Comment le téléphone a changé ma vie de condamné à mort

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Comment le téléphone a changé ma vie de condamné à mort

Après avoir tué deux personnes, George Wilkerson a passé dix années dans l'isolement le plus complet, jusqu'à l'arrivée d'une cabine téléphonique.

Un prisonnier utilise un téléphone dans la prison d'État de San Quentin, en Californie. Photo de David Paul Morris/Bloomberg via Getty Images.

Cet article a été publié en collaboration avec The Marshall Project.

La mort est un soulagement. Attendre son arrivée pendant des années sans personne avec qui discuter, c'est ça le vrai cauchemar.

En Caroline du Nord, le couloir de la mort se situe dans un préfabriqué ajouté à la hâte à la prison de Raleigh. Si les portes de l'établissement sont de couleur bleue, ou crème, celles localisées dans l'enceinte des condamnés à mort sont d'un rouge éclatant – sûrement pour vous rappeler ce qui vous attend. Aucune surface n'y échappe : les lits, les grilles, les rebords des fenêtres, même nos uniformes – du rouge, partout.

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Si l'un d'entre nous doit sortir de l'enceinte pour une quelconque raison, les gardes ferment les couloirs attenants afin de s'assurer que nous n'échangeons aucun contact, si ce n'est un lointain et fugace regard à travers le Plexiglas.

Des visiteurs sillonnent parfois les allées de notre unité. Ils se déplacent en troupeau et affichent des mines souvent surprises, de temps à autre déçues. Voyez-vous, ils ne s'attendaient pas à ça. Nous sommes des êtres civilisés et nous n'avons pas de l'écume qui coule le long de notre bouche.

Avant d'être transféré dans l'aile réservée aux condamnées à mort, il m'était facile de me lier avec les gens. Même si je n'étais pas physiquement à leur côté, je pouvais toujours interagir via le téléphone. À force, je parvenais à déceler le moindre changement d'humeur dans leur voix – comme lorsque l'on trempe son doigt dans l'eau pour prendre la température.

Malheureusement, le jour où j'ai traversé les murs rouges de ce préfabriqué, tout a changé. On m'a dit que le téléphone n'était pas autorisé – à part à Noël, où l'on vous offre gracieusement dix minutes de conversation. Je me sentais comme un astronaute perdu dans l'espace, complètement seul, luttant pour ne pas tomber dans la démence face à l'infinie obscurité.

En même temps, je ne pouvais pas communiquer avec mes codétenus. De ce que j'avais entendu (et vu dans les films), il ne fallait pas montrer que je souffrais de ce besoin de parler – ils verraient ça comme une faiblesse. Alors je ne me confiais que très peu, de peur qu'ils utilisent mes propos contre moi.

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En plus, nous savons tous que la mort nous attend. À quoi bon avoir un pote qui crèvera dans les semaines qui viennent ?

Alors je me suis résigné à mourir seul.

Avant d'être condamné à mort, et trois mois après mon arrestation, ma fiancée Kim m'a quitté. Je me blottissais contre l'acier de ces téléphones muraux en implorant son retour.

Des semaines plus tard, je suppliais ma mère de ne pas m'abandonner. Elle m'a renié, je lui avais brisé et cœur et j'avais déshonoré ma famille. Mes amis ont peu à peu disparu eux aussi.

Mes frères sont venus me rendre visite lors de mon procès. À peine avaient-ils franchi la porte d'entrée de la salle de visite que je vis sur le visage de Mike que notre père était mort.

On lui avait diagnostiqué une paranoïa doublée d'une schizophrénie, et il avait sombré dans la folie. Je pouvais toujours compter sur son inconditionnelle sympathie. Ça me suffisait de savoir que quelqu'un pensait à moi. Maintenant, j'étais seul.

Je ne voulais pas m'effacer, devenir un fantôme, rien qu'un souvenir. Alors j'écrivais à tout le monde mais ne recevais aucune réponse – hormis les nouvelles importantes et les inévitables cartes pour mon anniversaire et Noël. Mes frères et mes amis avaient la vingtaine ou la trentaine. Tout allait trop vite pour moi. Ils fondaient une famille, entamaient leur carrière professionnelle – ils vivaient si vite qu'ils n'avaient pas le temps de m'écrire.

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En 2012, je recevais une lettre écrite par une certaine Gigi, qui entrait en première année à l'université. Elle me disait alors qu'elle n'avait pas de grand frère et voulait apprendre de mes erreurs. Je m'ennuyais, j'étais curieux et flatté – et à la recherche de la moindre personne à qui parler. Je lui ai répondu.

Nos lettres m'ont ouvert les portes d'un autre monde. Dès lors, je pouvais me concentrer et l'aider à prendre de bonnes décisions – meilleures que les miennes en tout cas.

Mais les lettres ne peuvent retranscrire les rires d'une jeune femme. Mon écriture ne l'apaise nullement lorsqu'elle est en proie à un moment de panique. Elle ne saura jamais à quel point je suis désolé pour tout.

Depuis des décennies, les activistes, les amis et les familles des condamnées à mort se battent auprès des autorités pour autoriser les téléphones. Toutes les demandes se sont soldées par un « non » jusqu'en mars dernier, lorsque des techniciens ont installé une boîte rectangulaire faite d'acier inoxydable dans notre aile. On essayait d'avoir l'air désinvolte mais nos yeux étaient rivés sur ce qui semblait être un tout nouveau téléphone.

Certains de mes codétenus se sont empressés d'empoigner le combiné à la recherche d'une tonalité. Rien. C'était une véritable torture, un téléphone sans tonalité.

Un type m'a demandé qui j'allais appeler. Je ne connaissais pas la réponse. J'avais très peur de n'avoir personne à qui parler. J'ai envoyé des lettres à tous les gens que je connaissais pour qu'ils m'envoient leur numéro.

Après trois mois d'excitation, le téléphone est finalement devenu opérationnel en juin. Une semaine plus tard, je parlais pour la première fois de ma vie à Gigi. Elle était devenue ma meilleure amie et ma petite sœur et je frissonnais quand j'entendais son accent.

Pour l'instant, seul un de mes frères a accepté de me donner son numéro. On a beaucoup parlé. Nous sommes totalement différents maintenant, mais l'amour fraternel nous unit encore. Je suis impatient de discuter avec ma famille en temps réel.

Je ne me suis jamais senti aussi vivant depuis ma condamnation à mort.

George Wilkerson a 35 ans. Il se trouve actuellement dans le couloir de la mort de la prison de Raleigh, en Caroline du Nord. Il a été inculpé pour deux meurtres avec préméditation en 2006.