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L'art du combat au hockey

Le hockey est un sport regroupant sur une patinoire une bande d'adultes prête à s'offrir une orgie de violence aussi malhabile que spectaculaire.

Comme j'ai appris à me battre en pratiquant des arts martiaux et appris le hockey de mes parents pacifistes qui adorent les joueurs talentueux et ne tolèrent que les mises en échec les plus civilisées, je n'ai jamais vraiment compris l'intérêt tactique et esthétique des bagarres qui éclatent régulièrement lors des matches de hockey.

Leur place dans le monde du sport me rend perplexe. Comme dit l'humoriste canadien Mike Myers dans ses sketches Coffee Talk, ce n'est ni vraiment du hockey ni vraiment un combat. Les bagarreurs, également appelés goons, sont en patins sur une patinoire, mais ne jouent pas officiellement au hockey. Ils font des gestes que l'on voit dans les sports de combat, mais ce n'est pas officiellement un sport de combat. Ce ne sont pas des combats de rues non plus. Ils existent quelque part entre le monde du sport et le monde réel, entre le sport dans lequel on les voit et les sports qu'ils imitent.

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En plus de leur place, je ne comprends pas bien non plus leur intérêt. Mon éducation m'a conduit à les voir comme une insulte à ce sport sacré en Amérique du Nord et en Russie, comme une grossière façon d'attirer certains amateurs qui n'apprécieront jamais la tactique, la technique et les autres subtilités du hockey, pourtant très importantes dans ce sport.

L'amateur de sports de combat que je suis les trouve ridicules. Bien que des joueurs de hockey ajoutent la pratique d'arts martiaux dans leur entraînement, comme les cours de muay thaï pour améliorer leur équilibre sur patins ou le MMA pour aiguiser leurs réflexes, peu arrivent à faire preuve d'une technique décente. Les coups de poing sont mal synchronisés et mal dirigés. Le jeu de jambes est aussi bon qu'il puisse être dans n'importe quel combat si on le pratique debout, sur des lames et sur une surface glissante, à savoir limité. Quand ces hockeyeurs-boxeurs s'agrippent par le maillot, ils sont touchants comme des gamins encore ceintures blanches au jiu-jitsu. Ainsi, quiconque s'attend à de la technique ou de l'habileté sera déçu.

Mon mari, gardien de but depuis toujours, a passé des années à essayer de me convaincre que je ne regarde pas ces bagarres sous le bon angle. Elles feraient partie d'un jeu psychologique complexe qui leur donnerait une certaine noblesse. D'après lui, elle rapprochent le hockey de la stratégie militaire élaborée pr Sun Tzu, un général chinois, dans son ouvrage célèbre, L'Art de la guerre. Quand mon époux m'a dit ça, j'ai commencé à comprendre ce qu'il voulait dire. mais j'avoue que lorsque je regarde des matches, cette analyse m'échappe totalement, j'ai à nouveau l'impression d'assister à un spectacle absurde et laid.

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Photo Sergei Belski / USA TODAY Sports

Bien que je ne trouve pas les bagarres au hockey divertissantes, je commence à aimer les divertissements relatifs aux bagarres au hockey. C'est par cette voie que je commence à pouvoir reconnaître les parallèles entre les bastonneurs du hockey et les experts des arts martiaux.

La Castagne – film sorti en 1977 relatant le quotidien d'une médiocre équipe de hockey qu'un entraîneur vieillissant tente de redresser – faisait passer les bastons au second plan, mais ses héritiers cinématographiques comme Fight Games font des bagarres et des bagarreurs des éléments centraux à la fois du film et du hockey. Quand le portier Doug Glatt (Sean William Scott) est arraché à son bar pour participer à une ligue mineure, il fait face aux mêmes défis, leçons de vie et enjeux philosophiques que dans Rocky ou Karate Kid. Il y a certes un peu plus de comédie et de beuveries, mais ça reste un film sur la discipline, la gloire, le combat pour soi-même et pour ceux qui nous sont chers, ainsi que la maîtrise nécessaire pour affronter son ennemi dans le feu de l'action.

On trouve aussi ces idées dans les récits autobiographiques des joueurs eux-mêmes. Par exemple, celui de Kris Draper des Red Wings de Detroit racontant le fameux affrontement du 26 mars 1997 contre leur ennemi juré, l'Avalanche du Colorado, publié dans The Player's Tribune le 15 mars 2017.

Mêlant les difficultés de son équipe, son inclination personnelle pour ceux qu'on sous-estime — il l'a lui-même été toute son enfance ainsi qu'à ses débuts dans la Ligue nationale — et le coup de Claude Lemieux qui a brisé, en plus de son visage, l'élan de son équipe au sixième match de la conférence Ouest, Draper décrit le complexe besoin psychologique de se montrer à la hauteur, l'anéantissement que cause la défaite et la soif de vengeance pour restaurer son honneur. Dans ce contexte, il analyse la bagarre, un moment de catharsis essentiel pour donner l'avantage psychologique à son équipe, selon lui, mais jamais il ne lui donne plus d'importance qu'à la partie elle-même.

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Lire aussi : Claude Lemieux, l'incendiaire des patinoires, tiré de notre série "Les truands du sport"

« Exactement 301 jours après que j'ai eu le visage fracassé, mes équipiers m'ont vengé. On était quittes. Mais il y a une chose dont les gens ne se rappellent pas : pour les hockeyeurs, ce soir-là il n'y avait pas que l'affrontement. C'était le soir où on prouvait qu'on pouvait battre l'Avalanche du Colorado au tableau d'affichage, écrit-il. La bagarre, c'était une chose. Mais la victoire ce soir-là a tout changé. Elle nous a permis de croire qu'on pouvait les battre en play-off. On savait qu'on allait les affronter de nouveau en finale de la conférence Ouest. On le savait. »

Il est aussi philosophe quand il parle du rôle de la bagarre dans leur victoire en finale de la Coupe Stanley. Et de leurs victoires suivantes en 1998, 2002 et 2008. « Aurait-on gagné la Coupe Stanley sans cette bagarre, se demande Draper. Peut-être. Mais je sais qu'elle n'a pas nui. »

La bagarre dont il parle est une spectaculaire orgie de violence malhabile, une bagarre de taverne qui explose au milieu d'un groupe d'adultes professionnels sur une surface glacée. À moins que vous soyez poussés par une forme de fascination obscène, matter la vidéo sur YouTube ne vous mènera qu'à de la déception. Il n'y a rien dans ces altercations physiques qui ait de l'intérêt pour les personnes qui tiennent à ce qu'il y ait de l'art dans les arts martiaux. Mais ces mêmes personnes pourraient aussi percevoir l'importance de ces bastons disgracieuses dans le grand ordre des choses. Le combat au hockey n'est peut-être pas du vrai combat, mais il y a un parallèle spirituel entre le bagarreur et le guerrier.

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