Je suis recherché par les talibans

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reportage

Je suis recherché par les talibans

La vie des réfugiés afghans en Europe, ou comment les autorités de leur pays d'accueil veulent s'en débarrasser.

Illustrations : Ella Strickland de Souza

L'adolescence de Salim* ne s'est pas déroulée comme celle des autres habitants de son quartier, quelque part dans la banlieue de Londres. Pour commencer, il est demandeur d'asile. Mais ce n'est pas tout. « Les talibans ont tué mon père », me raconte-t-il. « Je n'ai pas vraiment eu le choix. Ils ont essayé de me forcer à les rejoindre. J'ai refusé, alors ils ont essayé de me tuer aussi. »

Salim a désormais 19 ans et a fui l'Afghanistan en direction de l'Angleterre en janvier 2010. L'année dernière, il a appris que les talibans avaient assassiné sa mère et sa sœur, et que son frère avait été enlevé – des associations caritatives essayent de le retrouver, bien qu'elles ignorent s'il est toujours en vie. « L'ancien du village qui nous a fait parvenir la nouvelle a affirmé que les talibans en avaient toujours après Salim », précise Olivia*, l'assistante sociale de Salim qui était avec lui lors de cette mise à jour brutale.

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Salim, recherché par les talibans, vit donc en sursis. Les demandes d'asile sont encadrées par certaines lois compliquées qui valent le coup d'être clarifiées. La grande majorité des enfants qui ont fui l'Afghanistan n'obtiennent pas pleinement le droit d'asile lorsqu'ils arrivent au Royaume-Uni. À la place, on leur accorde un « droit de séjour temporaire » qui expire à leurs 18 ans. Après quoi ils doivent faire une demande d'autorisation permanente de séjour ou quitter le territoire. Si leur demande est rejetée, ils peuvent déposer jusqu'à deux recours. Salim attend actuellement le résultat de son ultime appel. S'il est refusé, ce sera la fin. Il repartira pour l'Afghanistan.

« Tous les jours, je me dis que le Bureau de l'Intérieur va venir me chercher et me renvoyer chez moi, déclare-t-il. J'ai peur tout le temps. Je pense beaucoup à ma famille. Je pense à la façon dont mes proches sont morts – à la douleur que les talibans leur ont infligée. » Il s'arrête. Salim est un mec poli, réservé – le genre de jeune homme bien élevé que les mamans adorent. Mais son esprit est hanté par la brutalité de ses bourreaux. « À moins d'être confronté à eux, il est impossible de vraiment comprendre comment ils sont. Il est impossible de savoir ce que c'est d'avoir peur d'eux. »

Il y a eu des échos concernant des cas similaires dans le pays. En mai 2015, le Royaume-Uni a interdit les expulsions vers l'Afghanistan car le pays était jugé trop dangereux. Cette amnistie n'a pas duré. Le Bureau de l'Intérieur a gagné un appel en mars 2016 qui lui a permis de réouvrir les vols dédiés aux expulsions. Quand j'ai demandé au Bureau de l'Intérieur pourquoi l'Afghanistan avait été jugé suffisamment sûr, malgré la forte présence des talibans, un porte-parole m'a écrit : « Tous les cas sont soigneusement examinés selon leurs mérites individuels, en accord avec les règles d'immigration en vigueur au Royaume-Uni et les preuves fournies par le demandeur ». Il ajoute que « la question de savoir si les demandeurs d'asile peuvent se réinstaller dans le pays dans lequel ils sont renvoyés fait l'objet d'un examen ».

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Stewart MacLachan, conseiller juridique au Coram Children's Legal Centre, décrit ce que cela signifie en pratique. Le Bureau de l'Intérieur accorde une protection temporaire aux enfants non accompagnés étant donné qu'il serait dangereux de les renvoyer. Mais selon MacLachan, le gouvernement est d'avis que « les adultes peuvent se réinstaller à Kaboul en toute sécurité, même s'ils n'y ont jamais vécu auparavant ».

Un particulier peut cependant se voir accorder l'asile au Royaume-Uni s'il arrive à prouver qu'il a été persécuté en raison de ses opinions politiques, de sa religion ou de ses antécédents familiaux. Généralement, la principale source de preuve utilisée est le témoignage de la personne. C'est souvent là que les problèmes commencent. « En pratique, les gens voient leur demande d'asile rejetée à cause de problèmes de crédibilité relativement mineurs », déclare MacLachan. « Par exemple, ils ne se souviennent pas de la date exacte d'un incident qui a lieu en Afghanistan. »

Envoyés au Royaume-Uni par leurs proches, les enfants afghans sont rarement au courant des raisons compliquées de leur départ. Résultat, lorsqu'ils sont interrogés au tribunal, il peut parfois sembler qu'ils essaient de cacher des informations. Prenons Malem, 23 ans, qui n'a qu'une compréhension incomplète de son départ. Il se souvient que sa mère a arrangé sa fuite alors qu'il n'avait que 13 ans, après que son père a été enlevé par les talibans. « Nous ne pouvions pas vraiment sortir », raconte Malem. « Nous ne pouvions parler à personne et traîner avec personne car nous avions peur des talibans. C'était comme passé sa vie entière en prison. » Mais Malem n'a jamais réellement su pourquoi son père était une cible et, ayant été chargé sur un véhicule au beau milieu de la nuit, il ne sait pas qui l'a fait passer au Royaume-Uni.

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La seule chose dont Malem se souvient lors de son arrivée en Grande-Bretagne, c'est qu'on l'a déposé dans la rue et qu'on lui a dit de se débrouiller tout seul pour se rendre dans la banlieue tentaculaire de Londres. Une fois que l'agence britannique pour la gestion des frontières lui a trouvé un foyer d'accueil, la situation s'est quelque peu éclaircie : il a été scolarisé, a appris l'anglais et s'est inscrit à la natation. Sa demande d'asile traîne depuis plus de cinq ans maintenant.

Tout comme Salim, il attend son dernier appel. Depuis que son statut protégé a expiré, il dit souffrir d'une dépression. En avril dernier, il s'est rappelé pourquoi il désirait désespérément rester au Royaume-Uni, après qu'un attentat suicide à Kaboul a fait 64 morts, et qu'un de ses amis Facebook ait perdu son frère récemment expulsé dans l' explosion.

La menace d'un renvoi dans l'arrière-cour des talibans a affecté la santé physique et mentale de Malem. « Après qu'ils ont essayé de m'expulser à plusieurs reprises, je suis devenu de plus en plus stressé. Puis, j'ai commencé à m'automutiler. Ça dure depuis plusieurs années maintenant », raconte-t-il. Au point culminant de sa dépression, Malem est devenu suicidaire, selon sa mère d'accueil : « Je crois qu'à un moment donné il a essayé de sauter par la fenêtre. Il ne voyait pas la lumière au bout du tunnel. »

Paradoxalement, les jeunes contraints à retourner en Afghanistan n'ont souvent pas d'autre choix que de rejoindre un groupe d'insurgés afin de survivre et bénéficier d'une protection. À défaut d'alternatives disponibles, Malem craint de devoir rejoindre les talibans – qui sont à l'origine de sa misère. « S'ils me renvoient en Afghanistan, déclare-t-il, les talibans n'auront aucun mal à me retrouver. Quoiqu'ils me proposent, je vais être obligé d' accepter. Si je refuse, ils me tueront. Rien que pour sauver ma vie, je vais devoir faire ce qu'ils disent. »

*Les noms ont été changés pour des questions de sécurité

@SamBright_Ltd / @ella_desouza