Le chef qui changeait le pâté-croûte en or

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Le chef qui changeait le pâté-croûte en or

Dans la boutique de Yohan Lastre, orfèvre en charcuterie, le pâté est traité avec les mêmes égards qu'une pierre précieuse.
Alexis Ferenczi
Paris, FR

Il est très difficile de ne pas trouver immédiatement sympathique un mec qui taille ses rillettes en forme de cochon. En cuisine, c’est un peu l’équivalent d’un bon mot. Yohan Lastre a tout d’un chic type.

On l’avait croisé une première fois lors du festival Omnivore. Il y avait retracé son parcours, de sa formation de cuisinier dans le Gard à son passage dans les cuisines des plus grands palaces et restaurants – le Ritz, le Grand Hôtel ou la Tour d’Argent en tant que sous-chef. « Ça ouvre les yeux sur beaucoup de choses », disait-il.

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Et puis on avait vu le public qui l’écoutait jusque-là religieusement se ruer sur son pâté en croûte 100 % légumes un peu comme la vérole sur le bas clergé.

Le 8 mars 2017, on l’avait recroisé lors d’un « fucking dinner » organisé par le festival sus-mentionné au restaurant Botanique. Alors que le PSG se faisait étriller par 11 Catalans et un arbitre allemand, on avait noyé larmes et chagrin dans le fameux « pâté-croûte » du chef et quelques cochonneries adjacentes. Un « fucking » lot de consolation en gros.

Ça, c’était avant d’aller le voir, quelques jours plus tard, dans sa boutique, Lastre sans apostrophe, rue de Grenelle à Paris. Avec sa compagne, Marion Sonier, il a ouvert cette épicerie fine il y a presque deux ans. Au milieu des œufs mimosas, il raconte comment le pâté-croûte est devenu son terrain de jeu.

« J’en ai fait pour la première fois au Café de la Paix, quelques mois avant mon arrivée à la Tour d’Argent », se rappelle Yohan. « C’est le chef [Laurent Delarbre] qui en avait fait et qui m’avait inspiré. J’ai tout de suite demandé à un pote une recette de pâte et j’ai fait mon premier pâté en croûte comme ça. On l’a même mis au menu du déjeuner. Il y avait du gibier en strat’, du foie gras et de la truffe. C’est à ce moment-là que j’ai découvert le concours. »

Lastre est persuadé que sans cette victoire, il ne serait encore aujourd’hui qu’un simple chef au milieu d’autres chefs

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Le concours en question, c’est le championnat du monde de pâté-croûte qui se déroule chaque année depuis 2009 à Tain-l’Hermitage dans la Drôme – l’équivalent d’une Champion’s League (mondiale) pour cette institution de la cuisine française. S’y pressent même des chefs japonais et américains. En 2012, Lastre participe et remporte la prestigieuse compétition. Un élément déclencheur.

« Je me suis rendu compte qu’on pouvait arriver avec la pièce déjà finie – contrairement à d’autres concours. Du coup, on a travaillé 9 mois sur le pâté. Je l’ai cuit 2 jours avant », raconte-t-il. La bête fait saliver : cochon, poulet, canard, veau, lapin, pigeon, foie gras, gras de porc et alcool de sapin.

La veille de l’épreuve, il passe la nuit dans le frigo de la Tour d’Argent pour travailler sur une pâte congelée. « Cette année-là, le niveau technique a atteint des sommets », se rappelle Eric Desbordes, précédent lauréat, dans Le Progrès. « Certains candidats ont même parfois trop misé sur cet aspect-là, au détriment du goût. »

Lastre est persuadé que sans cette victoire, il ne serait encore aujourd’hui qu’un simple chef étoilé au milieu d’autres chefs étoilés. Et souligne aussi qu’il n’aurait jamais réussi à présenter son chef-d’œuvre sans les talents de Marion, ébéniste de formation. « C’est grâce à elle qu’on a pu faire quelque chose de visuellement sympa. »

On s’est aperçu qu’il y avait pas mal de points communs entre la cuisine et l’ébénisterie. Quand Yohan taille les légumes à la mandoline, c’est un peu comme quand je passe mon rabot.

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« Elle a fait le ‘design’ de tous mes pâtés », poursuit Lastre. « Ce matin, on en a fait un 100 % poisson avec du calamar, du haddock et de la lotte. Marion a mis 400 écailles sur la pâte. J’ai la chance d’être avec une femme qui fait à peu près tout ce qu’elle veut avec ses mains. »

« On s’est aperçu qu’il y avait pas mal de points communs entre la cuisine et l’ébénisterie, approuve Marion. Quel que soit le produit, un légume, un fruit, une viande ou du bois, on travaille pour arriver à une pièce unique et les gestes se ressemblent énormément. Quand Yohan taille les légumes à la mandoline, c’est un peu comme quand je passe mon rabot. »

Coïncidence, l’histoire du pâté en croûte (ou pâté-croûte pour les Lyonnais) commence à peu près au même moment qu’apparaissent les premières techniques d’ébénisterie ; au Moyen-Âge. Hacher la viande puis l’enrober dans de la gelée et de la pâte – qui n’est pas jugée comestible à l’époque – c’est d’abord une méthode utilisée pour rallonger sa durée de vie.

De moyen de conservation, le pâté-en-croûte devient progressivement un élément prisé des grands chefs – peut-être parce qu’il met en valeur tout un tas de techniques complexes allant de la charcuterie à la pâtisserie. Peut-être aussi parce qu’il est assez malléable pour que chaque région ait sa propre recette ; du pâté en croûte strasbourgeois à celui de Pézenas ou du Berry.

L’ultra frais, c'est le top. Et le pâté en croûte qui a entre 12 et 24 heures, c'est le meilleur

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Lastre se distingue avec des pâtés « frais » dont la composition varie avec les saisons. Son discours reste celui d’un chef : « Le pâté c’est un canevas. On peut faire de l’assemblage, jouer sur la couleur et les épaisseurs. Ici, on essaie de mettre en valeur des choses qui sont ‘basiques’ et qui nous plaisent. Je fais des associations ; poulet, citron, estragon pour avoir un peu de fraîcheur et d’amertume. Mais on fait aussi des poireaux vinaigrettes, de la fougasse de Saint-Mamert ou de la tête de cochon. »

« La chose la plus importante et sur laquelle on axe notre production, c’est la fraîcheur. Le pâté ne dépasse pas trois jours. Normalement, la charcuterie doit toujours un peu maturer. Mais on s’est rendu compte que l’ultra frais, c'était le top et que le pâté en croûte qui a entre 12 et 24 heures, c'est le meilleur. »

Un pâté-croûte – quand il n’est pas présenté en concours – demande généralement 4 jours de travail ; entre la pâte, le désossage, la marinade et les bouillons. « Quand on fonce un pâté en croûte façon Richelieu ça va être un poil plus compliqué. » Pour Marion et Yohan, l’instant le plus chiant reste les soudures. « Il y a certaines étapes qu’il ne faut absolument pas rater. Et s’il y a une fuite, t’es mort… »

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Mais le jeu en vaut la chandelle. Et les clients ont l'air ravi de tomber sur des pâtés en croûte de compétition. « Ça suscite clairement des réactions, souligne le couple. On a eu des gens qui ont commencé à parler du pâté en croûte que faisait leur grand-mère. On leur dit : 'Envoyez-nous vos vieilles recettes et on vous la fait !’. »

Alors que Chikara Yoshitomi, a remporté l'édition 2017 du championnat du monde, le 4 décembre dernier; Yohan savoure le chemin parcouru : « On est encore très loin d’avoir fait le tour de ce qu’on veut faire. Peut-être qu'il y a des choses qui nous manqueront un jour. Mais là, on prend du plaisir au quotidien dans tout ce qu’on fait. »