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Des étudiants musulmans ciblés par des services du renseignement canadiens

Les espions invitent des membres d’associations étudiantes musulmanes à aller prendre un café.
Image of CSIS sign and RCMP officers.
Image : Wikipedia Commons / Presse Canadienne 

Un étudiant membre de l’association étudiante musulmane de l’Université de Regina s'est fait dire par un ami qu'il arrivait que les membres soient contactés par des agences d’espionnage du Canada.

L’étudiant, qui souhaite rester anonyme, a pensé que son ami était paranoïaque, jusqu’à ce que le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) l’appelle pendant l’été pour l’inviter à une rencontre dans un café, pour discuter.

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L’agent n’a pas voulu lui dire pourquoi et, lorsque l'étudiant a décliné l'invitation, il s’est montré frustré et a raccroché.

« Je me disais, si je dis ou fais quelque chose qu’il n’aime pas? Est-ce que ça va compromettre mon avenir? » a dit l'étudiant.

Il a ajouté avoir passé la semaine suivante à réfléchir à tout ce qu’il avait fait pour y trouver une raison pour laquelle le SCRS voudrait lui parler. Il a finalement conclu qu’il n’avait probablement rien fait pour s’attirer des ennuis, mais l’appel l’a tout de même ébranlé.

« Un appel de l’agence d’espionnage canadienne, on ne prend pas ça à la légère », a-t-il dit.

L’invitation à aller prendre un café est une tactique courante du SCRS, selon Leila Nasr, coordonnatrice des communications au National Council of Canadian Muslims (NCCM). C’est une façon d’obtenir de l’information auprès des jeunes musulmans sur leurs amis ou d’autres membres de l’association étudiante musulmane qu’ils soupçonnent de s’être radicalisés.

Les étudiants musulmans sont « tout le temps » ciblés par les autorités, dit-elle. Au cours des quatre dernières années, le NCCM a traité des cas à l’Université de Toronto, à l’Université de Waterloo, à l’Université York, à l’Université Dalhousie et à l’Université Carleton.

Comme l’a aussi rapporté The Varsity , le SCRS et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sont passés sans prévenir à l’association étudiante musulmane de l’Université de Toronto au cours des trois dernières années, et parfois au domicile de leurs responsables.

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Leila Nasr souligne que les étudiants n’ont jamais à parler aux forces de l’ordre. Le refus de les rencontrer ne pourra jamais jouer contre eux en cour, même s’ils ne sont pas citoyens canadiens.

« C’est tellement décourageant d’apprendre que des étudiants, dont beaucoup ne sont que de passage au Canada pour leurs études, peuvent se sentir tellement surveillés, attaqués presque, alors qu’ils ont une vie normale et n’ont rien à cacher », poursuit-elle.

En réponse à VICE, le SCRS a affirmé que la participation à ces discussions était volontaire et assure que cette approche est « légale, éthique, nécessaire et proportionnelle ».

Les enquêtes du SCRS sur une institution universitaire ou religieuse « sont soumises à des mesures préventives et des exigences supplémentaires, notamment un examen du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité ».

Joel Schindel, de la Canadian Muslim Chaplain Organization, qui travaille avec l’association étudiante musulmane de l’Université de la Saskatchewan depuis dix ans, dit qu’une dizaine d’étudiants lui avaient demandé conseil au fil des ans après avoir été contactés par le SCRS.

Et quand un homme blanc d’âge moyen s’est présenté à la séance d’étude hebdomadaire du groupe, à l’automne 2016, il a décidé de lui parler.

« Il m’a demandé ce que je pensais de la charia et d’Abou Omar al-Baghdadi, se rappelle-t-il. C’était… évidemment étrange, pas authentique. »

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Voulant s’assurer qu’il n’y avait aucun risque, il a suivi l’homme à l’extérieur. Ce dernier s’est tourné vers lui et a dit : « OK, écoute, je suis de la GRC. » Il a ajouté qu’il voulait juste tendre la main à la communauté. « Eh bien, c’est une façon étrange de tendre la main », lui a répondu Joel Schindel.

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Le porte-parole de la GRC en Saskatchewan, Rob King, dit que les agents visitent tous les groupes religieux pour « construire des ponts », mais qu’aucun agent n’avait jamais secrètement visité l’association étudiante musulmane de l’Université de la Saskatchewan.

À l’Université de la Saskatchewan, on dit ne pas être au courant de cet incident.

La secrétaire de l’association étudiante musulmane, Iqra Khan, pense qu'il est regrettable que la police cible souvent les étudiants musulmans alors que ce sont eux qui sont souvent victimes de violence en Saskatchewan.

« Les musulmans ont également peur à Saskatoon, dans notre communauté. [Les autorités] devraient en réalité nous demander comment ils peuvent nous aider à nous sentir plus en sécurité », suggère-t-elle.

Les associations étudiantes musulmanes sont des « sanctuaires » pour les étudiants musulmans qui sont confrontés à l’islamophobie tous les jours, dit Ayesha Chaudhry, professeure agrégée d’études islamiques à l’Université de la Colombie-Britannique. Les bouleverser peut ne pas donner le résultat escompté, par exemple causer « précisément le sentiment d’aliénation qui peut conduire à la radicalisation ».

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Les effets de la discrimination et de la surveillance peuvent changer la perception d’eux-mêmes des personnes marginalisées, d’après Sabreena Ghaffar-Siddiqui, chercheuse en matière d’immigration et d’origine ethnique à l’Université McMaster, qui a interviewé des dizaines de musulmans, dont beaucoup étaient étudiants.

Cette pression peut briser la confiance des jeunes musulmans actifs dans leur communauté, créer un fossé entre les autorités et eux, et amplifier le sentiment d’aliénation de la génération suivante.

Si les forces de l’ordre souhaitent échanger efficacement avec les communautés musulmanes, peut-être pourraient-elles commencer par échanger davantage avec les groupes suprémacistes blancs, estime Ayesha Chaudhry.

« Si les agences gouvernementales prenaient vraiment la déradicalisation au sérieux et voulaient vraiment en comprendre le fonctionnement… alors il y aurait une possibilité pour moi de croire qu’ils font leur devoir », dit-elle.

« Mais je pense qu’ils devront prouver qu’ils sont dignes de confiance. Le genre de comportement qu’ils ont ne me donne pas confiance. »

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