers ni faire de visa — comme on avait fait la première fois, quand on avait essayé de rejoindre les États-Unis avant d'être handicapés, » explique Hernandez. « Nous avons dû mettre quelques chaises roulantes dans des canots pneumatiques pour traverser des rivières. Pendant cette petite traversée du cours d'eau, on se disait à quel point la vie était injuste et comment les humains avaient rendu la vie injuste pour certains d'entre nous. »

Jose Nain Gutierrez montre son teeshirt de l'AMIREDIS, sur lequel on peut lire les coordonnées pour contacter l'association. (Photo par Angelika Albaladejo)

L'objectif suprême — bien que plus ou moins irréaliste — des membres de l'AMIREDIS est de rencontrer le président des États-Unis pour lui expliquer pourquoi le pays qu'il gouverne devrait arrêter de fournir de l'aide etde  l'entraînement militaire en Amérique Centrale et au Mexique. Ils expliquent que ces aides « n'ont fait qu'augmenter les violences et les morts. » Plutôt que d'empiler les officiers de police, l'AMIREDIS estime que les pays concernés ont besoin de « plus d'emplois, bien payés et avec des conditions décentes de travail. »

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Les militants demandent aussi aux États-Unis d'arrêt les déportations d'immigrés illégaux. L'AMIREDIS explique que ces déportations ne font que nourrir de nouveaux cycles migratoires et mettent en péril leurs pays d'origine — puisque la plupart de ces pays sont encore très dépendants de l'aide internationale, donc des immigrés qui envoient des enveloppes chaque semaine à leur famille.

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Les membres d'AMIREDIS veulent alerter Barack Obama sur la situation des quelque 700 Honduriens qui auraient été mutilés sur le Train de la Mort au cours des 4 dernières années. En réalité, le nombre total pourrait être bien plus élevé — puisque d'après une estimation, 500 000 migrants sud-américains empruntent ce périlleux chemin de fer chaque année.

Les énormes trains qui foncent à vive allure ne sont qu'un danger parmi d'autres pour les centaines de milliers de Latino-Américains qui sont obligés de fuir leur pays à cause des violences, des difficultés économiques et les persécutions politiques. Nombre de femmes et de jeunes filles seraient violées pendant le trajet vers les États-Unis. Des gangs de criminels et les forces de sécurité corrompues ne facilitent pas non plus le voyage sur La Bête.

Cela fait désormais plus d'un mois que les membres d'AMIREDIS ont envoyé leur requête à la Maison blanche — mais pour le moment aucune réponse n'est venue du 1600 Pennsylvania Avenue.

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Après avoir traversé le Guatemala et le Mexique, 13 membres de la caravane d'AMIREDIS patientent, ce 19 mars, à la frontière avec les États-Unis au niveau d'Eagle Pass au Texas. Plutôt que de permettre à la troupe de continuer son chemin jusqu'à Washington, les autorités américaines arrêtent le groupe pour les envoyer dans un centre de détention à Pearshall au Texas — tenu par l'ICE (l'Immigration and Customs Enforcement).

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« On est allé jusqu'à la frontière pour demander une autorisation de se rendre à Washington, » explique Hernandez. « Mais une fois arrivés sur le sol américain, ils nous ont dit que ces autorisations d'entrée sur le territoire n'existaient pas… La seule chose que l'on pouvait faire, c'était de demander l'asile. »

Des avocats du Refugee and Immigrant Center for Education and Legal Services (RAICES), qui a pris en charge le cas des membres d'AMIREDIS, expliquent que les militants n'ont pas eu accès aux soins médicaux de base pendant leur incarcération — notamment pour nettoyer leurs prothèses. D'autres auraient été sujets à un traitement « dégradant, inhumain et dangereux ».

José Nain Gutierrez (au premier plan) et Freddy Vega Ardon participent à un forum populaire au Central American Resource Center (CARECEN) le 18 juin au lendemain de leur arrivé à Washington, DC. (Photo par Angelika Albaladejo)

Hernandez — qui a perdu son bras droit, sa jambe droite, et une bonne partie de la main gauche à cause de La Bête en 2005 — explique qu'il a été enchaîné et placé à l'isolement sans explication. Il raconte aussi que le staff du centre de détention les a traités comme des « criminels » en leur rabâchant sans cesse que le centre n'était pas un « hôtel ».

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L'ICE nous a transférés un communiqué lorsque nous avons demandé une réaction quant aux remarques des Honduriens. On peut y lire que l'agence « s'assure que les individus hébergés dans ses centres reçoivent les soins médicaux nécessaires et que les dispositions nécessaires soient prises pour les handicapés. »

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Des membres de l'AMIREDIS nous expliquent aussi que, plutôt que d'aider l'organisation, le gouvernement hondurien essaye de les décourager. Apparemment, certains des membres de l'AMIREDIS ont été contraints de consentir à leur propre déportation lors d'une visite d'officiels honduriens au Consulat du pays sud-américain, installé à Houston au Texas.

Le porte-parole de RAICES, Mohammad Abdollahi, a par la suite confirmé ces propos, expliquant que les officiels du Consulat « menaçaient les hommes » et « essayer de contourner la procédure » avec l'aide des autorités américaines de l'immigration. Nous avons essayé de joindre plusieurs fois le Consulat, mais aucune réponse ne nous est encore parvenue. L'ambassade hondurienne de Washington, DC a de son côté déclaré que son bureau n'avait « pas de trace » de ces plaintes.

Après plus d'un mois passé dans le centre de détention, 11 membres de l'AMIREDIS ont été libérés et ont commencé la procédure pour faire une demande d'asile aux États-Unis. 8 d'entre eux ont continué avec leur caravane leur périple jusqu'à Washington.

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Depuis leur arrivée dans la capitale fédérale américaine les 8 handicapés honduriens ont tenu des forums publics, des conférences de presse et ont multiplié les interviews. Ils ont aussi eu l'occasion de rencontrer les staffs de représentants du Congrès pour exprimer leurs inquiétudes quant aux politiques d'immigration américaines et les aides accordées à l'Amérique centrale.

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L'AMIREDIS a essayé de rentrer en contact avec la Maison Blanche pour que les Honduriens puissent rencontrer Barack Obama, mais sans succès. VICE News a aussi tenté de joindre la présidence américaine sur ce sujet, à nouveau sans succès.

Si le sentiment anti-immigration reste fort aux États-Unis et dans d'autres parties du monde, les membres de l'association hondurienne sont relativement optimistes. Ils estiment que les hommes politiques de tous les pays vont entendre leur message — et celui de tous les autres migrants dans le monde.

« Nous ne sommes pas ici pour pointer qui que ce soit du doigt, » explique Hernandez. « Mais, nous sommes ici, à Washington, dans le pays le plus puissant du monde et nous pensons que nous pouvons parvenir à un accord pour notre pays pour éviter que de telles tragédies se reproduisent. »

En 2008, l'année de fondation d'AMIREDIS, la Banque mondiale estimait qu'un septième des Honduriens vivait avec moins d'1,25 dollar par jour. Le taux d'homicides dans le pays est de 61 pour 100 000 habitants — ce qui fait du Honduras, un des pays les plus dangereux au monde.

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Des membres de l'AMIREDIS posent pour une photo avec un membre du staff de CARECEN à Washington, DC (Photo par Angelika Albaladejo)

Plusieurs experts n'hésitent pas à pointer la montée de la violence et la situation économique critique au Honduras, pour expliquer pourquoi autant de personnes — principalement des femmes et des enfants — cherchent à quitter le pays pour rejoindre les États-Unis.

Les États-Unis ont fourni près d'un milliard de dollars d'aides aux pays d'Amérique centrale ces dernières années, et l'administration Obama a récemment demandé au Congrès un milliard supplémentaire pour contenir le flux croissant de migrants.

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Des membres de l'AMIREDIS expliquent que l'investissement américain en Amérique centrale peut aider, mais d'autres se demandent comment l'argent serait distribué. Roberta Jacobson, la diplomate en chef du Département d'État américain, en charge de l'Amérique latine, reste aussi prudente. Elle craint que le Congrès « autorise uniquement la partie sécuritaire » du package d'aide américain.

« La seule manière d'arrêter l'immigration est de la combattre à ses racines, en offrant des emplois, en créant des opportunités, en s'assurant que les enfants vont à l'école, » explique José Efrain Vasquez. « Personne ne veut quitter son pays, mais les conditions de vie forcent les gens à quitter leur terre pour faire face au pire cauchemar de leur vie. »

« Notre lutte n'est pas seulement pour ceux qui ont été mutilés, » ajoute Hernandez. « On se bat aussi pour les milliers de migrants qui pensent faire le voyage [vers les États-Unis] et pour les millions qui vivent ici aujourd'hui. »

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