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Gauche vénère

Football et antifascisme : Militer crampons aux pieds

Alors que le Ménilmontant FC, club phare de la lutte antifasciste à Paris, joue ce dimanche un match en hommage à Clément Méric, rencontre avec des footeux militants.
Pierre Longeray
Paris, FR
Image : Facebook MFC

Les crampons sont chaussés, les chasubles enfilés, les plots alignés : l’entraînement du Ménilmontant FC va pouvoir commencer en cette fin d’après-midi. En patientant, les joueurs ne causent pas tant du pactole que s’apprête à empocher la Ligue 1 ou de la Coupe du Monde à venir, mais plutôt du démantèlement du camp de réfugiés du Millénaire, où certains se rendaient régulièrement pour filer un coup de main. Le « Ménil FC » est un club comme on n’en fait peu à l’heure de la toute puissance du foot-business. Ici, les valeurs politiques, résolument antifascistes, importent autant – et même plus – que ce qui se passe sur le pré. Et le match de ce dimanche (un 2ème tour de Coupe de France historique contre l’Argenteuil FC) ne dérogera pas à la règle : il sera dédié à Clément Méric, un jeune militant antifasciste tué il y a 5 ans par des néo-nazis.

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Créé en 2014 par une bande de potes du milieu antifa parisien, qui gravitaient dans le quartier de Ménilmontant, dans le XXème arrondissement de Paris, et plus précisément autour du bar le « Saint Sauveur », le MFC est né d’une envie de fonder un club de foot associant antifascisme et rejet du foot-business ambiant, le tout en auto-gestion, explique Flavien, 31 ans, le gardien titulaire du MFC, présent depuis le début de l’aventure. À chaque match de ce club de la 3ème division du district 93 (l’équivalent de la 13ème division française), les gradins se parent de fumigènes et de banderoles en soutien aux cheminots, aux Palestiniens, aux réfugiés ou contre les violences policières. Et quand le destin s’en mêle, il arrive même que le score obtenu par le MFC cache un message politique, comme lors du premier tour de Coupe de France, remporté 13-12 aux tirs au but. Pour les non-initiés, 1312 ne signifie par grand chose, mais dans le milieu, cet enchainement de chiffres correspond à l’ordre alphabétique des lettres « ACAB », soit « All Cops Are Bastards » (soit « Tous les flics sont des bâtards »), ce qui a beaucoup amusé les quelques 6 000 abonnés à la page Facebook du MFC.

« Au MFC, on aborde le foot comme un outil de lutte. » — Lucas, milieu de terrain du MFC

Si la création de clubs par des militants antifas est un phénomène relativement récent, les premiers liens entre football et antifascisme remontent à l’entre-deux-guerres, notamment à l’occasion de la Coupe du monde du football ouvrier, organisée à Paris en 1934, dans le cadre du « Rassemblement international des sportifs contre le fascisme et la guerre », comme le rappelle Mickaël Correia dans Une histoire populaire du football (La Découverte). Quelques 80 ans plus tard, plusieurs clubs à travers l’Europe se réclament de la mouvance antifasciste (notamment par le biais de leurs supporters), comme le Red Star (St-Ouen) qui vient d’assurer sa montée en Ligue 2, le FC Sankt Pauli d’Hambourg qui évolue en deuxième division allemande, ou des clubs plus confidentiels comme le Clapton FC, sorte de MFC à l’anglaise, chez qui on peut voir des banderoles « Jetez-vous à la mer les Nazis ! ».

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Cette jonction du militantisme antifa et du football est justement ce qui a motivé nombre de joueurs du MFC à retaper dans la gonfle. « En arrivant à Paris, j’avais arrêté de jouer en club », confie Greg, 29 ans, originaire de Nantes et maillot du FCNA sur les épaules. « Mais en voyant les valeurs défendues par le MFC, ça m’a donné envie de rechausser les crampons. » C’est aussi le cas de Lucas, soyeux milieu de terrain suisse arrivé en France l’année dernière : « Au MFC, on aborde le foot comme un outil de lutte. Grâce au foot, on peut créer une certaine sociabilité qui permet de politiser d’autres gens. » Le MFC devient ainsi un lieu de rencontres et permet de s’organiser sur d’autres terrains de lutte. Dernièrement, plusieurs joueurs du club sont partis ensemble à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes lors de son évacuation. « Certains n’y seraient pas allés sans les potes du MFC, » glisse Flavien le gardien, pour qui le MFC est « son support militant ».

« Dans les tribunes, on retrouve la même atmosphère que dans le cortège de tête en tribunes : la contestation festive » — Violette, militante antifa et supportrice du MFC.

Que le football serve de vecteur politique n’étonne pas Patrick Mignon, sociologue et auteur de plusieurs ouvrages sur le supportérisme. « Le football est un lieu d’expression politique important, notamment pour les idées qui ne sont pas portées par les partis classiques » explique Mignon. « Ainsi, le football permet de sortir des canaux politiques habituels afin d’exprimer des opinions divergentes. » Un constat que partage Violette*, militante antifa fan de foot qui se déplace souvent pour voir jouer le Red Star ou le MFC et participe parfois à la confection des bâches déployées. « Sans faire de mauvais jeu de mot, une tribune peut devenir une tribune politique, donc autant s’en servir de manière efficace », estime la jeune femme de 28 ans. « Une banderole déployée en Ligue 1 aura une exposition largement supérieure à celle que l’on retrouvera en tête d’une manif’. »

Si les militants antifas ont choisi le foot plutôt qu’un autre sport, cela tiendrait sans doute au fait de sa popularité, mais aussi qu’il soit majoritairement pratiqué par les classes populaires, explique Akye, le coach du MFC. Le foot a aussi la particularité d’être un des sports où l’on retrouve le plus de mixité sociale dans les tribunes. « C’est un sport interclassiste », dit Alix, du MFC, maillot du PSG saison 1994-1995 sur le dos. « Il peut concerner toutes les couches de la société. » Habituée des tribunes, Violette estime que l’attrait pour le foot peut aussi venir des similitudes – en termes d’ambiance – entre une manif et un stade : « Dans les tribunes, on retrouve la même atmosphère que dans le cortège de tête en tribunes : la contestation festive ». Digo, joueur du MFC, résume tout ça : « Tu vas gueuler de la même manière en tribune qu’en manif. Tu as à la fois envie de revendiquer un truc et de supporter ton club. »

« On peut nous mettre des bâtons dans les roues à cause des valeurs que l’on défend » — Flavien, gardien du MFC

Mêler football et militantisme permet aussi de créer un encrage local et de sensibiliser tout un ensemble de gens qui n’auraient pas été exposés aux valeurs portées par les antifas. Dans le sud de la France, à Montpellier, un petit club baptisé « Football du Peuple », créé en 2014 par des militants antifascistes de la région, l’a bien compris. « On a réussi à récupérer un vieux terrain qui allait être détruit dans le centre de Montpellier », explique Mathieu, 24 ans et responsable du club, qui accueille des réfugiés aux entrainements et s’est inspiré des tournois de foot antifas organisés en Grèce. « Jouer sur ce stade tous les dimanches, c’est la réappropriation populaire d’un bien public. » Du côté du MFC, les joueurs sont pour le moment contraints de jouer à Bobigny au stade de la Motte, bien loin de Ménilmontant, et espèrent trouver un stade proche du XXème arrondissement pour faire un peu plus participer leur quartier. Pour l’instant, ils sont sur une liste d’attente.

Mais être un club de foot estampillé antifa n’est pas toujours un avantage lorsqu’il faut discuter avec les autorités. Fin 2017, les joueurs du MFC ont voulu organiser un tournoi de foot sur leur terrain – à Bobigny donc – en soutien pour un des joueurs du club, emprisonné en Allemagne suite au G20 qui se tenait à Hambourg. Alors qu’ils avaient obtenu l’accord du responsable du stade sans difficulté, les joueurs expliquent que la préfecture de police aurait été mise au courant et aurait fait passer le mot à la ville de Bobigny et au responsable du stade pour que le tournoi ne se tienne pas. « Du coup, c’est tombé à l’eau », rembobine Flavien. « C’est clair qu’on peut nous mettre des bâtons dans les roues à cause des valeurs que l’on défend.