Émotion : après une semaine d'enregistrement par -15°, Julien Pras retrouve l'usage de ses doigts
Photo - Julien Dupeyron

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Émotion : après une semaine d'enregistrement par -15°, Julien Pras retrouve l'usage de ses doigts

On a profité de cette bonne nouvelle pour discuter avec lui de son excellent nouvel album « Wintershed » et de ce qui l'avait amené à l'enregistrer dans une usine sans chauffage.

A quoi bon prendre une guitare acoustique et sortir un disque folk quand on arrive après Bob Dylan, Neil Young et Elliott Smith ? Parce que certains n'ont pas le choix et parce qu'à défaut de tuer les fascistes, cette machine en bois parvient encore à sortir des disques pertinents, porteur de sens et surtout d'une profondeur qui manque à tant de projets poussés sur le devant de la scène à grands renforts de hype préfabriquée et de sponsors hasardeux. C'est le cas de Wintershed, troisième album solo de Julien Pras, hyperactif de la scène indie française, passé par à peu près tous les styles impliquant une guitare (pop chez Calc ou Pull, stoner chez Mars Red Sky) en réussissant à chaque fois à éviter la case « chiant. »

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Noisey : À une époque je donnais des cours de guitare et je ressentais parfois un sentiment de culpabilité comme si je faisais sortir ces gamins du droit chemin parce qu'ils commençaient à sécher les cours et jouer dans des groupes. Toi, maintenant que tu as un long parcours derrière toi, tu repenses à ce moment où tu t'es dit : « J'aurais aimé ne pas faire de musique et avoir suivi un autre chemin » ?
Julien Pras : Complètement. Heureusement je ne me le dis pas tous les jours. Ce ne sont pas forcément des regrets. Mais je repense souvent à cette période où je déchiffrais les tablatures de Nirvana et Metallica, c'était une période très formatrice. J'ai fait un groupe avec mon frère quand j'avais 13 ans et à partir de là plus rien d'autre ne comptait. J'étais tellement obnubilé que j'ai négligé tout le reste. J'ai longtemps mis ça sur le compte de ma timidité qui est là depuis que je suis tout petit mais je pense que l'obsession pour la musique m'a mis dans une bulle et coupé du monde extérieur. Je n'étais pas si timide en fait, j'avais des potes, je faisais du skate avec mes voisins… Mais une fois apparue mon obsession pour la musique, plus rien d'autre n'a compté…

Ton éducation était stricte ? La musique était une façon de te rebeller ?
Mon père vient toujours me voir en concert, il me filme depuis que je suis ado. Quand j'étais jeune ça me gênait mais c'est marrant de revoir tout ça aujourd'hui. Mon grand-père était militaire, mon père avait gardé cette rigueur là. Il travaillait chez Ford et on s'est installé dans la banlieue de Detroit pendant deux ans, de mes 8 à mes 10 ans. Avec mon frère, on a découvert la câble, le fait d'avoir plus de six chaînes. On regardait MTV qui n'existait pas en France, et tout le hair metal, Guns' N Roses, Poison et puis Metallica qui a tout changé pour nous. Je rêvais d'avoir des santiags. On se faisait des guitares en carton [Rires]. Mon père nous faisait aussi écouter Vangelis, Ennio Morricone, ce sont des souvenirs très forts. On a eu une éducation stricte mais ouverte, en somme.

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Le côté très arrangé/orchestré de ton disque peut se rattacher à ces souvenirs ?
Oh oui, j'ai toujours adoré ça. J'avais une compilation des Beach Boys en K7, que j'écoutais sans cesse. Quand on est revenus en France, je me suis pété le bras en jouant au foot et je me suis mis à la guitare à ce moment là.

Tes influences sont très anglo-saxonnes, ce mythe américain tu ne t'en es jamais détaché ?
Non, mais des fois c'est presque comme une gêne. Un peu comme avouer qu'on aime aller au McDo. A chaque fois que je vais aux États-Unis, j'ai l'impression d'être chez moi, ce qui est un peu absurde car je n'y ai pas passé tant de temps que ça. J'y suis allé l'an dernier en tournée avec Mars Red Sky et cette fascination est toujours intacte.

Je te demande ça car tu nages un peu à contre courant par rapport à toute cette pop française très en vogue actuellement. Je ne sais pas si c'est la meilleure grille de lecture, mais on passe d'une visée un peu internationale à un repli sur soi parfois un peu inquiétant, qui ne touche pas que la musique d'ailleurs mais la société en général.
J'ai toujours été à côté de la plaque niveau modes et tendances. Ce côté chauvin me gêne un peu. Surtout quand il se double d'une sorte de second degré un peu méprisant. L'autre fois j'ai vu cette chanteuse qui fait tout comme Véronique Sanson [Juliette Armanet], c'est hallucinant. Après peut-être qu'elle est sincère, je ne sais pas.

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On ne critique pas les groupes américains qui font du Dinosaur Jr. Donc finalement pourquoi s'en prendre aux chanteurs français qui refont du William Sheller ?
Oui c'est sûr. Je ne suis pas très à l'aise avec tout ça quand même. Quand je faisais Calc il y a 15 ans, on chantait en anglais et c'était super underground parce qu'il y avait les quotas radio. Et puis Cocoon est apparu et c'est devenu acceptable de chanter en anglais, même si c'était avec un accent à couper au couteau. Avec ma copine, on regarde The Voice et je suis étonné car tous les candidats chantent en anglais, du Rihanna, du Sia. Je suis un peu perdu je t'avoue [Rires].

Quand as tu commencé à travailler en solo ?
En fait, j'avais ce faux groupe, Victory Hall, avec lequel je faisais des disques que je gravais à 10 exemplaires pour mes potes. Je voulais faire un truc qui ressemble le plus possible à Guided By Voices. Ensuite j'ai monté un « vrai » groupe, et j'ai joué sous mon nom mes morceaux solo, à partir de 2008-2009.

Tu me parles de « faire du Guided By Voices ». J'ai l'impression que tu as besoin d'un cahier des charges stylistiques pour créer, comme avec Mars Red Sky qui est un groupe stoner…
Oui, j'en ai besoin c'est sûr mais dans le cas de Mars Red Sky c'est un peu différent car à l'origine c'était juste le batteur Benoit et moi. On voulait juste jouer ensemble. Lui il sortait d'un groupe math rock, moi j'ai ramené ma Big Muff, on voulait juste faire simple. Mais bon il y avait quand même une sorte de dogme. Tu as raison, j'ai besoin de compartimenter je pense.

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Il y a eu des sacrés péripéties avec Mars Red Sky, entre les tournées dans les Pays de l'Est et ce voyage au Brésil qui arrive quand on vous refuse l'entrée sur le territoire américain. Tu aspires à un peu plus de tranquillité maintenant ?
Oui c'est sûr, mais en même temps je serai prêt à repartir n'importe quand avec Mars Red Sky. Il y a des moments durs, on a beaucoup de choses à gérer à notre niveau de notoriété et à l'approche de la quarantaine ça tire un peu. Mais je ne vais pas me plaindre, j'ai retiré énormément de ce que j'ai fait avec Mars Red Sky. On a failli jeter l'éponge quand l'ancien batteur est parti. Mais on a été rejoints par Matt, l'ancien batteur de Headcases, et depuis c'est vraiment un effort collectif et ça se passe super bien.

Ce disque solo a été enregistré pendant une coupure de chauffage si j'ai bien compris ?C'est presque ça. En fait, on a enregistré dans un lieu en hiver qui n'avait pas de chauffage, facteur qu'on n'avait pas vraiment pris en compte [Rires]. A l'origine je devais sortir un album collaboratif avec Emily Jane White, une copine à moi. Et puis j'ai continué à écrire des morceaux solos, je compose tout le temps. Un ami, Léonard, m'a proposé de produire le disque. Initialement on voulait faire quelque chose de très dépouillé. On n'a jamais trouvé de lieu satisfaisant donc on a investi des bureaux désaffectés, dans lesquels Léonard répétait. Il y avait une entreprise de levage à côté, il fallait enregistrer dans les moments de calme, où les ouvriers ne gueulaient pas. On a fait le disque en deux sessions pendant l'hiver 2015. Les morceaux à la base avaient cette teinte un peu nocturne, onirique et ces conditions d'enregistrement ont accentué ça. Je jouais avec les doigts gelés, en attendant que le silence se fasse dans le lieu. J'aime bien entendre le lieu dans un disque, comme sur Either/Or d'Elliott Smith par exemple. Tout n'est pas aseptisé, il reste de la vie.

Brian Wilson, Elliott Smith, tu as des modèles plutôt torturés…
Je n'ai aucune fascination pour ça. Peut-être plus jeune comme tout le monde. Ça fait partie de l'inconscient collectif, ce côté romantique de l'artiste torturé. Pour avoir cotoyé des gens qui allaient mal ou avoir eu moi même des problèmes concrets, cette fascination me met presque en colère. Je ne trouve rien de marrant ou attirant dans la maladie mentale, la dépression, l'alcoolisme. J'ai lu un livre récemment sur Elliott Smith écrit par une sorte de psychanalyste un peu bidon qui essaie de comprendre son destin tragique. C'est assez parlant car le morceau préféré de l'auteur est un de ceux que je déteste le plus d'Elliott Smith « Kings Crossing ». Et il y a très peu de ses morceaux que je n'aime pas [Rires]. Bref, en tous cas, Elliott Smith est tombé dans ce piège. Jusqu'à un certain stade, il ne trichait pas, il est allé aux oscars avec un smoking trop grand, à son frère, qui ne lui allait pas. Mais le fait de d'être mal, bourré, en souffrance ne peut pas être considéré comme un gage d'authenticité ou pire de coolitude.

Aujourd'hui c'est plus aseptisé ceci dit, et la musique n'est plus peuplée que de professionnels, à quelques exceptions près…
Quand je vois les groupes d'aujourd'hui, ils sont prêts à tout et n'importe quoi, ils ont une approche hyper carriériste et ça convient à tout le monde, là où il y a dix ans on les aurait traité de vendus. Je ne veux pas dire qu'il n'y a que le punk qui compte et qu'il faut dire non à tout, hein. Mais il y a peut-être un juste milieu. Quand je monte sur scène, souvent je me bloque, je n'arrive pas à parler, même dire bonjour et on me le reproche. Je dis souvent à Jimmy, le bassiste de Mars Red Sky « je ne suis pas un acteur ». Il se fout de moi et il a raison parce quand tu es musicien tu es un acteur. Bon je me contredis là. [Rires]

On va essayer de boucler la boucle de la première question : alors es tu triste parce que tu joues cette musique, ou est-ce que tu joues cette musique parce que tu es quelqu'un de triste ?
La mélancolie de ma musique n'est pas volontaire. Je peux avoir cette image de mec triste qui se plaint sur sa guitare mais avec ce disque j'espère être plus dans le spleen que dans la dépression. C'est pour ça que ce côté hivernal me plait. J'adore Codeine, je regardais un live de 1993 sur YouTube hier, et je me disais « putain j'espère que je ne dégage pas cette impression là ». « Sadcore », j'espère vraiment pas ressembler à ça. Wintershed est disponible depuis ce vendredi 27 octobre chez Yotanka. Julien Pras sera en concert le 6 décembre à Paris, au Point Ephémère, en solo et avec Calc, aux côtés de Tahiti 80, Jil Is Lucky et Xavier Boyer. Adrien Durand est sur Noisey.