Ce type veut installer une ferme à cannabis dans un bunker de l'OTAN
Photos : Dirk Bruniecki

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Drogue

Ce type veut installer une ferme à cannabis dans un bunker de l'OTAN

Avec cette idée pleine d'audace, Christoph Rossner veut devenir le plus gros producteur de cannabis médical d’Allemagne.

Cet article a été initialement publié sur VICE Allemagne.

« OK, on a pour projet de faire pousser de la weed, mais travailler ici ne sera pas une sinécure », assure Christoph Rossner, en me guidant vers l'entrée d'un bunker antiatomique déserté, posé au milieu de l'Allgäu (une région du sud de l'Allemagne).

De 1956 à 2003, le bunker était rattaché à la base militaire de Memmingen, depuis laquelle l'OTAN prévoyait de tirer des missiles nucléaires au cas où la Guerre froide tournerait au conflit ouvert. Le bâtiment est aujourd'hui abandonné, mais plus pour longtemps. Rossner, un entrepreneur de 47 ans, veut le transformer en la première plantation de cannabis d'Allemagne – et compte bien collaborer avec le gouvernement bavarois pour réaliser son projet.

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L'une des nombreuses portes qui ferment hermétiquement chaque pièce.

Depuis mars 2017 en Allemagne, il est possible d'acheter légalement du cannabis à usage médical avec une ordonnance. Rossner veut profiter de cette nouveauté pour devenir le plus gros producteur légal de cannabis du pays. Ses ambitions ne relèvent pas d'un délire de grandeur – la légalisation pourrait bien avoir créé un énorme marché. L'Observatoire des drogues allemand (le DBDD) indique qu'en 2015, près de cinq millions d'Allemands ont fumé du cannabis au moins une fois dans l'année – sans compter tous ceux qui ne voulaient pas l'admettre.

L'abri antiatomique que Rossner veut réhabiliter est une structure quelque peu intimidante. Il s'étend sur 50 mètres de long et 15 de haut, et la ventilation lui donne un air de forteresse médiévale. « Je pense que nos plantations seront en sécurité ici », glisse Rossner dans un sourire.

Christoph Rossner marche dans l'un des couloirs qui mènent à la principale serre.

En ouvrant une des énormes portes – 175 tonnes d'acier trempé, huit mètres de large et un mètre d'épaisseur – un grognement mécanique et puissant vient troubler la quiétude du lieu. On enchaîne sur une autre porte, avant d'atteindre la serre principale. Les hypothétiques futurs employés de l'entreprise de Rossner – la Bunker PPD – devront laisser leurs sacs et vêtements dehors, enfiler une salopette et faire scanner leurs empreintes digitales. Le gouvernement allemand a mis au point ces mesures pour éviter que du cannabis quitte illégalement le lieu de production.

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On passe devant une ancienne centrale radio, vestige de la Guerre froide. Le plafond au-dessus de nos têtes est fait de béton renforcé – sur cinq mètres d'épaisseur. Dans cet espace exigu, l'ambiance est suffocante. On se surprend parfois à courber l'échine tellement le plafond semble bas.

La ferme de Rossner va être le théâtre d'une étude sur les effets de différentes variétés de weed, afin notamment de développer des normes qualitatives pour chaque variété. L'université technique de Munich et l'université de Colombie Britannique, installée à Vancouver au Canada, mèneront cette étude.

Pendant cette étude, Rossner espère pouvoir fournir de la weed à 150 patients. Si l'étude et la production de marijuana sont approuvées par l'Institut fédéral pour les drogues et les services médicaux et le Conseil fédéral des stupéfiants, Bunker PPD pourrait commencer à vendre de la weed dès mars 2018.

À gauche, Christoph Rossner au milieu de sa future ferme cannabique. À droite, une ancienne centrale radio.

Rossner est convaincu des vertus thérapeutiques de la weed. Quand il avait 18 ans, son épaule gauche a été réduite en miettes à cause d'une poutre en acier. Il s'est mis à fumer pour faire passer la douleur. Aujourd'hui, il continue de fumer. La seule différence, c'est qu'il achète désormais légalement sa weed. « Au cas où tu te poses la question, je suis défoncé en ce moment même », admet-il.

En 1994, la Cour constitutionnelle fédérale allemande a légalisé la possession de petites quantités de cannabis (entre cinq et dix grammes, en fonction de la région allemande concernée). À la fin des années 1990, Rossner a profité de l'augmentation de la demande pour monter un dispensaire illégal, fréquenté par une clientèle composée de patients atteints de cancers ou d'arthrose. Mais finalement, la police est venue le trouver. En 2000, il a été condamné à deux ans et un mois de prison. Il est finalement sorti au bout de cinq mois, complétés par quatre mois de thérapie.

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En cas de coupure de courant, Rossner peut compter sur quatre générateurs qui fonctionnent au diesel.

Maintenant que la weed à usage médical est légale en Allemagne, les autorités estiment que le pays va avoir besoin de deux tonnes de weed par an d'ici 2021, afin de fournir équitablement les patients. De son côté, Rossner considère que les autorités sous-estiment largement le nombre de potentiels fumeurs maintenant que la weed est légale. Il évalue la demande à 12 tonnes de weed par an.

À gauche, l'un des couloirs du bunker. À droite, l'un des nombreux dessins laissés par les soldats.

On continue de descendre plus profond dans la crypte. Tout semble avoir été abandonné. Il reste seulement quelques dessins de soldats. On passe devant une salle remplie de coffres de la taille d'un conteneur. Ici, des chimistes vont essayer de cloner des variétés de cannabis extrêmement puissantes. Le four industriel, qui trône juste à côté, servait à détruire des matériaux toxiques à l'époque des militaires. Il servira désormais à brûler les surplus de cannabis – une exigence du gouvernement allemand.

Un espace qui sera réservé au stockage de l'une des 80 variétés de weed développées dans le bunker.

Rossner sait que la route sera encore longue avant que sa petite entreprise décolle. En sortant du bunker, il me confie que ses avocats préparent une plainte contre l'Institut fédéral des drogues. L'agence exige des potentiels producteurs de weed à usage médical qu'ils puissent prouver avoir déjà fait pousser, traiter et expédier au moins 50 kilos de weed au cours des trois dernières années. Sachant qu'il était illégal de cultiver de la weed en Allemagne jusqu'à présent, Rossner ne comprend pas pourquoi le gouvernement s'attend à ce quiconque ait fait ça.

L'abri nucléaire de Rossner.

En attendant que les autorités approuvent son plan, Rossner surveille du coin de l'œil ses concurrents. Aux États-Unis, nombre d'entreprises américaines rachètent systématiquement de plus petits producteurs – une dynamique qui pourrait bientôt s'appliquer au marché allemand. Si son labo n'existe pas encore, et qu'il n'a toujours rien à vendre, Rossner m'assure qu'il ne se fera pas racheter. Il veut faire ça à sa manière, dans son abri antiatomique.