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Droit dans ses bottes

Traire des chèvres pour éviter la prison

Alors qu'un rapport préconisant le recours aux Travaux d'Intérêt Général est remis ce lundi 5 mars au gouvernement, Vice a visité une ferme qui accueille des condamnés de Seine-Saint-Denis. Attention, choc des cultures.
Image : Les Fermiers de la Francilienne 

Les prisons françaises tirent la gueule. Avec un taux d’occupation de 142 % en moyenne, les maisons d’arrêt sont au bord de l’explosion et pourtant, l’année dernière, les Travaux d’Intérêt Général (TIG) n’ont représenté que 7% des peines prononcées par la justice. C’est justement pour augmenter le recours à cette sanction alternative qu’un rapport officiel est remis ce lundi 5 mars au ministère de la Justice. Il préconise la création d’une « Agence des TIG » pour que toutes les entreprises ou associations souhaitant accueillir des « tigistes » - comme on dit dans le jargon – puissent se faire connaître. Une initiative salutaire car ces Travaux d’Intérêt Général ont des effets bénéfiques, notamment sur la réinsertion des condamnés. La preuve avec l’association les Fermiers de la Francilienne, qui accueille près de 400 « tigistes » par an depuis sa création en 2014.

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Située à Villetaneuse, cette « ferme pédagogique » forme une improbable tache verte de cinq hectares au milieu des barres d’immeubles environnants. Alors que les tours se détachent dans l’ocre du soleil déclinant, on croise Moustapha, jean à la mode et les pieds dans la boue, en train de nourrir des cochons : « je viens ici pour « faire mes heures ». Et aussi pour découvrir », raconte-t-il. C’est son troisième jour chez les Fermiers de la Francilienne et s’il n’a pas changé de pantalon, il a déjà troqué ses sneakers pour des bottes en caoutchouc : « j'ai pris trois et quatre mois de prison ferme pour des délits routiers qui se sont mutés en 130 heures de TIG ». C’est au juge que revient la décision d’adapter ou non la peine et Moustapha se félicite d’avoir eu cette chance : « je suis commerçant. Partir en prison plusieurs mois, ça voulait dire perdre mon emploi… ».

« Ici, on n’achète rien. La nourriture qu’on récupère nourrit les animaux…mais aussi les hommes » - Julien Boucher, fondateur des Fermiers de la Francilienne.

Comme Moustapha, la plupart des « tigistes » passés par les Fermiers de la Francilienne viennent des banlieues environnantes. Ils y trouvent un moyen d’éviter la prison, mais bien souvent, aussi, l’occasion de remettre un pied dans le monde du travail légal…après des années de deal ou d’économie souterraine. « Quand je suis arrivé, on m’a pris pour un fou, confie Julien Boucher, le fondateur de l’association. Aujourd'hui, on est les premiers partenaires des Services Pénitentiaires d'Insertions et de Probation (SPIP) du 93 ». Sur le parvis du corps de ferme, il pointe du doigt un camion qui s'engouffre dans la cour. « C'est de la nourriture récupérée qu'on nous amène. On n’achète quasiment rien et ce qu'on récupère nourrit les animaux…mais aussi les hommes ». Ici, tout le monde – vaches, chèvres, moutons, poules, « tigistes », bénévoles et fermiers – est logé à la même enseigne. Le repas du midi, compris dans les heures de TIG, fait ainsi partie du package. Et l’ambiance gaucho-écolo, limite décroissante, est complètement assumée, comme l’explique Julien Boucher : « Quant il s’agit de courtes peines, la prison ne sert à rien. Au contraire, elle crée des délinquants et coupe du monde extérieur. Nous, on prend des punks, des « no future », des jeunes qui pensent ne pas avoir d'avenir et on essaie de leur montrer qu'on peut vivre autrement, que tout n'est pas que consommation ».

Le choc des cultures est parfois rude : « C’est un peu chelou de bouffer des pizzas qui sortent des poubelles, non ? », s’interroge Alexandre, 22 ans, perplexe devant la part qu’on lui tend, issue du fameux camion ramenant de la nourriture « récupérée ». Affamé par sa matinée aux champs, il en croque tout de même un morceau et ajoute : « remarque, c’est pas dégueu… En plus, c’est gratuit ». Une petite révolution pour Alexandre qui, de son propre aveu, n’avait « à la base, pas grand chose à foutre de l’écologie » avant d’être condamné à effectuer des heures de TIG aux Fermiers de la francilienne : « Pour moi, c’était juste un délire de riche… Mais quand je vois comment ça fonctionne ici, je me dit qu’il y a plein de choses à faire qui ne coûtent pas grand chose, comme lutter contre le gaspillage alimentaire, par exemple ».

« En arrivant, j’ai vu une ferme et j’ai pensé : quel putain de rapport avec des TIG ? » - Samir, 21 ans, « tigiste ».

Cette prise de conscience écolo, c’est justement l’un des buts de l’association. Ce qui, au départ, déroute un peu les « tigistes ». A l’image de Samir, 21 ans : « en arrivant, j’ai vu une ferme et j’ai pensé : « quel putain de rapport avec des TIG ? ». J’ai été condamné pour violence alors, j’étais persuadé que j’allais me retrouver à balayer les rues… Alors qu’ici, j’ai kiffé grave. Pour la première fois de ma vie, j’ai l’impression de me lever le matin pour faire quelque chose d’important ». En riant, il raconte comment il y a perdu sa phobie des vaches – et son déclic écolo : « avant, le tri des déchets, ça n’était pas franchement ma priorité… Mais depuis que j’ai commencé à la Ferme, j’ai compris l’importance de ce genre de trucs. Et depuis, je l’explique à tout le monde ! ». Sa peine touche à sa fin et pour un peu, il le regretterait presque : « pour une fois, j’ai eu l’impression que l’Etat et la Justice m’ont donné une chance, une opportunité de me racheter, mais aussi une vraie aide ». Cette année, Samir espère décrocher son bac pro. Une révolution car depuis plusieurs années, il avait décroché et complètement perdu la motivation d’y retourner un jour. C’est aussi ça, l’« effet TIG ».