Le jour où j’ai retenu une trentaine de personnes en otage
Courtois durant son enfance. Photo publiée avec son aimable autorisation

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Crime

Le jour où j’ai retenu une trentaine de personnes en otage

En 1985, le braqueur Georges Courtois organisait un gros coup médiatique au tribunal de Nantes – il est revenu avec nous sur son histoire et sa haine de la justice.

Il est environ 10 h 30 en ce jeudi 19 décembre 1985. Le palais de justice de Nantes voit s'ouvrir le deuxième jour du procès en assises de Georges Courtois, 36 ans, et de Patrick Thiolet , 24 ans, pour le braquage du Crédit Agricole de Sucé-sur-Erdre, au nord de Nantes. Cela fait deux heures que les débats ont repris et l'avocat général, Philippe Varin, prononce son réquisitoire contre Courtois. Derrière ses lunettes et ses moustaches, celui qui risque 20 ans de prison paraît moins impliqué, plus soucieux, plus nerveux que la veille, alors qu'on lui reprochait de s'être octroyé 18 000 francs sans être passé par un conseiller clientèle. Comme s'il attendait quelque chose ou quelqu'un. Tandis que le réquisitoire touche à sa fin, des bruits et des cris se font entendre dans la salle des pas perdus. Deux coups de feu sont tirés. La confusion s'installe dans la salle d'audience. Chacun se demande ce qui peut venir troubler cette mécanique judiciaire bien huilée quand la porte, située derrière les jurés, s'ouvre brusquement, laissant apparaître un homme vêtu d'un imperméable beige et arborant des lunettes noires. Il est armé d'un calibre 38 et d'une grenade dégoupillée. Il s'agit de Karim Khalki, un marocain de 35 ans, tout juste sorti d'une peine de cinq ans de prison pour le braquage d'une agence postale. Il menace le président et demande aux policiers et gendarmes présents dans la salle de déposer leurs armes. Thiolet, qui encourt une peine de 10 ans, et Courtois, sautent du box, récupèrent les armes et menacent à leur tour les magistrats et le public. Ils font évacuer une partie de l'assemblée. Une trentaine de personnes est retenue en otage tandis que les deux accusés s'enchaînent au président, Dominique Bailhache, et à l'avocat général.

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32 ans plus tard, Georges Courtois, désormais « paisible retraité », a toujours cette haine de la justice et de ceux qui l'incarnent, qui le caractérisait déjà lorsqu'il a décidé de passer à l'action. « Moi, j'étais contre les juges », m'a-t-il expliqué lors de notre rencontre. « Les conditions de détention, je ne m'en foutais pas – mais ce n'était pas mon problème. Mais les agissements de ces gens-là qui m'énervaient. » À l'époque, Courtois ne comprenait pas que l'on puisse mettre une peine de 10 ans de prison à « un violeur patenté » alors qu'il risquait 20 ans de réclusion pour braquage. Il a tenu à le faire savoir en montant une opération médiatique avec une hypothétique fuite comme bouquet final, plutôt que de fomenter une évasion dans les règles de l'art.

Pendant plus de deux ans, il a échafaudé son plan avec sa femme Chantal et Karim Khalki. « De début 1983 à fin 1985 », précise l'homme aux 36 ans de prison, dont les mains et les avants bras tatoués en sont encore les témoins. « Le problème, c'est qu'il ne faut pas lâcher la rampe. Des mecs qui m'avaient fait des promesses dans le genre, j'en ai rencontré je ne sais pas combien. Tu ne les revois plus jamais une fois qu'ils sortent. Ce que je comprends. À un moment c'est devenu plus compliqué parce que Karim est parti un an à l'Île de Ré, à la centrale. » Les deux hommes se sont connus à la maison d'arrêt de Nantes, quelques années plus tôt, au moment où le natif de Fès attendait son jugement. Sa sortie est prévue une vingtaine de jours avant le procès. « Il fallait donc que tout soit quasiment en place parce que le mec a seulement trois semaines, il ne va pas se mettre à courir. J'ai des gens qui s'en sont occupés avant qu'il ne sorte. »

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De surcroît, Courtois n'a pas vu sa femme depuis presque trois ans. « Comme je ne voulais pas aller voir le juge, il ne voulait pas me délivrer de permis de visite. » Il lui faut donc passer par des tierces personnes pour communiquer, ce qui augmente les risques d'ébruitement et d'échec. « Mais ça s'est bien passé et on a pu mettre le show en place sans trop de difficultés. » Chantal commande auprès d'un homme – que l'on présume être Michel Ardouin – afin de se procurer des armes. « C'est un mec que je connaissais bien quand j'habitais à Paris. Je fréquentais tous ces mecs-là. C'était quasiment des supermarchés. » Khalki, lui, est chargé de les réceptionner. « Il n'y avait plus qu'à attendre le jour J puisque j'avais les dates de comparution », précise le Nantais. La veille, premier jour du procès, grâce à des gens présents dans la salle, celui qui se rêvait en ingénieur a la confirmation que son complice se présentera bien le lendemain matin. « Le 1er jour, il a fallu se rendre compte du dispositif de police, qui était assez important. Il y avait des poulets partout, des CRS tous les 10 mètres avec des fusils, des mecs sur les toits, ça craignait quand même. Pour venir de dehors et pour rentrer là-dedans, c'était pas évident. Il m'a fait savoir qu'il était venu voir, que tout allait bien et qu'il allait se présenter à l'heure dite. »

En début d'après-midi, Courtois apparaît sur les marches du palais. Menotté au président du tribunal, il prend le temps de s'allumer une cigarette, 357 Magnum et grenade à la main.

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Dès le début, Courtois demande à son avocat Maître Taupier de sortir pour demander à la police de faire venir des journalistes et des caméras de télévision. Moins d'une heure plus tard, c'est chose faite. Une équipe de France 3 entre dans la salle. Les premières images sont diffusées dans les journaux télévisés de 13 heures, offrant une vision assez surréaliste d'un prévenu en costume cravate noir, en train de parler aux jurés et de leur demander ce que ça leur fait d'être en position d'être jugés à leur tour. « Notre but n'est pas de faire du mal à qui que ce soit, y compris vous, Monsieur le président, y compris le procureur de la République. Notre but, il est simple, on est ici, on est prisonniers, on est pris en otage comme vous l'êtes […] on intervient et on s'en va. On fait notre travail. »

Quasiment au même moment, le RAID, créé deux mois plus tôt sous l'impulsion du commissaire Robert Broussard et dirigé par le commissaire Ange Mancini, débarque sur les lieux pour sa première intervention. Peu de temps après, Courtois, toujours devant les objectifs, réclame un autocar conduit par un chauffeur qu'il connaît, tandis que Philippe Varin, l'avocat général, demande aux forces de l'ordre de ne pas intervenir. Les tireurs d'élite du RAID rejoignent sur les toits environnants ceux du GIPN de Rennes arrivés plus tôt dans la matinée, alors que l'avocat de Courtois fait entrer un téléphone dans la salle afin que les hommes d'Ange Mancini puissent mettre en place ce qui va devenir leur marque de fabrique, la négociation. À 17 heures, la quinzaine d'étudiants en droit et trois journalistes présents depuis le début de la prise d'otage sont relâchés. En échange Broussard et Jean Chevance, le préfet de Loire-Atlantique, entrent dans la salle d'audience. Ils y restent une dizaine de minutes. Environ dix personnes sont encore retenues par Courtois, Thiolet et Khalki. À la tombée de la nuit, les caméras de France 3 rentrent de nouveau dans la salle et c'est ce dernier qui prend la parole. Sa patience a des limites, et il le fait savoir en menaçant de se tuer à grand renfort de grenades.

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Le vendredi en fin de matinée, les négociations reprennent et avant midi, tous les otages à l'exception des trois magistrats et du substitut du procureur sont libérés. La greffière ayant été libérée dans la nuit. Le consul du Maroc à Rennes, Mohammed Lasfar, qui a fait le déplacement, promet à Khalki que celui-ci serait extradé hors de France s'il venait à se rendre. « En fait, ils avaient négocié avec lui son départ pour une destination de son choix sans qu'il ait à la révéler. Alors, il a négocié ça avec Broussard et le consul général du Maroc, ça a été mis en place, soi-disant, et effectivement quand ils nous ont ramenés en prison deux jours après, il n'était pas là. Ils l'ont gardé de 20 heures à 2 heures du matin, c'est-à-dire qu'il a fait une garde à vue abusive finalement. Soi-disant qu'ils attendaient un avion du Bourget mais à la place est arrivé un arrêté d'expulsion pour le Maroc. Sinon, c'était la prison en France. Il n'a pas voulu retourner là-bas et ils lui ont mis 20 ans aussi ! »

En début d'après-midi, Courtois apparaît sur les marches du palais. Menotté au président du tribunal, il prend le temps de s'allumer une cigarette, 357 Magnum et grenade à la main. S'ensuit un échange de coups de feu et l'une des balles vient se loger dans l'objectif de la caméra d'un journaliste de la BBC. « Il m'a écrit d'Angleterre et m'a dit qu'il avait acheté la caméra à la BBC et l'avait posée sur sa cheminée. C'est son Beyrouth à lui, c'est tout ce qui lui sera arrivé dans sa vie à ce pauvre mec. » Il fait demi-tour. La deuxième tentative, quelques minutes après, est la bonne. Après avoir vérifié que la voie était libre, il s'engouffre dans un Renault Espace mis à disposition, suivi par ses deux complices, magistrats au bout des chaînes. La voiture démarre, conduite par un des otages. Elle est directement prise en chasse par le RAID et le GIPN. Le convoi s'arrête à la gare, Courtois toujours enchaîné au président Bailhache, descend et se dirige dans la salle des consignes pour y récupérer un sac chargé d'armes. La police n'intervient pas. L'Espace repart, toujours suivi par la police et prend la direction de l'aéroport de Château Bougon. Une fois sur place, les fuyards font face à une grille fermée, la police ayant anticipé une fuite par les airs. En échange de son ouverture, ils libèrent deux otages, ne gardant que le président.

Après plus de cinq heures de négociation sur le tarmac, cernés de toutes parts, ils relâchent enfin celui-ci et se rendent après 36 heures de suspens. Patrick Thiolet sera finalement condamné à 14 ans de prison alors que pour Georges Courtois, jugé en 1988 pour cette affaire, la sanction tombe : 20 ans. L'addition est salée pour le multirécidiviste qui, en plus du braquage de Sucé-sur-Erdre, doit aussi mettre la main à la poche pour cette sortie médiatique de plus de trente heures. « 1,08 million de Francs de l'époque. Ils ont voulu tout me faire payer. Le kérosène des avions du RAID, le traiteur… J'ai demandé une facture détaillée parce qu'avec moi ça ne marche pas comme ça. Ils me l'ont envoyé et elle finissait, je m'en souviendrai toujours, par un ouvre-bouteille à 3,40 francs, un truc du genre, et je vois aussi une soirée discothèque du RAID : 2 000 francs. Là, j'ai dit non. Ils sont allés faire la java à ma santé dans une boîte de nuit, ces empaffés. Je leur ai écrit pour leur dire que je ne paierai ni des vacances, ni des soirées à la police et qu'ils auraient 0 franc. »

Courtois a finalement bénéficié de la prescription de sa dette et coule aujourd'hui des jours heureux à Quimperlé, après avoir notamment purgé une dernière peine de prison pour une tentative avortée de braquage d'un château en Touraine.