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La guerre civile pousse le Soudan du Sud au bord de la famine

Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime qu'environ 4,6 millions de Sud-Soudanais feront face à une famine forte en 2017.

Pendant cinq mois, Nyabany et ses cinq enfants ont évité les tirs. Ils sont tout de même en train de mourir.

Les échanges de tirs « incessants » près du village de Nyabany, causés par la guerre civile du Soudan du Sud, ont conduit sa famille à gagner les marécages à proximité. Ils s'y sont cachés en partie sous l'eau et ont mangé des nénuphars jusqu'à ce que les tirs cessent. Mais vers novembre, ils ne trouvaient plus de quoi manger, même des fleurs. La famine est alors vite arrivée.

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« La faim, c'est pire que les tirs », a dit Nyabany.

Avec les sécheresses et inondations mortelles au Soudan du Sud, la famine y a toujours été une grande menace. Mais depuis que la guerre civile a repris de plus belle en juillet, le conflit a poussé le jeune pays vers la famine et a déstabilisé des régions qui étaient jusque-là épargnées.

« Tous les indicateurs disponibles démontrent une détérioration sans précédent de la situation de la sécurité alimentaire de partout au Soudan du Sud en 2017, »a prévenu l'ONU en septembre dernier. «Le risque de famine est réel. »

Le Programme alimentaire mondial (PAM) estime qu'environ 4,6 millions de Sud-Soudanais feront face à une famine forte en 2017. Les agences humanitaires disent que la détérioration récente de la sécurité contribue directement à ce fléau et met des millions de personnes en danger.

« On a tout fini, même les nénuphars » a dit Nyabany sur sa famille. Lorsque Nyadholi, sa fille de 8 mois, est devenu trop faible, au point de ne plus réussir à pleurer, elle n'a pas eu le choix mais de demander de l'aide.

« Je n'avais pas de lait dans mes seins, parce qu'il n'y avait pas de vraie nourriture », a-t-elle dit.

La mère désespérée et ses enfants se sont alors lancés dans un voyage à pied de six jours vers une base de l'ONU dans la ville de Bentiu, au nord du pays. Ils n'étaient pas les seuls : la base a vu une augmentation de 19 pour cent d'arrivées le mois où Nyabany et sa famille y sont parvenus. La plupart d'entre eux ont cité la faim comme principale raison de leur venue.

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La petite Nyadholi a été traitée pour une sérieuse malnutrition aiguë lorsqu'ils sont arrivés à la base début décembre. Elle a été l'une des quelque 185 000 enfants à recevoir ce traitement dans les 11 premiers mois de 2016, dans le pays.

Le conflit oppose les forces loyales au président, Salva Kiir, contre les soutiens de l'ancien chef d'État et leader des rebelles, Riek Machar. Depuis quatre ans, ce conflit a fait des dizaines de milliers de victimes, a déplacé au moins 3 millions de personnes et a fait s'effondrer l'économie du Soudan du Sud.

La lutte a souvent pris des allures de disputes ethniques : Kiir est un Dinka, alors que Machar est un Nuer. Les deux adversaires ont été accusés d'atrocités par des groupes de défense des droits de l'Homme et par l'ONU : allant de massacres de masse à des viols collectifs ou des violences ethniques. Des villages ont été entièrement brûlés et pillés dans des actes qui s'expliquent aussi économiquement : de nombreux combattants n'ont pas été payés depuis des mois.

« Une famine est une crise politique – ce n'est pas un tsunami. Ça n'arrive pas du jour au lendemain, comme quelque chose qu'on n'aurait pas pu prévoir ou prévenir. »

Tout espoir d'un possible accord de paix s'est évaporé en juillet, lorsque le combat entre les deux camps a fait irruption dans la capitale, Juba. Depuis, le conflit n'a fait que s'intensifier et s'est propagé avec vitesse, ce qui a mené l'ONU à s'alarmer sur la potentialité d'un génocide et l'exacerbation de niveaux « déjà alarmants » d'insécurité alimentaire, aggravée par des chutes du prix du pétrole et par une inflation qui monte en flèche.

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« Les famines ne sont jamais un phénomène naturel, »a expliqué Challiss McDonough, porte-parole du PAM pour l'Afrique de l'est. « Une famine est une crise politique – ce n'est pas un tsunami. Ça n'arrive pas du jour au lendemain, comme quelque chose qu'on n'aurait pas pu prévoir ou prévenir. »

Les prix des aliments ont explosé et la monnaie du Soudan du Sud dégringole. L'inflation est supérieure à 800 pour cent, ce qui rend de nombreux aliments de base hors de prix.

Pour McDonough, la situation est déjà « très mauvaise » : les taux de malnutrition sont au-dessus des niveaux d'urgence dans la plupart du pays, voire y sont deux fois supérieurs dans des états comme Bahr el Ghazal (au Nord) ou encore Unity, où Nyabany habite.

« D'un point de vue objectif, c'est un désastre, »a déploré McDonough. « Au prix d'efforts conséquents, nous avons maintenu la catastrophe à distance pendant quelques temps. Mais les facteurs politiques et économiques qui ont conduit à cette situation ne font qu'empirer. »

Et comme les combats gagnent de nouvelles régions du pays, la faim les suit. Le désastre potentiel atteint de niveaux inédits.

« Il y a un changement significatif ces derniers mois, »a dit Vandana Agarwal, responsable de nutrition pour le Soudan du sud pour l'UNICEF. «Il y a la sécurité alimentaire et la sécurité générale. Elles sont directement liées entre elles. »

Les trois États d'Équatoria illustrent cette interconnexion. Considérée comme le grenier du Soudan du Sud, cette région est proche de la capitale dans la partie sud du pays et avait été épargnée des effets de la guerre civile. Mais lorsque les violences dans la capitale en juillet dernier ont persisté et ont forcé des milliers de civils à fuir, les fermiers ont abandonné leur bétail et leurs plantations. Les routes commerciales ont été coupées et les marchés se sont vidés. Cela pose de graves problèmes d'accès à l'alimentation et pourrait avoir un effet domino sur tout le pays.

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« La nutrition, ce n'est pas seulement la nourriture, » a prévenu Agarwal. « C'est un cercle vicieux et il y a beaucoup de facteurs liés. »

Certains de ces facteurs incluent l'accès aux soins, à l'hygiène et à l'eau potable, par exemple. Tous ceux-ci ont été mis en péril par les combats et par les déplacements. Et il n'y a pas de solution politique à l'horizon : selon l'ONU, les deux belligérants se mobilisent. Les organismes d'aide s'inquiètent, car la situation pourrait bientôt devenir incontrôlable.

À Juba, le corps médical témoigne d'une augmentation alarmante des cas de malnutrition, alors qu'une jeune mère est assise dans la clinique et ajuste un tube d'alimentation qui a été installé sur son fils de deux ans, Denis, peu avant Noël. Il y avait été reçu 12 jours auparavant, sur le point de mourir.

« On n'a pas assez de nourriture, »a-t-elle dit, en demandant l'anonymat pour craintes pour sa sécurité. « Je me demande si mon enfant va survivre. »


_Cassandra Vinograd est une journaliste et productrice _indépendante_. Ce reportage a été soutenu par un don du _Pulitzer Center on Crisis Reporting.