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FRANCE

L’Affaire du « dentiste boucher » : arracheur de dents et chasseur de têtes dans un désert médical français

Il avait été recruté pour remplacer un dentiste de campagne, le hollandais Mark Van Nierop est accusé d’avoir mutilé et escroqué 120 patients entre 2009 et 2012. Au-delà de sa condamnation, ses ex-patients réclament un meilleur contrôle des médecins.
Image via w: Coronation Dental Specialty Group / Wikimedia Commons

Mise à jour, 26 avril 2016 : Le tribunal de Nevers (centre de la France) a condamné ce mardi matin l'ancien dentiste hollandais Mark Van Nierop à 8 ans de prison, suite aux plaintes de dizaines de patients mutilés et escroqués entre 2008 et 2012.

Il était notamment poursuivi pour « faux et usage de faux » et « violences volontaires ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ». Malgré ce jugement, les 85 victimes reconnues par la justice sont toujours en attente d'un dédommagement — que ni Van Nierop ni son assureur ne semblent disposés à leur verser.

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Jusqu'en 2012, la petite commune de Château-Chinon, située dans les collines de la Nièvre (centre de la France), était principalement connue pour son riche passé médiéval ainsi que pour son ancien maire, François Mitterrand, devenu par la suite le premier socialiste à être élu président de la République en 1981.

Mais depuis quatre ans, cette bourgade de 2 100 habitants est régulièrement citée dans les médias locaux et nationaux pour avoir accueilli Mark Van Nierop, un dentiste originaire des Pays-Bas qui est accusé d'avoir mutilé et escroqué 120 patients entre 2009 et 2012.

Après plusieurs mois de cavale et deux extraditions, Van Nierop — de son vrai nom Jacobus Marinus Van Nierop — a comparu devant le tribunal correctionnel de Nevers.

Arracheur de dents et chasseur de têtes

Installé en France en novembre 2008, grâce aux services d'un « chasseur de têtes » lui aussi néerlandais, sollicité par le Conseil régional de Bourgogne, Mark Van Nierop était pendant 4 ans le seul dentiste de Château-Chinon et des alentours.

D'après des témoignages recueillis par le quotidien La Dépêche, Mark Van Nierop était décrit — à son arrivée dans la commune — comme un homme « avenant ». « Belle plaque en cuivre, cabinet moderne. Lui, carrure de rugbyman », détaille encore ce quotidien.

Ses clients n'étaient alors pas au courant de ses précédents ennuis professionnels aux Pays-Bas, où ses soins de mauvaise qualité l'avaient conduit à être radié du registre des praticiens autorisés à exercer dans ce pays.

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Accumulant rapidement les impayés à ses fournisseurs et les plaintes de ses patients, Mark Van Nierop avait été placé sous contrôle judiciaire et soumis à une interdiction de quitter le territoire français au début de l'année 2013. Malgré cela, le dentiste avait pris la fuite en décembre 2013, avant d'être arrêté au Canada, trois mois plus tard. S'en était alors suivie une extradition vers les Pays-Bas, puis vers la France.

Le Collectif dentaire du Morvan — qui rassemble à l'heure actuelle 120 ex-patients de Mark Van Nierop — s'est constitué partie civile dans le procès qui s'ouvrira ce mardi à Nevers. Les patients regroupés réclament la reconnaissance des préjudices subis ainsi qu'une indemnisation financière. Pour certains patients, cette aide devrait surtout servir à réparer des dommages dentaires imputés à celui qui est souvent surnommé le « dentiste de l'horreur » ou « le dentiste boucher ».

« Il m'a arraché huit dents d'un coup ! »

Consultations inutiles, prise en charge de plusieurs patients en simultané, usage de matériel inadapté : les reproches sont nombreux à l'encontre de Mark Van Nierop, qui est surtout accusé d'avoir mutilé plusieurs de ses patients, tout en ayant souvent eu la main lourde sur les produits anesthésiants.

« Toutes les fois, il nous faisait ce qu'il appelait "un petit piqûre" (sic) et on était endormi, lessivé, on avait la moitié de la figure endormie pendant cinq ou six heures », a par exemple raconté à La Dépêche Nicole Martin, présidente du Collectif dentaire et elle-même ancienne patiente de Mark Van Nierop.

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La violence des faits reprochés à ce dentiste se fait sentir à travers la série de témoignages publiée ce lundi matin par le quotidien régional Le Journal du Centre.

« Quand je suis arrivée, il m'a fait sept ou huit piqûres dans les gencives. Et il m'a arraché huit dents d'un coup ! Après ça, j'ai pissé le sang pendant trois jours ! », a ainsi raconté Sylviane Boulesteix, elle-aussi passée entre les mains du dentiste hollandais.

Comme elle, les trois autres patientes qui se sont confiées au Journal du Centre sont des femmes plutôt âgées. Les histoires mentionnent ici un détartrage violent, ici des dents limées, là des dents saines arrachées et d'importantes difficultés à se remettre des « soins » prodigués par Mark Van Nierop.

L'une des ex-patientes, Thérèse Zbinden, a par ailleurs indiqué avoir dépensé 32 000 euros chez ce dentiste depuis 2009. D'autres témoignages abondent dans ce sens, faisant état de factures très élevées ou concernant des soins qui n'ont jamais eu lieu.

Malgré des dommages constatés par plusieurs experts bucco-dentaires, aucune compensation n'a pour l'instant été versée aux anciens patients de Mark Van Nierop, ce dernier ayant été déclaré insolvable et rejeté par son assureur, qui a rompu le contrat qui les liait pour cause de « fausses déclarations » de la part du dentiste hollandais.

Avec l'ouverture de ce procès, le Collectif dentaire espèrait que Mark Van Nierop soit condamné, afin que la demande d'indemnisation collective adressée au Fonds de Garantie puisse enfin être étudiée.

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Déserts médicaux

Avant que Mark Van Nierop ne soit recruté et installé à Château-Chinon, cela faisait deux ans que cette commune — ainsi que les bourgades situées à 20 km à la ronde — n'avaient plus de dentiste en activité.

Cette zone rurale, et plus largement la région Centre, comptent parmi les 192 « déserts médicaux » du territoire français, terme qui désigne ces régions où les médecins partant à la retraite ne sont pas remplacés. Ce phénomène rend de plus en plus difficile l'accès aux soins pour les quelque 2,5 millions de personnes qui y vivent.

Face à ce problème, le ministère de la Santé poursuit depuis décembre 2012 son « Pacte territoire-santé », dont l'objectif est d'inciter les jeunes médecins à s'installer dans ces zones délaissées, tout en regroupant les professionnels dans les 700 « maisons de santé » placées à des endroits stratégiques. Plus de 300 établissements devraient s'ajouter à cette liste d'ici 2017, d'après les annonces du gouvernement.

En France, les déserts médicaux ont ravivé le marché des « chasseurs de têtes », qui facturent jusqu'à 20 000 euros pour trouver et convaincre un médecin de s'installer dans une commune.

En marge de sa lutte pour une indemnisation des préjudices, le Collectif dentaire du Morvan milite depuis 2014 pour un encadrement plus strict du recrutement à l'étranger des médecins, dentistes et autres professionnels du monde médical.

« Il faut très rapidement mettre en place des règles nationales dignes de ce nom », avait déclaré Nicole Martin en septembre 2014, dénonçant ce qu'elle appelait le « dentiste business ».

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Le collectif réclame par exemple des enquêtes systématiques et obligatoires des autorités, portant sur les antécédents et les diplômes des professionnels de santé désirant s'installer en France.


Cet article a été mis à jour le 26 avril avec le jugement rendu.

Image via w: Coronation Dental Specialty Group / Wikimedia Commons

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