
Quel genre de personne déserterait son poste pendant deux jours, fuyant le plafond gris qui recouvre Paris depuis des mois pour se réfugier dans un car de luxe presque vide fonçant en direction de l’Espace Killy ? N’importe quelle personne sensée, si vous me demandez mon avis.
La dernière fois que j’ai mis les pieds à Val d’Isère, je servais des sodas-glaçons – la rondelle de citron était en supplément – à des jeunes adultes en quête de frissons, de fromage fondu et de coups d’un soir. Cette fois, j’allais simplement voir comment Sosh avait pris possession de la Folie Douce et avait transformé cet antre de la pré-soirée savoyarde en temple dédié à la grande famille de la glisse.

Arrivé devant le restaurant d’altitude, je me suis frayé un chemin parmi les danseuses en talons, les éphèbes torses-nus à ailes d’anges ou de démons, les yétis et la jeunesse anglaise en zentai qui semblait avoir délaissé ses skis depuis un bon moment : j’ai rejoint Samuel, Matthias et Maxime du team Sosh, qui mangeaient une potée de chou avec Pierre. Avaler des légumes bouillis assortis de différentes viandes grillées en regardant des danseuses professionnelles était sans doute une activité digne d’intérêt mais la tablée a préféré quitter les lieux et s’engouffrer dans la Vallée Perdue, une série de virages serrés engoncés entre de hauts pics rocheux. L’équipage a foncé tête baissée, évitant les pierres affleurant sous la neige et traversant les tunnels de cargneule, ne s’arrêtant que le temps de shooter une photo d’action.
La station de ski fermée, j’ai enfin posé mes sacs dans l’appartement qui hébergeait le skateur et les deux riders de BMX de Sosh ainsi qu’une poignée de personnes non identifiées puis on a rejoint le reste de l’équipe qui nous avait donné rendez-vous de nuit, sur les pistes de ski. Une fois devant le fait accompli, impossible de faire demi-tour : le piège s’était refermé sur nous. Un moniteur de ski équipé d’une frontale nous a remis à chacun une paire de raquettes, passage obligé vers le campement où nous attendaient un feu de camp, une soupe chaude, une yourte et de la fondue. Au cours de la pénible ascension, plusieurs blogeurs mal équipés ont chuté, certains égarant même leurs sneakers dans l’épais manteau neigeux.

C’est réunis autour d’un caquelon d’abondance que nous avons appris qu’Arthur Longo, un autre rider du team Sosh, venait de remporter la deuxième place d’une compétition qui se tenait à quelques pas d’ici. Nous l’avons donc rejoint dans les tréfonds d’un club savoyard où les gouttelettes de sueur quittaient en rythme les fronts et les aisselles de leurs propriétaires pour atterrir dans les verres à moitié vides de clients peu regardants.
Le lendemain, dans la zone VIP de la Folie Sosh, les lunettes de soleil étaient de rigueur : le soleil brillait derrière l’écran géant qui diffusait des photos de Matthias donnant le bras à des femmes âgées. Ce repos n’était pas du goût de tout le monde et nous avons repris la piste. Quand je me suis réveillé, j’étais seul dans l’appartement : tout le monde avait déjà mis les voiles pour New York, les Pyrénées ou San Diego. Je me suis levé, j’ai regardé le miroir et j’ai pensé : « Ils ont vécu au sens fort du terme, et ne se sont pas contentés d’exister. » Puis j’ai fait mes bagages et salué ce lieu qui, l’espace de quelques jours, avait été habité par la folie.