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Musique

John King est votre meilleur pote : il écrit sur les hools, les punks et Chelsea

John King écrit les meilleurs livres que vous pourrez lire sur tous ces sujets dont vous aimez discuter avec votre meilleur pote.

photo : Sylvain Levene

Si vous avez un tant soit peu d’intérêt pour les trucs importants, John King pourrait être votre meilleur pote – celui avec lequel vous parlez de football, de tribunes, de punk-rock, de littérature, de politique, celui que vous appelez systématiquement quand arrive le vendredi soir et qu’il est temps d’aller boire des pintes, parce qu'il n'y a rien de mieux à faire pour commencer un week-end. De fait : John King est votre meilleur pote. Mais John King a sans doute un truc en plus que votre meilleur pote : il écrit les meilleurs livres que vous pourrez lire sur tous ces sujets dont vous aimez discuter avec votre meilleur pote.

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Ce mec connaît mieux les sous-cultures britanniques que n'importe qui, et sait surtout les raconter mieux que n'importe qui. Si je devais résumer ma relation à cet auteur, je dirais en gros que je sais que je peux compter sur lui. Depuis Football Factory, son premier roman, qui mettait en scène des hools de Chelsea, ce type ne m'a jamais déçu. Top boy. Le suivant, La Meute, reste d'ailleurs un de mes romans préférés de tous les temps. Pour situer, je dirais que ces deux bouquins sont un peu l'équivalent en littérature des deux premiers albums de Cockney Rejects, des classiques honnêtes et violents qui résistent à l'épreuve du temps.

Dans Skinheads, son dernier livre, on évolue à nouveau au milieu de ces éléments qui font un bon John King : un milieu défini par des codes forts et une histoire de groupe aux prises avec la vie, le tout ponctué de full english breakfast et de beaucoup de bière. Il est visiblement en pleine forme, et avait même l'air d'apprécier la France quand on s'est rencontrés à Paris il y a de ça deux mois. Je me suis rendu compte qu'en plus d'être putain de drôle, ce type était d'une extrême gentillesse. England Belongs to John King.

Les supporters de Chelsea circa 1984

VICE : Vous avez fait des fanzines quand vous étiez plus jeune je crois.
John King : Ouais, un petit peu. J'ai participé à un fanzine de Chelsea, le Chelsea Indepedent, à la fin des années 1980, début des années 1990. Et à un autre, toujours Chelsea, CFC-UK. Et j'ai fait brièvement, à la fin des années 1980, un petit fanzine qui s'appelait Two-Sevens, ça date déjà un peu… Enfin, les fanzines m'ont toujours intéressé, ça remonte au punk-rock pour moi, à la fin des années 1970.

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On vous présente toujours comme un auteur dont le background se définit par les sous-cultures : punk-rock, football, hooliganisme, skinheads, pubs, etc. C'est le cas ?
Oui, complètement. La musique m'a toujours intéressé, évidemment. J'ai eu mon premier disque de punk en 1976, j'avais 15 ans. Je me disais déjà, cette musique parle de l'Angleterre et de ma vie. Je ne trouvais évidemment pas cette sensation dans les livres, et puis à cet âge-là, je ne lisais pas beaucoup, c'est venu plus tard. Le punk est une part très importante de mon éducation. Ça m'a donné un point de vue différent sur les choses qui m'entourent et ça m'a familiarisé avec l'éthique DIY – faire ce que tu as envie de faire, etc.

C'est le punk-rock qui vous a emmené à 1984 d'Orwell ? Vous parlez souvent de ça.
Je ne me souviens plus tellement de comment j'en suis arrivé à lire Orwell. C'était peut être suite à une interview de Joe Strummer, c'est possible. En même temps, Orwell était déjà présent chez Bowie, au début des années 1970, dans Ziggy Stardust et Diamond Dogs, il parle de Big Brother. Quoi qu'il en soit, je n'étais pas un grand lecteur avant la fin de mon adolescence. Et puis j'ai découvert Orwell, et aussi Alan Sillitoe, qui a écrit Samedi soir, Dimanche matin, et La solitude du coureur de fond. Samedi soir, Dimanche matin m'a beaucoup impressionné, c'était dingue cette langue des Midlands, quasi-vernaculaire, cette écriture oralisée.

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Vous lisiez aussi les pulps de Richard Allen à cette période ?
Oui quand j'étais gamin, je lisais ça. D'une certaine manière, mon Skinheads est une réponse aux livres de Richard Allen. Oui, quand j'avais 10 ou 11 ans, au début des années 1970, tout le monde lisait ces pulps. Ça a dû se vendre à des millions d'exemplaires.

Vraiment ? Je croyais que c'était relativement underground.
Non, non, c'était massif, les gamins lisaient tous ça. Après quand tu lis le livre, bon, c'est plein de trucs vraiment crades écrits par un homme d'age mûr.

Il y a aussi un personnage appelé Hawkins dans votre Skinheads.
Oui, c'est-un clin d'œil. Comme je le disais, Skinheads est un peu une réponse aux livres de Richard Allen, dont le personnage principal est vraiment horrible.

Stewart Home avait choisi de caricaturer le style d'Allen, de le détourner.
Oui, avec Slow Death, tout ça. Il reprend tous les codes, la manière de parler et d'écrire, et il y injecte ses trucs. Très drôle, très intelligent.

Le football revient tout le temps dans vos livres, aussi. Ça a pas mal changé depuis que vous vous y intéressez j'imagine, ça vous plaît toujours autant ?
Oui, j'adore le football. Bon, c'est effectivement plus du tout la même chose. Les gros clubs de Premier League, comme Chelsea dont je suis supporter, ont vraiment beaucoup changé – à cause de l'argent évidemment. Ça donne une gentrification au niveau du public. Je ne vais quasiment plus jamais au stade maintenant, c'est très cher et il faut rester assis comme un robot, etc. Cela étant, je reste un fondamentaliste de Chelsea.

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Photo : Cara Spencer

Un moment dans Skinheads, vous faites dire à un personnage, sans doute pour faire écho à 1984, que changer le sens que l'on peut donner à quelque chose, c'est changer sa réalité. C'est ce que vous essayez de faire avec ce roman ? Changer l'image du mouvement skinhead, lui rendre sa réalité en quelque sorte ?
Eh bien… Ce que j'essaie de faire, déjà, c'est confronter ce mot à son évolution historique, montrer des skinheads différents, d'autres éléments. Mon histoire intègre des personnages qui appartiennent à trois générations différentes, et chacun représente un truc différent. Et le skinhead est une figure sur laquelle il y a une forme de consensus : tout le monde déteste les skinheads, on trouve finalement assez peu de nuances. Donc ce que je voulais faire, c’était séparer les skinheads d'une certaine image d'extrême droite, déjà. Et les intégrer dans mon univers fictionnel.

Mais vous en jouez de cette image, de ce stérétotype. À un moment, les personnages projettent d'enlever un type et pensent à une mise en scène : le séquestrer dans un garage dont les murs seraient couverts de drapeaux Combat 18.
Oui, ils jouent aussi avec les stéréotypes, ils jouent avec les peurs.

J'ai trouvé ça assez drôle.
Oui, c'est censé être une blague. Et je voulais que mes personnages jouent avec ces clichés. Ray, l'un des personnages, lit 1984 et partage le point de vue d'Orwell. Il y a un passage où il s'en prend à des dealers d'origine asiatique ; lorsque la police lui demande s'il les a vraiment traités de « Pakis », ce qui n'est pas le cas, c'est tout un engrenage qui se met en marche.

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Nutty Ray veut changer son image. Il n'aime pas qu'on l'appelle comme ça par exemple, ça lui rappelle son passé de cogneur alors qu'il se veut rangé des bagnoles.
Oui, il essaie d'être un mec bien, il voudrait changer, mais tu sais, les gens sont ce qu'ils sont, ils changent un peu, mais pas trop. Il reste un peu immature, il essaie pourtant, il essaie fort, mais bon, il y a parfois un moment où il ne peut pas s'empêcher. C'est l'antithèse de Terry qui est détendu et jovial, un mec vraiment cool. Ils n'écoutent pas la même musique non plus, n'ont pas grandi à la même époque, Terry c'est la fin des années 1960, c'est toujours plus joyeux que le thatchérisme qu'a connu Ray, chômage massif, beaucoup de colère.

Ça pourrait être vos potes ?
Oui, bien sûr.

Vous avez toujours joué avec les stéréotypes.
Oui. Dans tous mes romans, c'est une donnée importante. Dans Human Punk, le personnage principal est un punk, mais pas ce que l'on pourrait appeler un « fashion punk ». C'est un punk dans sa manière de concevoir le monde. Comme moi en fait. Je suis un punk. Je ne m'habille pas comme un punk. Mais c'est ce que je suis. Et il est plus ou moins clair que les punks ne s'habillent pas comme des punks.

Sinon, Tommy Johnson fait une petite apparition dans Skinheads. Il va bien en ce moment ?
Oh mon Dieu ! Tommy, putain, qu'est-ce qu'il peut bien faire en ce moment ? Il doit avoir pas loin de cinquante ans déjà, ça passe vite ! Ah, ah ! Oui c'est marrant de le recroiser, de le faire revenir. Facelift est là aussi. En tout cas, il suit toujours Chelsea. Oui, il est toujours à fond sur Chelsea. D'une manière générale, tous mes livres ont un lien avec l'ouest de Londres, c'est connecté en terme d'espace, il peut arriver qu'ils fréquentent les mêmes lieux, mes personnages peuvent se croiser. Dans Human Punk, on connaît déjà l'existence de Estuary Cars qui est la compagnie de taxis que l'on retrouve ensuite dans Skinheads. J'aime bien faire ce genre de trucs, je trouve ça assez marrant, en fait.

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Et vous n'avez jamais voulu faire de vous même un personnage à part entière ? Genre le type qu'ils croisent au pub, qui est écrivain.
Moi ? Non, pas vraiment. Évidemment, vous mettez toujours pas mal de vous-même dans vos personnages. Et à ce titre, dans Human Punk, Joe est celui qui me ressemble le plus.

Certains passages de vos livres m'ont fait penser à Paul Weller, par exemple. Je pense à Down in the Tube Station at Midnight, en particulier, au rythme du truc.
Oui, je recherche ça effectivement, des images rapides, des enchaînements. Et puis, bon, tu as cette histoire en tête, il faut l'écrire quoi, et tu ne peux pas t'arrêter. Et puis, Down in the Tube Station at Midnight est vraiment… On chantait cette chanson en allant aux matchs. J'écoute des disques de punk-rock quand j'écris. J'ai l'impression que j'écris plus vite. Ça me met dans une humeur différente, aussi.

Vous parlez des Cockney Rejects dans le bouquin, j'adore ce groupe. Ils supportent West Ham, non ?
Oui, West Ham. De toute façon, je pense que l'on ne peut pas faire un livre comme celui-là sans mentionner les Cockney Rejects. Ça va bien au-delà du football.

Y’a aussi la guerre comme thème récurrent dans vos livres, vous y faites souvent référence.
Les gens de mon âge ont grandi avec l’idée de la guerre. La ville a longtemps porté les marques des bombardements. Mon père était trop jeune pour avoir fait la guerre, mais quand j'avais 14, 15 ans, j'allais avec lui au pub et il y avait ces mecs qui étaient là, qui avaient fait la guerre, c'étaient vraiment des héros. Et le dimanche, à l'heure du dîner, il y avait cette émission, « Le monde en guerre », une série de documentaires sur la seconde guerre mondiale, et après ça c'était « Le grand match », une émission sur le foot, les équipes de Londres. Au bout du compte, ce n'est pas très difficile de comprendre le lien, dans le hooliganisme des années 1970. Tous les gosses regardaient d'abord des images de guerre, ensuite de football.

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Sinon, il y a un truc que je me demandais en vous lisant, vous pensez que c'était mieux avant ?
Tu veux dire, la vie ? En règle générale ?

Oui.
Euh… non, pas vraiment. C'était différent.

À vous lire, c'est un peu l'impression que vous donnez, parfois.
Euh… Non, je crois pas, les choses changent, c'est ni mieux, ni moins bien. Je crois que la société est beaucoup moins violente aujourd'hui. Mais je ne suis pas nostalgique, d'un point de vue personnel. Après, c'est vrai, c'est une honte que l'argent ait pris cette place, que ça ait cet impact sur les rapports entre les gens. La musique a changé énormément, est partie dans plein de directions, ce qui est une bonne chose. Le football, bon, là, c'est directement lié à l'argent… Ça a changé, oui. Après pour répondre à ta question, je ne crois pas à la légende « du bon vieux temps ».

Et vous êtes d'accord avec Ray lorsqu'il dit que le Royaume-Uni devrait quitter l'Union européenne ?
Ah ouais, parfaitement. À 100 % d'accord. Je ne vois pas le progrès dans l'UE. C’est une idée démodée. La machine de propagande européenne nous envoie sans cesse des messages du type : « C'est le futur, c'est comme ça que ça se passera. » Ça m'énerve vraiment beaucoup. C'est une centralisation du pouvoir, ce n'est pas du tout un progrès. C'est pourri. Le progrès serait justement de le décentraliser, de le rendre plus proche de chaque citoyen. Et l'euro n'est pas un gage de stabilité, c'est n'importe quoi. On est face à des bureaucrates qui font une politique régressive.

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Je voulais aussi parler de votre maison d'édition, London Books. Vous avez réédité pas mal de trucs, vous pouvez m'en parler un peu ?
J'ai commencé il y a quoi maintenant… quatre ou cinq ans, en gros. J'ai commencé avec un autre auteur, Martin Knight [ndlr, l’auteur de Hoolifan et de The Special Ones, sur les fans de Chelsea]. On voulait rééditer des bouquins qu'on avait découverts et qui n'étaient plus disponibles depuis des dizaines d'années. Tous ces livres ont un lien avec Londres, la classe ouvrière et le socialisme. Ils ont été écrits il y a des années, certains dans les années 1930, mais restent absolument modernes. C'est en quelque sorte une alternative aux fictions « londoniennes classiques ». C’est DIY, « on fait tout nous-mêmes, on ne gagne pas d'argent avec ça, ça permet de faire tourner le truc, mais on ne dégage pas d'argent. »

Un label de punk-rock, en fait.
Voilà. Exactement. Et on est très contents d'avoir « ressuscité » des super auteurs. On a dans l'idée de balayer un peu toutes les époques pour faire comme un grand portrait de Londres.

OK. Je me demandais, vous connaissez le manifeste du skinhead situationniste ?
Ah non, mais ça doit être un truc pour Stewart Home ça !

C'est marrant que vous disiez ça, je crois qu'il l'a en partie traduit en anglais. C'est un texte vraiment bien, c'est drôle.
Ah OK. Je regarderai. Tu connais Stewart ?

Pas personnellement, non.
C'est un mec super, un punk ! Et c'est un génie ce type, il est vraiment drôle. On se croise parfois, on n’est pas à proprement parler des amis, mais on aime bien se croiser, ses livres sont vraiment très drôles. Et il a une collection de disques incroyable.

Il a pas beaucoup été traduit en France.
Ah ouais ? C'est dommage. Je pense qu'on va peut-être faire un truc avec lui sur London Books. Si on a l'argent, on le fera. Toujours l'argent !

Plus de littérature anglaise : 

IAIN SINCLAIR

LE FÉCALOSAURE, de John Moore