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Mon compagnon de cellule, ce taré

Il y a huit ans, j'ai partagé mon intimité carcérale avec un mec persuadé d'être Prince et d'avoir inventé le rap.
Illustration : Matt Rota
Illustration : Matt Rota

Cet article a été publié en partenariat avec le Marshall Project.

Je me demande s'il va finir par se pendre.

Cette pensée furtive a émergé dans mon esprit il y a huit ans, quand un vieillard déséquilibré – que j'appellerai ici « Rob » – est devenu mon nouveau compagnon de cellule. Avant de le rencontrer, j'avais entendu dire qu'il était complètement siphonné. Je me suis dit que je l'écouterai me raconter toutes ses histoires le premier jour, afin que nous puissions ensuite cohabiter sans avoir à nous adresser la parole.

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Rob n'avait pas du tout l'air d'un malade mental. Pas de regard vide, de barbe à la Charles Manson ou ce genre de trucs. Pas très grand, le crâne dégarni. Il avait écopé d'une peine de 20 ans, sans que je ne sache pourquoi.

Il m'a aussitôt demandé si j'aimais le rap. J'ai répondu par l'affirmative.

« De rien », m'a-t-il répondu.

« Qu'est-ce que tu entends par "De rien" ? »

« J'entends que tu dois me remercier d'avoir écrit tous ces morceaux que tu as écoutés. J'ai écrit tout ça quand j'ai inventé le rap en 1985. J'aimerais juste que tous ces branleurs me montrent le respect que je mérite pour ça, tu vois ? »

« Eh bien, merci mec. J'apprécie », lui ai-je rétorqué.

Je pense vraiment avoir été la première personne à accepter de le remercier, parce qu'il m'a regardé comme si j'étais Jésus en train d'absoudre un horrible pécheur.

« Que penses-tu de Prince, mec ? T'aimes bien Prince ? », m'a-t-il demandé.

« Ouais mec, j'aime bien Prince. Qui ne l'aime pas ? »

Rob a souri et a regardé à droite puis à gauche, comme le font les enfants sur le point de vous avouer un secret.

« Je suis Prince. »

« Si tu es Prince, qui est le gars qui passe à la radio ? »

« C'est un pote qui se fait passer pour moi. On a mis ce plan sur pied quand je me suis fait serrer. Il endosse mon rôle le temps que je sorte de taule. J'ai écrit tous les morceaux en 1987. Il n'avait plus qu'à faire du playback et prétendre de jouer de la guitare. C'est ma voix sur les enregistrements. Il met mon argent de côté pour que je puisse le récupérer à la sortie. Je lui ai écrit pour lui demander de m'en envoyer une partie, mais l'État le volait. La dernière fois, il m'a envoyé un millier de dollars, mais ils m'ont tout pris. J'ai rédigé une plainte, mais ça n'a rien donné. Je préfère qu'il se contente de prendre soin de mon argent pour le moment. »

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Ce jour-là, je n'ai fait que boire les paroles de Rob – il m'a notamment parlé de son salaire quotidien de 145 millions et de sa performance avec Dr. Dre aux Grammy Awards. Ça a duré six heures. Ça nous donnait au moins de quoi nous occuper, sachant que nous étions parqués dans nos cellules vingt heures par jour.

La situation s'est empirée au fil des semaines. Rob prenait énormément de médicaments, et il lui arrivait de se pisser dessus dans son sommeil. Je dormais dans le lit du haut, mais son odeur nauséabonde me tenait éveillé en permanence. Je devais descendre pour le réveiller. Parfois, je devais le frapper. Mais c'était nécessaire pour qu'il se lève et nettoie ses draps.

Les journées ne se passaient pas mieux pour autant. Afin de l'occuper un peu, je lui ai suggéré d'écouter la radio pour qu'il fasse une liste de toutes les personnes qui lui avaient volé sa musique. Il a trouvé que c'était une bonne idée, et a passé l'intégralité de ses heures de lucidité à rédiger lesdites listes.

Deux semaines après l'emménagement de Rob, j'ai rencontré un gars qui l'avait connu il y a cinq ans, dans une autre unité. Il m'a avoué que le département psychiatrique de l'unité avait placé Rob en isolement à cause de son comportement imprévisible – il lui arrivait de recouvrir les murs de sa cellule avec ses excréments, et parfois même de les manger.

Le Rob que je connaissais était définitivement moins taré.

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Je me suis demandé si son changement de comportement était dû à un véritable suivi médical ou si le département psychiatrique de notre unité lui avait filé des cachetons plus forts.

Dans tous les cas, la situation n'a pas duré. Un jour, alors que je faisais le ménage dans notre petite cellule, je suis tombé sur un sac rempli de merde qu'il avait caché sous son lit. Je l'ai frappé pour le réveiller, avant de littéralement le mettre face à sa propre merde. Il a refusé d'avouer que c'était la sienne.

Un peu plus tard, j'ai écrit une lettre au psychologue de la prison pour l'informer de la situation. Je n'ai jamais eu de retour, et aucun gardien n'est venu le voir.

J'ai cessé de lui donner du café et je ne laissais plus écouter la radio. Je me suis dit que si je réussissais à le priver de tout, il en viendrait peut-être à déménager.

Un soir, alors que je lisais tranquillement, il s'est subitement mis à hurler :

« Tu sais que tu peux mourir et ressusciter ! »

Je l'ai ignoré, mais il a continué de le répéter, encore et encore.

« Putain Rob, qu'est-ce que tu essaies de me dire ? », ai-je fini par lui demander.

« On m'a coupé la tête mais j'ai réussi à la remettre en place. Une autre fois, je me suis réveillé dans un cercueil et j'ai dû creuser la terre pour m'enfuir. »

« Rob, on ne peut pas mourir et ressusciter. »

« Si, on peut. Moi je l'ai fait. »

J'ai refermé mon livre et je l'ai regardé. « Je vais te dire un truc, Rob. T'as vraiment envie d'un café ? Si tu te pends dans cette cellule et que tu ressuscites, je te donnerais du café. »

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Les murs de notre cellule ne forment pas de parfaits angles droits. Nos toilettes se trouvent dans un angle recouvert d'acier à la place du traditionnel béton. À deux mètres du sol, voire un peu plus, se trouve une petite aération censée nous apporter un peu de chaleur durant l'hiver. Elle est fermée par une grille en métal afin que nous ne puissions pas y dissimuler quoi que ce soit.

Trente minutes après notre conversation, Rob s'est levé pour se diriger vers les toilettes. Il est monté dessus, a accroché ses draps à la grille d'aération et s'est appliqué à faire un nœud autour de son cou.

J'ai commencé à me demander ce que je ferais s'il se pendait pour de vrai. De toute façon, personne ne viendrait avant sa mort.

Tout le monde se contrefichait de Rob. Pourquoi étais-je le seul à devoir m'occuper de lui ?

Je me suis assis dans un coin, en faisant mine de lire.

En fait, j'ai décidé de le laisser faire. Si Rob se pendait, je le laisserais mourir. Je dirai simplement que j'étais endormi quand ils trouveront son corps inerte. Après tout, le suicide fait partie de la vie en prison.

Rob a défait le nœud autour de son cou avant de descendre des toilettes.

« Je sais que l'on peut mourir et revenir à la vie, mais je ne sais pas combien de fois on peut le faire », a-t-il déclaré.

J'ai hoché la tête en guise de réponse, et je lui ai demandé de remettre ses draps en place.

Quelques jours plus tard, Rob a eu une altercation avec un officier et a été transféré dans un autre établissement. Je ne l'ai plus jamais revu.

L'auteur, 33 ans, est incarcéré à la prison de Connaly, à Kennedy, dans l'État du Texas. Il a écopé d'une peine à perpétuité pour meurtre et attaque à main armée.