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Fachosphère

« Génération Identitaire fonctionne comme une agence de pub »

Après l'opération de ce week-end, dans les Alpes, le sociologue Samuel Bouron décrypte la stratégie du groupuscule d’extrême droite : toujours plus de com’ pour tenter de moderniser un discours rance.
Pierre Longeray
Paris, FR
ROMAIN LAFABREGUE / AFP

Pendant le week-end, une petite centaine de militants de Génération Identitaire (GI) s’est mis en tête de « bloquer » la frontière franco-italienne au niveau du col de l’Échelle pour empêcher les migrants d’entrer France. Équipés de doudounes bleu ciel floquées « Defend Europe », les militants ont déployé un filet de chantier orange sur une centaine de mètres ainsi qu’une banderole sur laquelle on pouvait lire en anglais « Frontière fermée. Vous ne ferez pas de l’Europe votre maison. Rentrez chez vous ! » – un obstacle donc insurmontable. Ce lundi, ils ont remis ça en faisant un rapide tour d’avion de tourisme pour « surveiller » la frontière.

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GI, la section jeune du groupe xénophobe à tendance fascisante Bloc Identitaire, n’en est pas à son premier coup de com’. Cet été, GI avait affrété un bateau – le C-Star – pour repousser les embarcations de migrants en Méditerranée – une opération qui avait vite tourné au fiasco. En 2014, ils avaient investi les métros de plusieurs villes de France pour des « tournées de sécurisation » menés par des groupes « antiracaille » habillés en jaune fluo. En 2012, ils s’étaient aussi fait remarquer en montant sur le toit de la mosquée de Poitiers pour déployer une banderole « Souviens-toi de Charles Martel ».

Ces happenings, le sociologue Samuel Bouron les connaît bien, puisqu’il avait infiltré GI (quand le mouvement s’appelait encore « Jeunesses identitaires ») alors qu’il était étudiant en doctorat. Pour Vice, le maître de conférences en sociologie à l’université Paris-Dauphine décrypte la stratégie de communication de GI.

VICE : Quel regard portez-vous sur l’action menée par GI ce week-end ?
Samuel Bouron : Soyons clairs : arrêter des migrants à la frontière n’est pas leur objectif premier, puisqu’ils savent qu’ils n’y arriveront pas. L’objectif est de faire un coup de com’. Et ce n’est pas nouveau. Un des premiers happenings des Identitaires remonte à 2010 avec « l’apéro saucisson-pinard ». À l’époque déjà, ils savaient que l’apéro avait toutes les chances d’être interdit – potentiellement pour trouble à l’ordre public. L’objectif n’était donc pas que l’apéro ait lieu, mais qu’on parle d’eux. Ils voulaient construire un problème public pour créer la perception d’une invasion d’immigrés et contre laquelle ils s’érigeraient en « héros » qui protégeraient nos territoires. Ce week-end, ils ont remis ça.

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Peu importe, donc, que leur « mission » fonctionne ou non ?
La réussite de l’action est secondaire. Pour eux, l’enjeu est de parvenir à diffuser leur façon de penser. Vous savez, il y a plein de happenings qui ne durent que très peu de temps – si bien que les gens sur place ne les remarquent parfois même pas. Ils restent quelques secondes, simplement le temps de prendre une photo ou une vidéo. Ils ne cherchent pas à avoir un effet sur place. Il s’agit simplement de la production d’un objet de communication.

Comme un shooting photo en somme ?
Exactement. La comparaison est bonne parce qu’il y a quelque chose de très commercial dans leur démarche. Ils agissent à la manière d’une agence de publicité qui essayerait de promouvoir un produit – sauf qu’ici il s’agit d’idées xénophobes. Dans ces happenings, il y a une volonté de plaire au plus grand nombre, de faire quelque chose de propre, de « sexy ». Cela peut en surprendre certains parce que l’on associe généralement l’extrême droite – qui porte une idéologie réactionnaire qui viserait à rétablir un ordre ancien – à quelque chose de dépassé, de vieillot, de ringard. Mais chez GI, ils essayent de promouvoir ces idées par des outils relativement modernes. En gros, ils font les jeunes, mais avec de vieilles idées.

Quel message essayent-ils de faire passer avec ces coups de com’ grand public ?
Ils font croire qu’ils offrent leurs services au public. En résumé, ils viennent se substituer à l’État dans ces différents happenings, et à chaque fois leur discours c’est de dire : les conditions de sécurité ne sont pas remplies, donc on va nous-mêmes assurer cette sécurité. Dans le cas de ce week-end, ils prétendent que l’État ne parvient pas à sécuriser les frontières donc ils se proposent de le faire.

Leur communication paraît relativement travaillée. Comment expliquer cela ?
Premièrement, c’est un aspect essentiel de leur activité militante. Ils veulent faire quelque chose de pro et ne pas paraître trop amateur dans la com pour être pris au sérieux. Ils savent que c’est une des conditions pour que des journalistes, ou autre, diffusent leur communiqué et leurs images. Puis, plusieurs leaders de GI travaillent eux-mêmes dans le secteur du web ou de la communication. Ils savent faire de la com’, ce sont des spécialistes. D’ailleurs, un débouché possible après une « carrière » à GI, c’est de travailler dans la communication politique au service de mairies FN par exemple.

Est-ce que les happenings comme celui de ce week-end ont une influence sur l’opinion publique ?
C’est ce qu’ils souhaitent en tout cas. Mais les travaux de sociologie de la réception montrent que les effets sont beaucoup plus limités que ce que l’on pense. En réalité, ces coups de com’ n’ont que très peu d’effet sur les personnes qui ne partagent pas leurs convictions. En revanche, ils permettent de mobiliser autour d’eux des personnes déjà convaincues et qui seraient plutôt allées vers le Front national ou affiliés. Puis cela permet de les installer politiquement. Enfin, certains éléments de langage de GI peuvent être repris et circuler dans l’arène médiatique. Par exemple, le « racisme anti-blanc » qui a été largement promu par les identitaires avait été repris par Jean-François Copé, alors secrétaire général de l'UMP.