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Crime

J'ai infiltré Wall Street et la mafia pour le compte du FBI

Fausses identités et vrais papiers : chacune de mes enquêtes a nécessité des mois et des mois de préparation.

Alex Perez était un fugitif de Floride qui arborait une queue-de-cheval et tout un tas de bijoux. Il n'était pas rare de le voir porter deux ou trois chaînes autour du cou, ainsi que plusieurs bracelets dorés aux poignets. Il tentait de se donner un style de gangster sudiste et conduisait uniquement des voitures de luxe – comme des Mercedes 500 SEL ou des Chrysler Imperial. Sauf que tous ces bijoux avaient été confisqués à des dealers. Et malgré leurs plaques immatriculées en Floride, ces voitures n'avaient jamais dépassé le sud de Brooklyn. Toutes ces choses n'étaient que des accessoires qui aidaient Alex à parfaire son rôle. Tout le monde était persuadé qu'il était l'homme qu'il prétendait être : à savoir un passionné de voitures venu de Floride. Mais en réalité, Alex Perez était un agent du FBI sous couverture. Il a fallu six mois à Marc Ruskin pour mettre au point cette identité fictive. Il était essentiel que son personnage soit à la fois crédible et impossible à démasquer. Ruskin se devait d'être minutieux, tout particulièrement si un caïd de la mafia commençait à se poser des questions. En pénétrant dans l'obscurité de cet enfer glauque qu'est la mafia, où la seule règle qui compte est de ne pas balancer ses pairs, la vie de Marc dépendait de sa capacité à jouer son rôle. Dans son nouveau livre, The Pretender : My Life Undercover for the FBI, sorti le 6 juin dernier, Ruskin raconte en détail la construction des identités qu'il a endossées lors de ses enquêtes, lesquelles se sont entrecroisées sur une période de plus de vingt ans. De Wall Street à la Cosa Nostra, des trafiquants d'armes aux dealers d'héroïne, Marc a passé son temps à bâtir des relations solides avec toutes sortes de criminels. Je l'ai contacté par téléphone pour savoir comment il avait créé le personnage d'Alex Perez, et comment il avait réussi à tenir ce rôle pendant des années.

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Vidéo associée : La vie de policier infiltré au Royaume-Uni


VICE : Vous avez travaillé au FBI pendant 27 ans. À ce titre, vous avez été impliqué dans beaucoup d'opérations d'infiltration. Comment avez-vous créé vos fausses identités ?
Marc Ruskin : Quand on se crée une identité, on doit s'assurer qu'elle ne puisse jamais être démasquée. C'est encore plus vrai de nos jours, car les gens peuvent aller sur Internet et consulter toutes sortes d'archives pour voir si vous n'êtes pas mystérieusement sorti de nulle part. Pour être convaincant, il faut être méticuleux et mettre au point un passé vérifiable, qui remonte aussi loin que possible. Il vous faut des cartes de crédit, des comptes bancaires, un vrai permis de conduire et des cartes Vitale. Des vraies, pas des fausses. Il vous faut un vrai document qui vous soit délivré par le gouvernement sous un faux nom. Si possible, votre compte en banque doit être vieux de plusieurs années, afin de donner l'impression que vous existez depuis longtemps. Pour l'une de vos premières missions, vous avez dû infiltrer une bourse de commerce à Wall Street. Comment avez-vous fait, dans ce cas-là, pour rendre votre fausse identité convaincante ?
C'était dans le cadre d'une enquête sur le marché de la bourse. Il m'a fallu six mois pour développer une fausse identité dans le cadre de cette enquête. Je devais penser à tout : qu'est-ce que ces gens pourraient bien consulter pour vérifier mon existence ? J'ai choisi un personnage originaire d'un pays étranger, pour qu'il soit plus compliqué de vérifier mon identité aux États-Unis. Si j'étais né en Argentine, mon certificat de naissance et mes dossiers scolaires seraient compliqués à trouver pour un New-Yorkais, par exemple. Lors de mes enquêtes, je faisais comme si j'avais vécu dans des villes comme Porto Rico dans ma jeunesse et au début de ma vie d'adulte. Pour rendre mon identité plus crédible, j'avais même un compte bancaire à Porto Rico dont j'ai falsifié la date d'ouverture. Les employés de la banque ont demandé à un de leurs programmateurs de forcer le logiciel pour créer ce compte bancaire, qui donnait l'impression d'être ouvert depuis 12 ans. À New York, j'ai obtenu une carte Vitale et je suis allé ouvrir un compte chèque et un compte épargne dans une banque du quartier. J'ai rempli les formulaires avec toutes mes informations fictives. Le banquier a vérifié tout ça et m'a regardé d'un air bizarre. « Comment se fait-il qu'un homme de votre âge n'ait un numéro de Sécurité Sociale que depuis deux mois ? » m'a-t-il demandé. Je n'avais pas anticipé ça : même si mon numéro de sécurité sociale était authentique, il venait de m'être attribué et, apparemment, ils pouvaient vérifier la date d'attribution. J'ai fini par inventer une histoire bidon : j'ai dit que je venais d'avoir un divorce compliqué et que ma femme avait saccagé mes comptes. Mon avocat avait donc réussi à m'obtenir un nouveau numéro de sécu, histoire que je puisse repartir de zéro. L'employé m'a à nouveau jeté un regard étrange et s'est éloigné, mais lorsqu'il est revenu, tout était en ordre : il a ouvert mon compte. Dans les films, on voit souvent un agent donner à un type infiltré un paquet rempli de tous les papiers qui lui permettront de constituer sa nouvelle identité. Dans la vraie vie, ça a l'air très différent.
Ce paquet est typique des séries TV et des films qui ne font pas trop d'efforts. Au fil des années, le FBI a développé plus d'infrastructures pour fournir de fausses identités, mais même avec tout ceci, il faut passer beaucoup de temps à élaborer une identité spécifique pour une enquête spécifique – identité qui peut interagir avec les cibles que vous cherchez à arrêter. J'ai travaillé sur un coup monté par la police pour attraper une vingtaine de trafiquants d'armes africains, et, pour rendre le scénario plus crédible, je me suis présenté comme une figure de la finance louche habitant en France et ayant des liens avec l'Afrique (mais très peu de liens avec les États-Unis.)
Comme j'étais à Paris, il fallait que j'aie une adresse mail française. Il me fallait des numéros de téléphone français – en plus des adresses mails et des numéros de portable américains. Et il me fallait une vraie entreprise, basée sur Paris, à une vraie adresse. Il vous faut une identité que vous confectionnez sur mesure. Il faut aussi que vous étudiiez les cibles – qui sont-ils, avec qui vont-ils vouloir faire affaire, avec qui sont-ils susceptibles de bien s'entendre ? Vous avez également infiltré la Cosa Nostra. Comment vous êtes vous fait accepter ?
C'était en 2004 et 2005. On s'est attaqué à une famille du crime génoise et à leurs associés. Comme j'avais affaire à de vrais Siciliens, il était hors de question que j'utilise un nom italien : ces mecs auraient su en une fraction de seconde que je n'étais pas l'un des leurs. Du coup, j'ai choisi de devenir une personne avec qui ils auraient envie de faire affaire. J'ai joué sur le côté international. Un autre agent sous couverture à dit aux mafieux qu'il avait un associé travaillant à Paris et à Buenos Aires qui se rendait parfois à New York ; pour cette identité, j'ai mis en place un look sophistiqué. J'ai moins joué sur le côté tape-à-l'œil et bling-bling : en revanche, j'avais une superbe montre de luxe – une Rolex à plus de 12 000 $. Je portais un costume bleu assez classe, ainsi qu'un pull gris, mais jamais de cravate : ça n'aurait pas été approprié avec ces types. Je devais être une personne à laquelle ils pouvaient s'identifier. Quand je les rencontrais, je demandais aux autres agents qui travaillaient sur ce dossier de m'appeler sur mon portable. Je répondais, et les mafieux pouvaient m'entendre m'exprimer dans un français parfait. Puis quand je recevais un autre coup de fil, je braillais deux-trois trucs en espagnol. Je raccrochais et je leur disais que j'étais sur une grosse affaire à Buenos Aires. Comme j'avais passé beaucoup de temps à préparer ce personnage, ce n'était pas très compliqué de prétendre que j'étais cette personne. Pour pouvoir jouer ces rôles sous couverture, il fallait que vous soyez doué en supercherie. Comment avez-vous fait la différence entre mentir et vivre dans le mensonge ? Est-ce que vous êtes resté dans votre rôle en permanence ?
Ma première mission s'est déroulée à San Juan, la capitale de Porto Rico. Dans ma tête, le FBI était une organisation très réglementée et menée d'une main de fer, mais mon superviseur m'a précisé : « Il va falloir que tu mentes pour mener à bien cette mission. » Mais si jamais vous devez mentir de la sorte, ne vous laissez pas emporter : certains dépassent les bornes et se retrouvent à mentir à leur superviseur, à leur famille et à tous leurs proches. Il faut savoir trouver le juste milieu entre vérité et contre-vérité. Très souvent, j'endossais deux ou trois fausses identités en même temps. Quand vous êtes sur une mission sous couverture très importante, vous devez vivre comme le personnage que vous avez créé. Ce n'est pas comme si vous sortiez de chez vous pour voir des mafieux, leur raconter des bobards, puis que vous rentriez en oubliant tout. Il faut que vous viviez une vie qui n'est pas la vôtre. Il faut jouer un personnage différent, avec une identité différente, un passé différent, des traits de caractère différents. Si vous ne faites pas ça, quelqu'un va vous démasquer très rapidement et vous allez avoir de sacrés problèmes.

Pour plus d'informations sur le livre The Pretender de Marc Ruskin, cliquez ici.

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